Paix, monothéisme et loi vont ensemble


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Ésaïe 2/1-8

1 La parole qu’Ésaïe, fils d’Amots, vit, touchant Juda et Jérusalem. 2 Et il arrivera, à la fin des jours, que la montagne de la maison de l’Éternel sera établie sur le sommet des montagnes, et sera élevée au-dessus des collines; et toutes les nations y afflueront; 3 et beaucoup de peuples iront, et diront: Venez, et montons à la montagne de l’Éternel, à la maison des dieux de Jacob, et il nous instruira de ses voies, et nous marcherons dans ses sentiers. Car de Sion sortira la torah, et de Jérusalem, la parole de l’Éternel. 4 Et il jugera au milieu des nations, et prononcera le droit à beaucoup de peuples; et de leurs épées ils forgeront des socs, et de leurs lances, des serpes : une nation ne lèvera pas l’épée contre une autre nation, et on n’apprendra plus la guerre. 5 Venez, maison de Jacob, et marchons dans la lumière de L’Éternel ! 6 Car tu as abandonné ton peuple, la maison de Jacob, parce qu’ils sont remplis de ce qui vient de l’orient, et sont des pronostiqueurs, comme les Philistins, et s’allient avec les enfants des étrangers. 7 Et leur pays est rempli d’argent et d’or, et il n’y a pas de fin à leurs trésors ; et leur pays est rempli de chevaux, et il n’y a pas de fin à leurs chars ; 8 et leur pays est rempli d’idoles : ils se prosternent devant l’ouvrage de leurs mains, devant ce que leurs doigts ont fait.

Chers frères et sœurs, non seulement la paix n’est toujours pas en vue, mais elle semble encore moins probable qu’il y a 18 mois, lorsque la Fédération de Russie a attaqué l’Ukraine. Le risque d’affrontements en France est sérieux, suffisamment pour que le plan Vigipirate ait été renforcé depuis l’assassinat du professeur Dominique Bernard. Certes, nous avons manifesté notre fraternité avec les personnes endeuillées, nous avons exprimé notre soutien à la communauté éducative, mais quel avenir nous préparons-nous ? Ou, pour revenir au constat de départ, que m’est-il permis d’espérer en matière de paix ?

1. La paix ne vient pas du désarmement

En christianisme, nous avons l’habitude de penser la question de la paix en relation avec la question des armes. « S’il n’y avait pas toutes ces armes il n’y aurait pas toutes ces guerres » est une manière de résumer une partie des réflexions chrétiennes au sujet de la guerre et de la paix. Le raisonnement selon lequel ce sont les armes qui provoquent les guerres est une autre manière de penser que s’il n’y avait pas toutes ces armes, il n’y aurait pas toutes ces guerres.

Le raisonnement est séduisant, mais ce n’est pas ce que pense le rédacteur du texte biblique que nous avons lu. Le rédacteur de ce passage d’Ésaïe pense à rebours de l’idée commune qui nourrit le pacifisme chrétien hostile aux armes, à leur maniement et à leur utilisation.

Ésaïe ne fait pas l’apologie de l’armement – et il serait fou de dire que les chrétiens doivent encourager l’armement. Cependant, le prophète Ésaïe remet les choses à leur juste place chronologique. C’est parce qu’une paix profonde est instaurée que les armes deviennent inutiles et qu’elles peuvent être converties en instruments agraires. Ce n’est pas la fin des armes qui conduit à la paix ; c’est la paix qui conduit à l’inutilité des armes.

Les rédacteurs bibliques sont tout à fait lucides sur la nature profonde des êtres humains. Avec un anachronisme flagrant, je dirais que les rédacteurs bibliques savent que si vous supprimez les armes nucléaires, certains se battront avec des missiles à têtes conventionnels, ou avec des roquettes, des balles de fusils, des machettes, des couteaux et, finalement, s’il ne reste plus rien, Caïn pourra encore tuer Abel de ses propres mains. Autrement dit, les armes favorisent l’étendue des dégâts, mais ne sont pas la cause première des conflits. Il y a une forme de naïveté à penser que la suppression des armes est la solution pour instaurer la paix. La paix nécessite une neutralisation de la violence qui est en nous – peut-être une sublimation de la violence qui est en chacun de nous, une métamorphose. Cela se fait par un changement profond, une dynamique de la conversion personnelle qui est le préalable indispensable à la conversion des armes en instruments agricoles.

2. Le monothéisme strict, c’est la paix

J’interprète ce texte biblique comme un plaidoyer en faveur du monothéisme. Je dirais que ce texte affirme que le monothéisme strict, c’est la paix.

On impute souvent la violence au monothéisme exclusif qui ne tolère pas d’autres divinités et, par conséquent, qui ne supporterait pas ce qui lui est étranger. Toutefois, ici, dans le texte hébreu, nous pouvons lire autre chose qu’un monothéisme sauvage. En effet, le verset 3 déclare textuellement que le mouvement des nations se fait en direction de la maison des dieux de Jacob.

Le monothéisme exclusif n’est donc pas hostile au polythéisme, du moins il ne le nie pas et ne s’y oppose pas frontalement par une attitude agressive. Le monothéisme biblique, le fait d’avoir un seul Dieu, n’ignore pas que l’histoire humaine est chargée de plusieurs divinités – que notre propre existence est chargée de plusieurs divinités, parfois. Ici, les dieux de Jacob sont intégrés dans l’horizon du monothéisme, comme le catholicisme, l’orthodoxie et le protestantisme sont intégrés dans l’horizon du christianisme, comme le christianisme, l’islam, le judaïsme sont intégrés dans l’horizon universel de la foi en Dieu, comme l’ensemble des personnes qui foulent le territoire français et qui ont, chacun, leurs dadas, leurs systèmes de valeurs et de fidélités, sont intégrés (ou du moins peuvent l’être) dans un horizon commun.

Le rédacteur biblique met en scène toutes les nations se rendant vers un lieu unique d’où sort la loi divine. Il va de soi cette géographie est une géographie mythique. Ceux qui sont allés à Jérusalem savent que la colline de Sion n’est pas du tout au-dessus des autres collines, qu’elle n’est pas du tout un point culminant de ce territoire – c’est bien plus bas que le mont des Oliviers, par exemple. Cette géographie mythique n’est donc pas à limiter au Proche Orient. Elle a une portée universelle. Elle développe l’image d’un lieu de convergence qui est symboliquement au-dessus de tous les autres lieux, qui surplombe toutes les autres institutions, tous les particularismes, toutes les composantes de la société internationale – à l’image de ce qu’a pu être l’ONU quand cette institution a été pensée. Il y a plus grand que nous, il y a plus grand que notre protestantisme, il y a plus grand que notre nation.

Le fait que nous soyons tous appelés à rejoindre le même lieu, d’où sort la loi divine, est un facteur d’intégration bien plus puissant qu’un polythéisme tolérant ou un athéisme indifférent. Le polythéisme ou l’athéisme, en tolérant ou ne s’intéressant pas aux convictions de l’autre, en faisant comme si elles n’existaient pas ou n’avaient pas le droit de cité, c’est laisser en jachère ce que nous avons en commun. Nous pouvons rester étrangers les uns aux autres sans que cela pose problème aux polythéistes ou aux athées. Tant que ça ne fait pas de vague, pas de problème à déplorer. Mais est-ce cela, faire société ? Et quand les temps sont mauvais, quand la haine s’immisce dans la vie commune, quand la force et la ruse s’invitent dans la vie quotidienne, pour faire valoir la domination d’une idéologie mortifère, qui prône l’élimination de tous ceux qui ne sont pas conformes… qu’avons-nous à opposer ?

Le monothéisme pose que nous avons un horizon commun, une destinée qui nous unit et qui requiert notre implication personnelle, notre adhésion personnelle, ce que la théologie nomme la foi. Le monothéisme exclusif considère qu’il y a un seul Dieu pour tous, ce qui est une manière théologique de dire que nous avons tous en commun le même horizon. C’est bien différent de « l’hénothéisme », le fait d’avoir un Dieu unique pour soi et que les autres ait un autre dieu unique ou plusieurs. Le monothéisme, un seul Dieu pour tous, cela a pour conséquence le fait que se lever les uns contre les autres ne peut que nous conduire à l’opposé de cet horizon commun que nous devrions chérir ensemble.

3. Dieu règne par une loi universelle

Ce court texte biblique qui nous aide à penser la question de la paix internationale, de la paix sociale, de la paix ecclésiale, de la paix familiale aussi, institue un monothéisme exclusif structuré sur la loi, en hébreu la torah, ce qui signifie littéralement « l’instruction ».

Cela nous indique déjà le caractère fondamental de l’instruction, de l’éducation. C’est pour cela que les ennemis du monothéisme s’en prennent à l’éducation soit en la vidant de sa substance, en la réduisant à de l’endoctrinement alors qu’elle doit permettre à chacun de pouvoir exercer ses facultés de jugement en toute liberté ; soit en s’en prenant directement aux artisans de l’éducation par une contestation des enseignements ou par l’assassinat d’enseignants. La torah, parce qu’elle est instruction, indique que nous devons apprendre, nous devons nous ouvrir à d’autres enseignements que ce que nous avons appris par notre propre expérience. L’instruction, c’est intégrer l’autre dans notre propre connaissance de la vie.

Par ailleurs, la torah, c’est la loi. Et nous devons être attentif à la nature de cette loi pour ne pas la confondre avec un code pénal et encore moins avec un code de procédure pénale. La torah biblique est un apprentissage de l’autre en découvrant la figure de l’autre, de celui qui devient notre prochain non pas notre volonté, mais par le fait que l’humanité a une dimension universelle qui transcende nos affinités personnelles ou nos réseaux. La torah est une épiphanie du visage de l’autre qui devient au moins aussi important que moi, tant et si bien que la vie des autres a du sens pour moi parce que la vie des autres a un sens qui s’unit au sens de ma propre vie au sein de l’horizon que Dieu révèle.

La prière devient alors un moyen de rendre concrète cette perspective universelle qui intègre l’autre. En effet, prier, c’est intégrer les exigences de la torah dans ma vie personnelle, dans le regard que je porte sur le monde, sur le cours des événements. Par exemple, on n’oppose pas les morts d’un camp aux morts de l’autre camp : une nation ne s’élèvera pas contre une autre nation est bien la perspective de la torah. Et c’est à nous de l’incarner, c’est à nous de rendre concret cet horizon.

Prier permet de pleurer les morts israéliens et les morts palestiniens ; les morts russes et les morts ukrainiens ; et à égalité les morts français. Prier, c’est prendre conscience que nous sommes tous dans le même flot des nations qui vont vers la Jérusalem mythique, c’est-à-dire vers le temple universel où tous les humains trouvent la source de leur existence.

Ce n’est pas un être surnaturel qui règne, ce ne sont pas les prêtres d’un dominateur tout-puissant qui règne, c’est la loi, la torah qui nous instruit de telle manière que nous devenions capables d’une reconnaissance mutuelle des individus comme étant des frères et des sœurs, qui règne. C’est tout le problème du monothéisme : quand il devient une théocratie, il ruine la possibilité d’une paix universelle, car la théocratie est un pouvoir aux mains de certains dévots qui en font une arme pour satisfaire leur orgueil, leur narcissisme, leur hubris. Alors se joue à nouveau Genèse 6-9 où la violence, hamas, provoque des morts massives.

Le monothéisme d’Ésaïe est une théonomie : Dieu est l’expression de la loi universelle qui permet à chacun de découvrir la communion qui l’unit aux autres. Elle rend le vivre ensemble possible par l’art d’être ensemble, de se reconnaître comme le prochain de l’autre. Dieu règne de manière universelle lorsque la loi de Dieu inspire notre façon d’être. Dès lors, quand nous prions « que ton règne vienne », il nous appartient que la loi divine qui est la loi d’amour du prochain, soit le principe qui anime nos actions – et que ce ne soit pas la pratique de la violence maximale.

La paix advient par la concorde universelle autour de la loi commune et non pas la destruction des personnes ou des armes. D’ailleurs les armes ne sont pas détruites, mais converties. C’est là une métaphore pour éclairer notre existence : nous sommes des armes, et notre espérance, c’est de nous convertir pour devenir des instruments de culture ; c’est le sens de l’éducation qui nous fait passer de l’état sauvage à la condition d’être humain.

Amen

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