Ni optimiste, ni pessimiste, mais responsable : Jésus aux Jeux paralympiques

 


Jean 5/2-9

Or, à Jérusalem, près de la porte des brebis, il y a une piscine qui s’appelle en hébreu Béthesda, et qui a cinq portiques. 3 Sous ces portiques étaient couchés en grand nombre des malades, des aveugles, des boiteux, des paralytiques, qui attendaient le mouvement de l’eau; 4 car un ange descendait de temps en temps dans la piscine, et agitait l’eau; et celui qui y descendait le premier après que l’eau avait été agitée était guéri, quelle que fût sa maladie. 5 Là se trouvait un homme malade depuis trente -huit ans. 6 Jésus, l ‘ayant vu couché, et sachant qu ‘il était malade depuis longtemps, lui dit: Veux-tu être guéri ? 7 Le malade lui répondit: Seigneur, je n’ai personne pour me jeter dans la piscine quand l’eau est agitée, et, pendant que j ‘y vais, un autre descend avant moi. 8 Lève-toi, lui dit Jésus, prends ton lit, et marche. 9 Aussitôt cet homme fut guéri; il prit son lit, et marcha. C’était un jour de sabbat.

Chers frères et sœurs, nous voici donc, avec ce texte biblique, au bord du bassin paralympique. Les concurrents se succèdent sur le podium de la guérison. C’est la cour des miracles où se retrouvent des personnes souffrant de divers maux. La scène est belle, elle doit susciter de l’enthousiasme, sauf pour une personne, malade depuis 38 ans, qui se retrouve là, reléguée à la dernière place. Elle est derrière tous ceux qui ont réussi à atteindre la ligne d’eau, au bon moment. Et Jésus va intervenir dans cette situation de liesse populaire qui oublie celles et ceux qui sont laissés sur le carreau.

  1. Une anthropologie de l’asthénie

Le premier point que je relève est que cet épisode biblique nous renseigne sur la vision de l’homme que développe la foi chrétienne. Sur qui Jésus porte-t-il son regard ? Sur celui qui est désigné comme faible, asthénique dit le texte grec. En allant vers le dernier de la compétition du moment, Jésus indique son intérêt pour celui qui souffre d’asthénie. Aller au devant du faible, c’est la vocation du Christ.

Cela nous renseigne sur la vision de l’homme : l’homme est fragile. Comme le dit le psaume 103, il est comme la fleur des champs. Un vent passe, et le lieu où il se trouvait ne le connaît plus. Ce qui caractérise l’humain, c’est qu’il est asthénique, faible, fragile.

Dans le règne animal, le petit d’homme est celui qui met le plus de temps à devenir autonome. Il lui faut un long apprentissage pour apprendre à se déplacer, à se nourrir, à survivre, et ensuite à vivre en société. L’être humain est naturellement faible. C’est le plus faible des êtres vivants. C’est une faiblesse qui peut empoisonner toute son existence. Ne pas prendre conscience de cette asthénie naturelle, c’est se condamner à vivre dans l’incompréhension à l’égard des difficultés que nous rencontrons, et des souffrances que nous éprouvons.

Naturellement, nous sommes faibles, asthénique. Et si nous ne sommes pas libérés de cette image primordiale de l’être asthénique, si nous ne sommes pas libérés de la pensée funeste que c’est trop difficile, que nous n’y arriverons pas, nous sommes comme cet homme qui erre depuis 38 ans dans un désert existentiel (Dt 2/14 dit que la génération rebelle a erré dans le désert pendant 38 ans, puis elle est morte avant d’entrer en terre promise). Si nous sommes résignés, face aux difficultés de la vie, alors nous sommes comme cet homme qui n’y croit pas, qui n’y croit plus. Cet homme est persuadé qu’il n’y arrivera pas. Il ne se sent pas légitime. Il souffre peut-être du syndrome de l’imposteur, celui qui pense qu’il prend la place de quelqu’un d’autre.

À lire la Bible, on peut se dire que la vision de l’homme n’est pas optimiste. Effectivement, les rédacteurs bibliques ne nous font pas croire que les problèmes vont se régler tout seul, sans effort et que, forcément, après la pluie le beau temps. Mais l’anthropologie biblique, si elle n’est pas optimiste, n’est pas non plus pessimiste, au sens où tout serait fichu et qu’il n’y aurait rien à faire pour arranger les situations problématiques.

En allant au contact de cet homme asthénique, empêché de réussir sa vie, Jésus va chercher à le libérer de ce qui le retient d’avancer dans la vie, ce qui le rend infirme. Il va chercher et guérir celui qui se pensait perdu. Voyons comment il s’y prend

  1. La guérison par l’appel

Cette libération, l’homme pense qu’elle arrivera magiquement par un plongeon dans l’eau : l’eau qui nettoie, l’eau qui purifie. Or cet homme ne sera pas guéri du mal qui l’handicape en étant jeté dans l’eau par Jésus. Il ne sera pas non plus touché par la main de Jésus qui pourrait être doté de pouvoirs spéciaux qui se transmettraient par le contact physique. Si Jésus touche l’homme, c’est par la parole. C’est par la parole que l’homme cesse d’être comme entravé.

On retient souvent la phrase qui apparaît à plusieurs endroits « prends ton grabat et marche », mais ce qui ouvre la voie de la rédemption, c’est l’intérêt que Jésus porte à cet homme : « veux-tu guérir ? » lui demande-t-il ?

La faiblesse de l’homme est surmontée par l’appel du Christ. C’est un appel qui ouvre l’homme à une réalité dont il n’avait pas conscience. L’appel du Christ est entendu par cet homme, qui a donc été touché par sa sollicitude. Il ne répond pas qu’il veut guérir, il répond par des excuses.

Notons que cet homme n’a pas du tout l’esprit sportif. Au lieu de chercher des solutions pour améliorer sa situation, sa condition, il cherche des excuses. S’il n’y arrive pas, c’est parce qu’il n’a personne pour le jeter dans l’eau. S’il n’y arrive pas, c’est parce que les autres sont plus rapides. C’est à cause des autres.

Alors Jésus continue son œuvre de libération. Il lui dit de se lever. C’est le verbe egeirein, en grec, ce verbe qui est utilisé pour parler de la résurrection. Debout les faibles, debout les asthéniques, debout ceux qui ceux qui sont restés sur le carreau. La résurrection c’est pour maintenant. Et Jésus poursuit, en demandant à cet homme de prendre ses affaires et de circuler, car il n’a rien à faire dans cet endroit qui n’est pas un lieu pour vivre.

Il n’est pas dit que l’homme était désormais capable de courir un 100 mètres en moins de dix secondes. Le rédacteur nous fait comprendre qu’il est désormais libéré de cette mauvaise image qu’il avait de lui-même. Libéré de ses entraves, il va pouvoir désormais mener son existence et ne plus se focaliser sur son état naturel. L’appel du Christ fait retentir ce qui deviendra la question philosophique par excellence : « que m’est-il permis d’espérer ? » Et nous sommes redressés, ressuscités, pour répondre à cette question.

  1. Devenir responsable

Ce texte nous dit que la condition naturelle de l’humain est l’asthénie. Ce texte nous montre que Jésus incarne la volonté de Dieu qui consiste à transcender cette situation initiale en nous appelant à sortir de cet état naturel. Ce texte n’est ni optimiste, ni pessimiste, il développe une anthropologie de la responsabilité. Il nous dit que nous sommes libérés pour mener une existence responsable : répondre aux questions qui se posent, répondre aux défis qui se présentent.

Voyez comme Jésus ne porte pas sur cet homme un regard condescendant, comme cela arrive malheureusement trop souvent en direction des personnes en difficultés, envers les personnes en situation de handicap. Si Jésus avait été condescendant, il n’aurait pas été son libérateur. Il l’aurait laissé dans cette situation initiale d’asthénie : les attitudes empreintes de gentillesse qui ne cherchent pas à rendre les gens responsables, entretiennent la faiblesse des personnes. En disant à cet homme de se mettre en marche et de prendre ses affaires, Jésus déclare à l’homme qu’il est capable d’accomplir ce qui lui semblait inaccessible.

Comment ne pas penser à tous ces athlètes époustouflants qui n’ont pas considéré leur état physique comme un empêchement de faire du sport à un niveau qui à de quoi faire rêver ceux qui, un peu trop rapidement, se considéreraient comme des personnes normales. Précisément, Jésus fait tomber la frontière entre le normal et le pathologique en révélant que nous avons la possibilité de transcender notre asthénie naturelle. Jésus révèle que ce que nous considérons si souvent comme un empêchement de pouvoir mener une existence normale, est en fait une contrainte dont il faut tenir compte, et non le fait que nous ne serions pas totalement humain, que nous ne serions pas dignes d’être comptés parmi les gens normaux.

Il serait d’ailleurs préférable qu’il n’y ait pas deux jeux olympiques distincts, mais une seule olympiade réunissant tous les sportifs, qui concourraient selon des catégories qui feraient justice à chacun : au même titre qu’un judoka de 100 kg ne combat pas contre quelqu’un qui en pèse 50, un nageur ne possédant pas tous ses membres serait dans une autre catégorie que celui qui n’est pas plus valide, qui n’est pas plus normal, mais qui possède quatre membres.

La normalité n’est pas un concept théologique, au sens où ce n’est pas un concept capable de rendre compte de ce qu’est la vie, ni de ce qu’elle pourrait être. La théologie nous rends plutôt attentifs au fait que nous sommes tous asthéniques et que Dieu désigne ce qui nous libère de cette asthénie naturelle en nous donnant du souffle, ce qui est le geste créateur de Genèse 2, pour donner de l’amplitude à notre vie.

La foi, en tant que réponse à l’appel divin, indique que nous devenons un être responsable, un être qui répond aux questions qui lui sont posées par la vie, un être qui répond aux défis qui se présentent et qui, parfois, nous semblent insurmontables. La foi nous rend responsables de notre vie, et de la vie des autres, car il n’y a pas d’appel divin qui ne soit relayé par des personnes qui, à l’image de Jésus, s’adressent à ceux dont la faiblesse est le seul horizon. C’est ainsi que Dieu injecte de la transcendance dans notre quotidien, par l’intermédiaire de ceux qui font retentir l’appel divin à mener sa propre vie. Il nous appartient, bien entendu, de faire retentir des appels divins aux oreilles de ceux qui se résignent à une vie qui n’est que l’ombre d’elle-même.

Dieu sait que nous sommes fragiles comme la fleur des champs, mais cette fragilité de l’existence est assumée par l’amour de Dieu qui, au lieu de nous placer dans un herbier au milieu d’autres fleurs desséchées, nous communique ce souffle, cet élan, qui va dans le sens de ce que nous pouvons réaliser personnellement. Dieu, c’est ce qui nous rend responsable de nous-mêmes, des autres, en nous permettant de faire quelque chose d’humain des situations asthéniques que nous rencontrons. Même les jours fériés.

Amen

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