Le projet de loi 2462 relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie, déposé le mercredi 10 avril, porte-t-il la vie à l’incandescence ?
À partir du moment où l’on considère que ce projet de loi permet l’aide à mourir ou au suicide, il n’y a pas de raison de penser qu’il aille dans le sens de l’Évangile. Les mots ont un sens.
Le projet de loi parle du « suicide » dans l’exposé des motifs, relativement à l’article 20 qui « a pour objet de neutraliser les dispositions législatives du code des assurances et de la mutualité qui prévoient des exclusions de garantie en cas de suicide la première année… ». Et c’est tout.
Le projet de loi parle de « l’aide à mourir », en particulier au Titre II. Il est précisé que « l’aide à mourir consiste à autoriser et à accompagner la mise à disposition, à une personne qui en a exprimé la demande, d’une substance létale, dans les conditions et selon les modalités prévues aux articles 6 à 11, afin qu’elle se l’administre ou, lorsqu’elle n’est pas en mesure physiquement d’y procéder, se la fasse administrer par un médecin, un infirmier ou une personne volontaire qu’elle désigne. » Il est précisé, dans cet article 5 du chapitre Ier que l’aide à mourir « est un acte autorisé par la loi au sens de l’article 122-4 du code pénal. »
Comme vient de le préciser François Clavairoly dans sa tribune Oser la loi, consacrée à ce projet de loi, rappelle un constat : « Aujourd’hui, nous mourons mal en France ». Cela le conduit à espérer une « éthique de la détresse », à la suite du philosophe Paul Ricœur qui proposait de suspendre la norme « tu ne tueras pas » dans le cas de situations où la souffrance dure. La question est bien celle qui est posée dans ce paragraphe de la tribune de Clavairoly : aider à mourir peut-il relever ?
Ne plus vouloir vivre
Ce projet de loi ne s’adresse pas à toute personne qui veut en finir avec la vie. Il ne concerne pas les personnes qui se sentent mal et qui veulent abréger leurs jours. L’article 6 précise les conditions, la troisième étant le fait d’être atteint d’une affection grave et incurable engageant son pronostic vital à court ou moyen terme. Le quatrième critère est de présenter une souffrance physique ou psychologique liée à cette affection.
Ce ne serait donc pas un projet pour le prophète Élie qui, selon 1 Rois 19/4, « demanda la mort en disant : c’est est trop ! Maintenant, Éternel, prends ma vie, car je ne suis pas meilleur que mes pères. » Ce ne serait pas non plus un cadre légal pour Jérémie qui en vint à regretter le jour de sa naissance (Jérémie 20). Cela n’aurait pas été le cas non plus pour Judas qui passera à l’acte selon la version de Matthieu 37/3-10. Ceux-là ont en commun de ne pas subir une affection incurable. Pour eux, une éthique de la sollicitude est requise pour leur révéler que leur dignité n’est pas remise en cause par un contexte défavorable de manière temporaire.
Jésus a incarné cette sollicitude qui consiste à relever des personnes que tout écrase, que tout empêche de vivre. Jésus a été une puissance de résurrection pour des personnes qui n’avaient plus la moindre espérance au cœur.
Être rassasié de jours
Mais il n’y a pas que ces situations réversibles. Il y a aussi ces personnes qui me disent que Dieu les a oubliées, que ça suffit. Parfois, c’est l’usure, l’ennui, la lassitude des jours qui n’ont plus aucun sens à plus de 95 ans qui sont en cause. Le projet de loi n’est pas une réponse à ces situations. Il y a aussi ces personnes qui sont rassasiées de jours et qui considèrent que le moment est venu pour elles d’être enterré avec les siens. Le projet de loi ne les concernera pas. On peut le regretter parce que ce constat d’être rassasié de jours est une donnée biblique qui revient souvent et qui dit à quel point la finitude est une donnée de l’existence humaine dont il faut tenir compte. C’est d’ailleurs en vertu de cette finitude qu’on en a fini avec l’acharnement thérapeutique qui voulait sauver la vie biologique à tout prix. La perspective biblique n’est pas celle-ci : la vie biologique n’est pas sacrée. La vie, au sens biologique, n’a pas une dignité infinie à laquelle il faudrait tout sacrifier.
Quand l’aide à mourir relève
C’est pour cela que le premier messie d’Israël, le roi Saül, demande à son écuyer de le percer de sa lance. Il veut échapper à l’outrage qui lui serait causé par les Philistins qui sont sur le point de l’emporter. Comme son écuyer refuse cet aide à mourir, Saül prend son épée et se jette dessus (1 S 31/4). Ainsi il échappera aux souffrances physiques et psychologiques que les Philistins lui auraient fait subir – ils lui couperont la tête et accrocheront son cadavre sur la muraille de Beth-Shean (1 S 31/9-11). Mais tout le monde n’a pas la possibilité de faire comme Saül, notamment parce qu’il y a des moments où la force physique n’est plus suffisante pour abréger ses souffrances. C’est alors qu’une intervention peut être utile pour relever la fin de vie.
L’aide à mourir peut être une manière de prendre soin des derniers moments d’une vie en respectant la personne qui est affrontée à sa fin. Il est important de redire l’importance des soins palliatifs qui ont permis de métamorphoser la fin de vie de bien des personnes et, parfois, de leur offrir une nouvelle vie. Certainement les soins palliatifs n’ont-ils pas eu l’essor qu’on aurait pu attendre ces trente dernières années. Ces soins palliatifs ont permis de passer d’une situation où la vie était sacralisée, à une situation où l’on s’efforçait de sanctifier l’humanité en retrouvant la valeur des relations interpersonnelles, du regard bienveillant, de l’attitude de sollicitude. Les soins palliatifs sont une manière d’incarner la grâce auprès de ceux qui éprouvent le malheur et qui imaginent qu’ils ne sont plus dignes d’être aimés.
Dans les services accompagnant la fin de vie, il n’est pas rare de constater que les personnes en fin de vie tiennent jusqu’à ce qu’elles aient pu dire au revoir. Et, au moment où l’accompagnant fait une pause, sa chercher quelque chose ou s’endort, les personnes s’endorment à jamais, saisissant ce dernier degré de liberté. Cela indique qu’elles acceptent leur finitude et qu’elles interviennent, en prenant leur responsabilité. Cependant, il arrive que le corps ne soit pas suffisamment à cours de vitalité et les fonctions biologiques poursuivent leur œuvre, malgré la volonté de la personne qui vit alors une longue agonie, prisonnière d’un corps qui lui refuse sa liberté. Tout le monde ne meurt pas à la manière de Jacob, aussitôt après avoir donné ses dernières paroles à ses enfants (Genèse 49/33).
L’aide à mourir, dans ce cas, peut être une manière de relever la personne qui n’aura pas à sombrer un peu plus dans la souffrance alors qu’elle pourrait quitter les siens sur une action de grâce et, de fait, la satisfaction d’être rassasiée de jours sans qu’il y ait à ajouter du malheur à cette paix alors atteinte. Accepter la fin témoigne d’un haut degré de spiritualité. Si la loi permet de ne pas pénaliser cela, c’est un point positif.
Il semblerait que les personnes atteintes de sénilité, de la maladie d’Alzeihmer, ou d’autres maladies de ce type ne puissent pas bénéficier des futures dispositions concernant la fin de vie, même si elles ont laissé des instructions alors qu’elles étaient en état de le faire. On a beaucoup parlé ces derniers temps du droit de disposer de son corps, et c’est une bonne chose. Mais pourquoi les personnes âgées ne seraient elles pas concernées par ce droit ? Savoir qu’elles ont une (petite) maîtrise de leur fin permettrait de vivre plus sereinement la dernière étape de leur vie qui peut être autre chose qu’une attente de moments difficiles.