Complainte du temps présent, par le prophète Jérémie

Jérémie 9/16-25 selon la Traduction œcuménique de la Bible

16 Ainsi parle le Seigneur de l’univers : Réfléchissez. Appelez les pleureuses : qu’elles viennent ; allez chercher les plus habiles : qu’elles viennent.

17 Qu’elles se hâtent et entonnent sur nous une plainte ! Que nos yeux ruissellent de larmes, que nos paupières soient noyées de pleurs !

18 Oui, on entend depuis Sion les accents d’une plainte : « Comment ! Nous sommes dévastés, accablés de honte, car nous avons abandonné le pays, et ils ont abattu nos demeures ! »

19 Femmes, écoutez donc la parole du Seigneur ; que vos oreilles saisissent la parole de sa bouche. Apprenez à vos filles cette plainte, et cette lamentation, chacune à sa compagne,

20 car elle monte par nos fenêtres, la Mort, elle pénètre dans nos citadelles, elle fauche l’enfant dans la rue et les jeunes gens sur les places.

21 Parle ! Voici l’oracle du Seigneur : Des cadavres d’hommes tombent comme du fumier à la surface des champs, comme des gerbes derrière un moissonneur, et personne qui les ramasse.

22 Ainsi parle le Seigneur : Que le sage ne se vante pas de sa sagesse, que le fort ne se vante pas de sa force, que le riche ne se vante pas de sa richesse.

23 Mais celui qui se vante, qu’il se vante plutôt de ceci : avoir de l’intelligence pour me connaître, moi, le Seigneur qui exerce sur la terre la fidélité, le droit et la justice. Oui, en cela je me plais – oracle du Seigneur.

24 Voici venir des jours – oracle du Seigneur où je châtierai tout homme circoncis dans sa chair,

25 en Égypte et en Juda, en Édom et chez les fils d’Ammone, en Moab et chez les hommes aux tempes rasées qui habitent le désert, car toutes ces nations sont des incirconcis comme toute la maison d’Israël : des incirconcis de cœur.

Quelques mots du prophète Jérémie si nous avons du mal à exprimer notre effroi, si nous sommes non seulement inconsolables, mais incapables de dire ce qui nous fait si mal. Des mots pour pleurer si les larmes ne sortent pas. Nous avons tort de penser que la véritable sagesse est de ne pas pleurer, de n’éprouver aucune tristesse, quelles que soient les circonstances. L’appel aux pleureuses professionnelles indique la nécessité de libérer ces émotions parfois cadenassées par la volonté de paraître fort ou par la sidération qui nous fige. La sagesse biblique ne consiste pas à être imperméable aux événements. La sagesse biblique est faite d’empathie et de miséricorde.

La sagesse biblique n’est jamais l’indifférence à ce que vivent les autres. Elle est une responsabilité infinie qui nous engage dans la plus grande solidarité qui soit. Parfois, cette solidarité passe par la communion des pleurs. L’ami n’est pas celui qui retient les pleurs, mais celui qui libère les larmes quand c’est nécessaire.

Quand la mort prend toute la place, quand elle sature notre horizon, la lamentation est le premier acte de résistance. La lamentation indique que nous avons encore le désir d’un autre ordre du monde. Nous ne nous résignons pas à l’horreur. Nous ne savons pas forcément comment endiguer la sauvagerie, mais en refusant de faire du massacre une normalité, nous opposons déjà une résistance. L’humanité ressuscite, elle se tient debout et fait face à l’avenir.

Cette humanité ne peut pas se contenter d’être un concept, un mot qui émaille nos discours. Nous en resterions à la surface des choses, à la circoncision du corps, une extériorité qui peut ne pas nous concerner intimement. La circoncision du cœur, c’est l’inscription du visage de l’autre au fond de moi, dans le cœur qui est, dans le langage biblique, le siège de la décision. Avoir l’autre, tous les autres, au fond de moi, voilà ce qu’est la sagesse divine, voilà ce qui me rend humain. Connaître Dieu, c’est connaître l’autre. Non pas seulement savoir qu’il existe, au loin. Mais le connaître, l’avoir rejoint dans son univers personnel, dans ses craintes, ses aspirations, ses vulnérabilités, ses folies aussi.

Pleurer, être aidé pour pleurer si c’est nécessaire, afin de se vider du malheur et, ainsi, faire place à l’espérance qui nous retient d’abdiquer, qui nous retient de nous résigner au spectacle de la mort qui s’immisce dans nos vies, fauche les enfants en pleine rue et les jeunes gens sur les places.

Djamel Tatah, exposé de décembre 2022 à avril 2023 au Musée Fabre

2 commentaires

  1. Bonjour
    Ce texte indique avant la naissance de la psychologie de la psychanalyse combien les pleurs sont libérateurs. Il faut pour que les larmes coulent accepter d’abandonner une posture de déni, et ici s’abandonner à la volonté de Dieu qui veut que nous l’aimions et qui nous invite en second commandement à aimer notre prochain comme nous-mêmes. C’est la seule démarche qui nous sorte de cette spirale de maux. Le texte pourtant très bref parvient à susciter en moi des images de chaos très réalistes, comme si j’étais une parmi ceux à qui Dieu s’adresse.
    Merci pour cette intervention qui m’invite à prier Dieu père compatissant pour nous qui sommes « semel justus semel peccator ».

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