Pas d’espoir, mais de l’espérance


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1 Pierre 1/3-9

3 Béni soit Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus -Christ, qui, selon sa grande miséricorde, nous a régénérés, pour une espérance vivante, par la résurrection de Jésus -Christ d’entre les morts, 4 pour un héritage qui ne se peut ni corrompre, ni souiller, ni flétrir, lequel vous est réservé dans les cieux, 5 à vous qui, par la puissance de Dieu, êtes gardés par la foi pour le salut prêt à être révélé dans les derniers temps ! 6 C’est là ce qui fait votre joie, quoique maintenant, puisqu ‘il le faut, vous soyez attristés pour un peu de temps par diverses épreuves, 7 afin que l’épreuve de votre foi, plus précieuse que l’or périssable (qui cependant est éprouvé par le feu), ait pour résultat la louange, la gloire et l’honneur, lorsque Jésus -Christ apparaîtra, 8 lui que vous aimez sans l’avoir vu, en qui vous croyez sans le voir encore, vous réjouissant d’une joie ineffable et glorieuse, 9 parce que vous obtiendrez le salut de vos âmes pour prix de votre foi.

Chers frères et sœurs, que penseriez-vous si le culte commençait par cette exhortation : « abandonnez toute espérance, vous qui entrez ici[1] » ? Au moins vous ne seriez pas trop dépaysés. Cela ne nous changerait pas de l’ambiance générale qui n’est pas des plus optimistes et qui ne nous donne pas vraiment l’occasion de nourrir de grands espoirs pour l’avenir. Ce vers de la Divine comédie, de Dante, qui correspond si bien à ce que certains peuvent ressentir, nous révèle qu’il n’y a pas besoin d’attendre le jugement dernier pour connaître ce qu’est l’enfer : il est déjà là et bien là. L’enfer, c’est quand l’espérance est morte, quand il n’y a plus rien à espérer.

  1. l’espérance nous précède

D’une manière intuitive, nous pouvons nous dire que l’espérance est ce qui nous rattache à un avenir meilleur que notre présent. Sur un mode mineur, nous pouvons nous dire que l’espérance, c’est qu’il y ait un avenir. L’enfer, ce serait l’absence de tout avenir. Pas d’espérance donc pas d’avenir. Cette logique est juste. Celui qui n’est animé par aucune espérance n’attend plus rien et, quand on n’attend plus rien, même quand quelque chose arrive, on n’est pas prêt à en profiter. Et nous nous condamnons à n’avoir aucun avenir.

Toutefois, cette idée que l’espérance serait notre lien à l’avenir n’est pas tout à fait ce que le christianisme annonce au monde. L’espérance, en christianisme, ce n’est pas ce qui est devant nous. L’espérance, depuis le matin de Pâques, c’est ce qui nous précède. C’est ce que le théologien Jurgen Moltmann a montré à travers sa théologie de l’espérance qui fut une véritable révolution copernicienne au siècle dernier. Contre la sagesse populaire en forme de méthode Coué qui répète inlassablement « ça va aller », « ça va s’arranger », « tu vas voir, ça va aller mieux », Moltmann nous a rendus attentifs au fait que Pâques déclare à la face du monde : « ça s’est bien passé ». Et maintenant, nous pouvons vivre de cette bonne nouvelle. Une bonne nouvelle qui n’avait rien de neuf, puisqu’elle faisait résonner la vieille antienne de Genèse 1 : « Dieu vit que cela était vivable », et même « très vivable » quand l’humanité véritable apparut.

L’espérance chrétienne, c’est comme une personne qui utilise le tableur Excel sur son ordinateur. Il aimerait bien pouvoir faire un tri automatique de toutes ses données. Mais est-ce que la fonction dont il a besoin, existe ? Ou va-t-il devoir se débrouiller pour faire le tri à la main ? Dès lors qu’un autre utilisateur lui apprend que la fonction existe, il sait qu’il ne cherchera pas en vain et qu’il pourra trouver ce dont il a besoin.

De la même manière, Pâques proclame que la vie en plénitude existe, que nous n’avons pas à nous résigner à une vie absurde ou entièrement marquée par la peur de la mort. Pâques proclame que la mort ne guide plus notre quotidien. Pâques proclame que même la mort ne peut pas faire taire le pouvoir créateur que Dieu désigne. Et cette proclamation nous précède pour nous mettre en route, pour libérer nos initiatives.  L’espérance nous précède.

  1. non pas des espoirs vains, mais l’espérance

Cela nous conduit à faire une distinction entre espoir et espérance. Distinguer les deux, c’est justement distinguer d’une part ce qui relève du pari sur l’avenir et, d’autre part, l’avenir qui se fonde sur la puissance créatrice à l’œuvre dans la vie. L’espoir, c’est imaginer que quelque chose va arriver. On ne sait pas comment, mais on souhaite fort que ça arrive. Ce peut être l’espoir de gagner à un jeu de hasard. Ou alors, ce peut être l’espoir qu’il ne pleuve pas demain. Ce peut être l’espoir d’avoir un garçon, ou d’avoir une fille. Ce peut être l’espoir que ça s’arrange dans un coin du monde où nous ne mettrons pas les pieds.

Sur le plan religieux, un espoir de cette nature s’est développé, qui consiste à imaginer qu’on va survivre à la mort, qu’on va échapper à l’enfer, qu’on sera dans un paradis douillet où l’on retrouvera les gens qu’on aime bien, dans un état plus proche de celui de nos vingt ans que dix minutes avant de mourir.

Mais l’espérance chrétienne, ce n’est pas cela. L’espérance n’est pas un espoir de survivre à la mort. C’est, dès à présent, un réveil, une naissance d’en haut, une nouvelle naissance dont Jésus parle à Nicodème qui l’interroge (Jean 3). C’est la régénération dont il est question dans cette lettre de Pierre (v. 3), obtenue par Pâques qui nous précède, et que nous recevons en héritage. L’espérance, c’est vivre en mettant à profit les capacités de vivre que Dieu nous donne pour le temps présent. L’espérance, ce n’est pas l’espoir que ça va être mieux après, c’est la transfiguration de notre présent ; c’est la transfiguration de notre vie qui devient une existence : notre vie devient plus grande que ce qu’elle est quand nous attendons les bras croisés que ça s’arrange par l’opération du saint Esprit, en imaginant que le saint Esprit c’est une force surnaturelle qui arrange ce qui ne va pas.

Or, le saint Esprit, ce sont les interactions entre tous ceux qui orientent leur vie selon ce que Dieu donne à vivre. Le saint Esprit, le souffle de Dieu, c’est le mouvement de notre vie vers l’horizon que Dieu nous révèle. Le saint Esprit, c’est ce qui désigne tous les mouvements que nous faisons non pas dans le sens de ce qui nous fait plaisir, de ce qui nous arrange personnellement, dans le sens de notre propre nature pour reprendre Paul qui écrit au Galates. Le Saint Esprit c’est ce qui désigne les mouvements que nous faisons dans le sens de Dieu, c’est-à-dire dans le sens de l’universel, d’une manière inconditionnée, non partisane.

L’espérance repère dans toutes les possibilités de notre histoire ce qui correspond à ce que Dieu révèle. Et la foi est notre attachement viscéral aux signes de Dieu que l’espérance a repérés (Hb 11/1).

L’espérance repère que les forces mortifères qui se sont déchaînées lors du vendredi saint, ne sont pas venues à bout du désir de vivre sans esprit de rivalité incarné par Jésus.  Voilà pourquoi la paix n’est pas un espoir, mais une espérance : la paix reste possible.

Dans le même ordre d’idée, la justice n’est pas un espoir : l’injustice du vendredi saint n’a pas terrassé la justice divine. Par conséquent la justice n’est pas un espoir que cela pourrait nous arriver comme les bons numéros du loto ; la justice est une espérance parce que la justice reste praticable. Même chose pour l’amour inconditionnel. Pour nous, ce n’est pas de l’ordre de l’espoir… « on va peut-être aimer ou être aimé ». C’est une espérance : l’amour est possible et on peut aimer sans malice, sans calcul, selon ce que la grâce nous inspire.

Tout cela est comme un héritage incorruptible, que rien ne peut souiller, ni flétrir (v. 4). Ainsi, l’espérance, c’est la prise de conscience que le monde est plein de toutes les possibilités que Dieu désigne.

  1. L’espérance chrétienne est une attente créatrice

L’espérance n’est donc pas une fuite en avant, ce qu’est l’espoir. Dans la perspective biblique, l’espérance c’est une attente créatrice : tout ne dépend pas de nous, mais rien n’advient en se croisant les bras. L’espérance n’est pas une attente passive. C’est une contestation de ce qui, dans le monde, n’est pas orienté selon l’Évangile. L’espérance est une contestation de l’acceptation de la souffrance et de l’injustice. C’est une contestation de la domination. C’est une contestation de la fatalité. L’espérance est une contestation vigoureuse de la lâcheté. D’ailleurs, quand le livre de l’Apocalypse fait la liste de ceux qui subiront la mort éternelle (Ap 21/8), ce ne sont pas les incroyants qui viennent en premier, mais les lâches, ceux qui sont découragés, ceux qui renoncent, ceux qui abandonnent la lutte, ceux qui se soumettent, ceux qui perdent de vue ce que l’Évangile révèle.

Moltmann a attiré l’attention sur le fait que le plus grand péché, c’est le manque d’espérance[2]. Et dans le même temps, il a indiqué quel est cet horizon que l’Évangile révèle. Je le cite lorsqu’il présente la plénitude de Dieu : « la plénitude de Dieu est la plénitude débordante de la vie divine qui se communique de façon inépuisable et créatrice ; une vie débordante qui donne vie à ce qui est mort et qui a dépéri ; une vie de laquelle tout ce qui vit reçoit la force et la joie de vivre ; une source de vie à laquelle tout ce qui a reçu la vie répond avec une joie profonde… la plénitude de Dieu est lumière qui rayonne[3]. »

Voilà pourquoi cette lettre de Pierre parle de croyants qui tressaillent d’allégresse, même s’ils sont affligés par toutes sortes d’épreuves. Le fait même que l’espérance soit une contestation d’un ordre du monde hostile à la plénitude de Dieu, indique que notre vie ne peut pas être encore tout à fait douce. Elle est déjà profondément marquée par la grâce de Dieu, mais pas encore en plénitude. Le monde est déjà riche de réjouissances, mais pas encore pleinement traversé par la puissance de l’amour divin que Jésus a incarné.

Si les chrétiens s’en remettaient à leurs espoirs, l’avenir ne serait que le résultat de forces surnaturelles à l’œuvre dans un arrière-monde, ou le fait de l’évolution. Mais parce qu’il s’agit d’espérance, les chrétiens ne délèguent pas leurs responsabilités dans le cours des événements. Ils ne se laissent pas porter par les courants dominants, mais ils visent ce que la parole de Dieu leur indique. C’est alors que l’évangile devient promesse, ce que nous comprenons mieux dans la langue grecque : l’euangelion devient epangelia. L’épître aux Hébreux (ch. 11) reprend une partie de l’histoire de la Bible hébraïque pour souligner que cette histoire est devenue histoire du salut parce que des personnes ont eu foi dans la promesse qui les concernait – Abraham, Sarah, Isaac, Gédéon, Barak, Samson, David, Samuel, Daniel et les prophètes.

La promesse, n’est pas une prophétie de Cassandre qui annoncerait à l’avance ce qui va arriver. En effet, la promesse est le contenu de l’espérance qui repère ce qui est souhaitable. La promesse n’est pas l’annonce à l’avance de ce qui va nous arriver, mais la révélation de ce que Dieu a accompli pour nous et qui nous permet de vivre pleinement. Notre espérance se fonde dans la Bonne Nouvelle de Pâques qui devient la promesse du salut de notre âme (v. 9). Cette promesse nous déclare :

« Toi qui es entré ici, accueille l’espérance vivante ».

Amen

[1] Dante, Divine comédie, chant III.

[2] Jurgen Moltmann, Théologie de l’espérance.

[3] Jurgen Moltmann, Le rire de l’Univers.

4 commentaires

  1. Quelle jouvence pour une très vieille dame qui n’a plus d’espoir mais après cette lecture , un plein d’espérance.Merci

  2. Je vous cite : « D’une manière intuitive, nous pouvons nous dire que l’espérance est ce qui nous rattache à un avenir meilleur que notre présent. Sur un mode mineur, nous pouvons nous dire que l’espérance, c’est qu’il y ait un avenir. L’enfer, ce serait l’absence de tout avenir. Pas d’espérance donc pas d’avenir. Cette logique est juste. Celui qui n’est animé par aucune espérance n’attend plus rien et, quand on n’attend plus rien, même quand quelque chose arrive, on n’est pas prêt à en profiter. Et nous nous condamnons à n’avoir aucun avenir » . Je pense à une merveilleuse famille afghane avec trois petites filles que j’accompagne juridiquement, qui même après une décision de dernière instance dans un état de droit, ne peut accepter être dublinisée vers la Croatie, Europe, où des ONG les attendent, et qui ne voit que la fin de toute espérance. Je vais lui transmettre ce message de vie. Votre message m’en a donné la conviction. Merci pour ces paroles de valeurs universelles.

    1. Précisément, l’espérance repère que dans un état de droit, la justice inconditionnelle peut prévaloir. Ici, c’est une famille iranienne qui a pu s’installer et s’épanouir, en dépit d’une première Obligation à Quitter le Territoire Français. Chaque situation est bien particulière, et chaque personne, chaque famille, chaque citoyen peut découvrir les points d’appui qui ne correspondent pas forcément à ses espoirs, mais qui permettront de porter leur existence à un degré supérieur. Cordialement, JW

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