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Psaume 84
1 Au chef des chantres. Sur la guitthith. Des fils de Koré. Psaume. Que tes demeures sont aimables, Éternel des armées ! 2 Mon âme soupire et languit après les parvis de l’Éternel, Mon coeur et ma chair poussent des cris vers le Dieu vivant. 3 Le passereau même trouve une maison, Et l’hirondelle un nid où elle dépose ses petits… Tes autels, Éternel des armées ! Mon roi et mon Dieu ! 4 Heureux ceux qui habitent ta maison ! Ils peuvent te célébrer encore. Pause. 5 Heureux ceux qui placent en toi leur appui ! Ils trouvent dans leur coeur des chemins tout tracés. 6 Lorsqu’ils traversent la vallée de Baca, Ils la transforment en un lieu plein de sources, Et la pluie la couvre aussi de bénédictions. 7 Leur force augmente pendant la marche, Et ils se présentent devant Dieu à Sion. 8 Éternel, Dieu des armées, écoute ma prière ! Prête l’oreille, Dieu de Jacob ! Pause. 9 Toi qui es notre bouclier, vois, ô Dieu ! Et regarde la face de ton oint ! 10 Mieux vaut un jour dans tes parvis que mille ailleurs; Je préfère me tenir sur le seuil de la maison de mon Dieu, Plutôt que d’habiter sous les tentes de la méchanceté. 11 Car l’Éternel Dieu est un soleil et un bouclier, L’Éternel donne la grâce et la gloire, Il ne refuse aucun bien à ceux qui marchent dans l’intégrité. 12 Éternel des armées ! Heureux l’homme qui se confie en toi!
Chers frères et sœurs, il se pourrait que la période de l’été vous donne l’occasion de consulter quelques magazines qui vous promettent de savoir, enfin, comment être heureux. Le bonheur en 10 leçons, les bons trucs à savoir pour être heureux, le bonheur à portée de main, à moins que ce soit le bonheur et le porte-monnaie. Faites des économies, lisez plutôt le psaume 84. Vous en saurez plus sur le bonheur.
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La liberté
Le premier aspect sur lequel ce psaume attire notre attention est la liberté. La liberté se repère en creux au début du psaume. La personne qui parle est manifestement un pèlerin qui se rend à Jérusalem pour une fête. Il se languit d’arriver non parce que la route est longue, mais parce qu’il a besoin d’échapper à la situation dans laquelle il se trouve. Les psaumes sont constellés de situations où le croyant n’est pas à son aise. Il soupire après les ruisseaux de Dieu, il se plaint d’être pris dans un filet, il gémit d’être cloué au lit par un état dépressif, il est comme errant. Toutes ces situations ont en commun l’absence de liberté.
Les psaumes sont très souvent des prières qui ont pour point de départ l’absence de liberté. Il y est question d’aliénation sous différentes formes. Ce sont des situations caractérisées par l’impossibilité d’être véritablement en possession de ses moyens, ni maître de son présent. Ce sont des situations que l’on subit. On est balloté comme un fétu de paille au milieu des flots. Ce sont les autres qui décident pour nous. On est petit à petit muselé. On n’exprime plus aucun désir, plus aucune volonté. On se soumet à un ordre des choses qui ne nous convient pas, qui n’est pas en phase avec nos aspirations et pour cause : nos aspirations sont comme éteintes.
Sans liberté, aucun bonheur. Car il n’est pas possible d’éprouver le moindre bonheur quand on est dépossédé de soi-même. Quand ce n’est plus nous qui menons notre vie, quand nos pensées ne sont plus nos pensées, quand le rythme de nos journées nous est imposé, quand nous n’avons pas la possibilité de choisir nos occupations, nos loisirs… aucun bonheur n’est possible. Car ce n’est tout simplement plus notre vie (à supposer que ce soit encore une vie). Et nous n’avons tout simplement plus d’existence. Nous ne sommes plus un être, mais une chose soumise aux aléas ou aux caprices d’autres que nous-mêmes.
De même qu’Abram a dû quitter sa patrie, sa famille, pour n’être plus qu’un point sur l’horizon et pouvoir vivre sa vie, de venir fécond, il a bien fallu que David échappe à la tâche que son père lui avait assignée – garder le troupeau familial – pour délivrer Israël du géant Goliath – et, ainsi, prendre soin du troupeau Israël… œuvrer à la hauteur de Dieu.
Il a bien fallu que Jésus échappe de nombreuses fois aux foules pour ne pas devenir un objet de foire mais être le messie, l’homme libre par excellence, capable de prêcher le bonheur à hauteur de Dieu et non des magazines d’été.
La liberté nous offre la possibilité de connaître, personnellement, ce que la vie recèle d’éléments qui nous conduiront à éprouver un véritable bonheur dont il nous faut commencer à parler.
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L’intimité avec Dieu
Le deuxième aspect du bonheur est l’intimité avec Dieu. Le psalmiste se languit de Dieu, de ses parvis, de son intimité. L’écriture mythologique de ce psaume qui place Dieu dans un lieu particulier, le temple de Jérusalem, ne doit pas nous faire perdre de vue que Dieu n’est pas confiné dans un bâtiment. Dieu se rencontre en tout lieu, mais encore faut-il être libre de l’accueillir. La présence de Dieu est perçue comme un refuge, un havre de sérénité, dans les psaumes. Je parlerai donc de l’intimité de Dieu. C’est cela que recherche le psalmiste : être proche de Dieu. Je le dirais avec une formule que j’emprunte à Augustin : Dieu est plus proche du psalmiste que le psalmiste ne l’est de lui-même. « Tu étais plus intime à moi que moi-même »[1].
C’est en rapport avec l’intimité que nous avons cette avalanche de « heureux » (v. 4, 5, 12), avec la mention finale que le bonheur vient de ce qu’il nous est loisible de nous confier à Dieu. Il y a un lien étroit entre le bonheur et la prière. Cela, vous risquez de ne pas lire cela dans les magazines. C’et bien dommage parce que le bonheur, sans la prière, risque d’être une quête éperdue qui ne provoquera que de l’insatisfaction.
Tout d’abord, constatons que le terme hébreu pour dire « heureux » est ashrei, qui vient du verbe asher qui signifie « avancer ». Le bonheur n’est pas statique. Ce n’est pas un état. Ce n’est pas non plus un sentiment persistant. C’est une démarche, un pèlerinage vers Dieu – ce qu’est en train de vivre le psalmiste. C’est le fait d’être orienté dans le bon sens qui rend heureux.
Le bonheur ne saurait donc être une histoire d’accumulation de biens matériels, ou d’une quantité de moments drôles. C’est plutôt une histoire d’orientation de notre vie et de progression. Notons que le psaume 23 ne fait pas du bonheur l’objectif de la vie, le but à atteindre. Déjà, dans le psaume 23, le but est la maison de l’Éternel. Et le psalmiste précise que le bonheur (tov) et la grâce accompagneront ce cheminement, mais n’en sont pas la destination. Le bonheur n’est pas le but de la vie. Vouloir à tout prix le bonheur, vouloir construire son bonheur, rechercher le bonheur, c’est se condamner à le manquer.
Être tendu vers Dieu, c’est cela être une âme. Vivre sans être tendu vers Dieu, c’est ce qu’est un être biologique, qui ne se pose pas la question du sens de la vie, et qui n’éprouvera donc pas le bonheur d’être en phase avec sa vocation. Nous découvrons ici ce qu’est le bonheur, dans la perspective biblique : c’est le moment où se résorbe la distance entre notre vie réelle et la vie à laquelle Dieu nous appelle (cette distance, c’est ce que désigne le péché). Le bonheur surgit de cette adéquation entre ce que nous sommes et ce que Dieu désigne comme idéal de vie.
Voil l’intérêt de la prière : nous mettre à l’école de Dieu pour découvrir ce que nous sommes appelés à vivre, ce qui est juste et donc désirable. La prière consiste à nous mettre à l’écoute de la parole de Dieu, ce qui revient à méditer les textes bibliques, à les entendre résonner dans notre vie, dans la vie d’autres personnes, pour découvrir de quelles manières cela peut se concrétiser pour nous. La prière n’est pas tant la liste des courses que nous confions à Dieu, qu’un travail personnel pour discerner ce qui est divin dans la le monde qui nous entoure, et pour y adhérer par la foi. La prière pour faire ce travail de discernement qui consiste à relire notre vie à partir de ce qu’est l’Évangile, et pour pouvoir la réorienter si besoin.
C’est cela la véritable religion : relire notre vie à partir des textes bibliques qui nous révèlent ce que vivre veut dire, afin de procéder aux ajustements nécessaires qui nous permettront d’être en phrase avec une vie bonne (tov) et donc d’être orientés vers ce que Jésus appellera le Royaume de Dieu. Le bonheur sera d’avancer vers ce Royaume.
Plutôt que d’envisager la religion à partir du verbe latin religare, relier, faire du lien entre les hommes, la religion est à penser à partir du verbe religere qui signifie relire… relire notre vie à partir de l’exigence divine pour la porter à un degré supérieur d’accomplissement. Ce que Jésus indiquera par la formule : « soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait ». Pour cela il faut viser ce Dieu de miséricorde qui vient inlassablement à nous. C’est en donnant à notre vie cette orientation qu’advient le bonheur, parce qu’on réduit la distance entre celui que nous sommes et celui que nous pourrions être, ce qui revient à réduire le péché à rien.
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La louange
La prière n’a pas pour seule qualité de nous permettre de découvrir notre vocation, c’est-à-dire ce qui est fondamentalement juste pour nous. La prière permet également d’inscrire dans le temps ce bonheur provoqué par le fait que nous ne sommes plus tiraillés entre notre vie quotidienne et nos aspirations profondes. C’est ce qu’accomplit la louange.
Commençons par observer des louanges dans des cas limites : souvenons-nous de Daniel jeté dans la fosse aux lions et des jeunes gens jetés dans la fournaise. Le roi les voyait se déplacer librement au milieu des dangers. Pourquoi ? parce que tout avait commencé par une louange de leur part (Dn 3/17 ; 6/10). La louange consiste à reconnaître ce qui est bien et qui ne profite pas qu’à soi. C’est l’art de se réjouir de ce qui profite à plusieurs, voire à tous.
Cela nous délivre de l’envie de posséder quelque chose de façon exclusive ; de se réjouir du fait que les autres seraient privés de ce dont nous jouissons. La louange est une libération de l’envie d’accaparer, de posséder, de dominer. La louange est ouverture à l’autre. Elle permet à l’autre d’être sujet de sa propre vie. De ce fait, la louange participe au bonheur d’une manière universelle. C’est ce qui permet de métamorphoser la plaine de la Bakah, le pleur, en lieu plein de sources – passer de la tristesse à la fertilité. Cela permet de remettre les choses dans le bon sens, d’une donner une orientation plus juste à ce que nous vivons.
Pensons aussi à Marie qui rend visite à sa cousine Élisabeth qui est déjà enceinte. Sa cousine lui dit : « Bienheureuse celle qui a cru » (Luc 1/45). Marie répond par une autre louange, le Magnificat, qui intègre les autres qui vont, eux aussi, bénéficier de la grâce de Dieu qui passe par elle.
La louange n’est certainement pas le fait de dire merci à Dieu pour tout et pour n’importe quoi. Là encore, le travail de discernement est essentiel. Car, louer Dieu pour le massacre des innocents, c’est une perversité qui ne provoque pas le bonheur. C’est une joie méchante qui encourage le malheur. Il faut donc faire œuvre de théologien dans notre prière de louange pour ne pas accabler Dieu de ce qui ne lui revient pas. La prière participe à notre bonheur en nous permettant de faire le tri entre ce qui suscite le bonheur et le reste.
Il y a, enfin, cet élément du psaume qui permet d’identifier le bonheur. Le psalmiste dit : « Mieux vaut un jour dans tes parvis que mille ailleurs ». C’est la question du temps ressenti. Nous pouvons l’exprimer d’une manière plus simple, plus directe : le bonheur, c’est quand c’est trop court.
Amen
[1] Augustin, Confessions, III, 6, 11.