L’Église comme projet. Un livre pour penser la mission des Églises

Didier Halter est en charge de la formation pour le Églises protestantes romandes (Suisse) après avoir exercé différentes responsabilités ecclésiales. C’est fort de cette expérience qu’il s’intéresse à l’avenir de l’Église, non pas pour sauver une institution qui n’est pas bien portante, mais pour donner l’occasion aux cadres d’Église de penser l’avenir. Se projeter, n’est-ce pas l’une des difficultés majeures des responsables de l’Église à tous les échelons ?

Pour penser théologiquement ce sujet, Didier Halter développe sa pensée à partir d’une théologie de la Création et d’une théologie du Royaume, éléments de notre patrimoine qui permettent de penser le pouvoir transformateur de l’Église : il ne s’agit vraiment pas de penser l’avenir de l’Église autrement que pour ce que l’Église peut entreprendre pour la société en engageant une dynamique de transformation du monde inspirée par l’Évangile.

Didier Halter propose des éléments méthodologiques pour mettre les équipes en ordre de marche selon une logique de projet qui, pour être viable, doit être cohérent et pertinent : cohérence avec les valeurs des personnes et de l’institution ; pertinence par rapport à la situation dans laquelle naît le projet (le contexte, autrement dit).

Théologie de la création : la théologie chrétienne développe une compréhension du réel qui est inachevé, ce qui signifie qu’il est possible de s’y impliquer pour y apporter les modifications souhaitables. La théologie de la création qui se fonde notamment sur Genèse 1-11 révèle que le monde n’est pas à conserver en l’état, mais à créer encore et encore. Dieu et l’humain ne sont pas immuables : ils sont en mouvement, ils progressent.

Théologie du Royaume : dans l’évangile de Marc 1/14-16, le Royaume de Dieu est proche, à portée de main, susceptible de faire irruption dans notre histoire à tout moment. Cela neutralise les discours qui renvoient l’urgence de l’Évangile au dernier jour – ce qui couperait court à toute nécessité du moindre projet de transformation. Ce serait une posture conservatrice propice pour maintenir les puissants à leur place, perspective que brise le Magnificat, l’action de grâces de Marie quand elle apprend qu’elle va faire venir au monde le Christ-Jésus (Luc 1/46 et suivants).

Halter repère quatre caractéristiques au Royaume :

  • Accueil inconditionnel de l’humain, dans sa totalité
  • Manifeste la justice de Dieu
  • Pleine communion entre Dieu et les humains, et entre les humains eux-mêmes
  • Les forces de l’absurde et du chaos sont jugulées

La foi ne consiste pas à nous épargner l’immersion dans ce monde en nous plaçant dans un autre monde. Elle nous arrache à l’immobilisme de ce monde pour nous faire agir en faveur d’une monde autre, d’un autre ordre du monde.

 

L’Église

Ces considérations permettent de repenser l’Église elle-même. Elle est :

  • créature de la parole de Dieu
  • Communion des croyants
  • Célébrante, sans quoi elle se coupe de son Dieu et devient juste une association de bienfaisance et de relations sociales.

Halter insiste bien sur le fait que le culte n’est pas une activité parmi d’autres ; c’est une priorité, le cœur qui irrigue tout le reste. C’est le culte qui permet à l’Église d’être « le signe du projet de Dieu pour sa création. »

L’Église n’est ni le Royaume de Dieu, ni son anticipation : cela doit nous prémunir de bien des désillusions et de bien des tyrannies. Elle travaille à rendre visible l’horizon de Dieu qu’est le Royaume.

Logique de projet

Préciser le vocabulaire permet de s’entendre sur les éléments constitutifs d’un projet et cela permet d’en parler avec d’autres sans malentendus. Halter propose trois mots clefs :

  • Finalité : effet recherché au final
  • But : impact attendu d’une action, d’une formation, d’un événement
  • Objectif : réalisations nécessaires

Rapportés à l’Église, ces termes expriment les réalités suivantes :

  • La Finalité dans laquelle s’inscrit l’Église est le Royaume de Dieu, Royaume qui n’est pas la finalité de l’Église, mais de la création tout entière
  • Le but est de signifier le Royaume de Dieu et d’inviter les humains à participer à son émergence
  • Les objectifs sont les actions menées pour signifier de façon crédible l’advenue du Royaume

Cela montre que l’Église n’agit pas pour elle-même, pour sa propre survie : elle est au service du projet de Dieu. Cela veut dire que si elle venait à disparaître, cela ne remettrait pas en cause le Royaume. J’ajouterai que ce qui remet en cause le Royaume, c’est l’Église lorsqu’elle prétend être au service de Dieu alors qu’elle ne pense qu’à sa conservation.

Évidemment, pour savoir à quel besoin du monde répondre, encore faut-il être à l’écoute des contemporains et analyser ce qu’ils expriment, et agir. L’Église ne saurait se vautrer dans l’accumulation de paroles désincarnées. L’Église est là pour faire du lien et pour produire du sens de manière active.

L’organisation protestante

Les Églises protestantes sont souvent organisées selon un régime presbytérien-synodal qui, pour l’Église protestante unie de France, par exemple, confère le pouvoir à deux lieux institutionnels : le conseil presbytéral, qui est le conseil de l’Église locale, et le synode national qui est l’équivalent de l’Assemblée Générale de toutes les associations cultuelles qui font partie de l’union nationale.

Pour que cette organisation fonctionne convenablement, chacun des acteurs doit être conscient de ce qui lui revient de décider et de ce qui revient à d’autres. Il faut aussi que les modes de décision soient fluides. Ce système a une particularité, il « se réfère à une instance transcendante extérieure à l’organisation » : Dieu. Cela nécessite une régulation théologique du fonctionnement et des prises de décision. Au regard des ministères reconnus par la Réforme (pasteur, diacre, ancien, docteur), c’est le ministère doctoral qui a pour vocation, entre autres, de veiller à ce que l’institution n’ait pas pour finalité sa propre perpétuation. Pour Halter, ce pourrait être un ministère collégial.

Halter repère que le ministère d’ancien est dépositaire du sens de la mission et de la qualité du témoignage rendu par l’Église au Royaume qui vient ; c’est pour cela qu’il considère que ce ministère nécessite une formation importante Ce ministère est investi d’une autorité qui consiste à faire grandir , mais aussi d’un pouvoir qui contient une forme de violence légitime : « user d’une force de contrainte qui peut faire violence à celle ou celui qui la subit ». En effet, la capacité de dire « oui » est corrélée à la capacité de dire « non ».

Quelle est la place des pasteurs dans ce type de dispositif ? C’est celui dont la mission d’Église sera de permettre à chacun de devenir théologien de sa propre vie.

Tension entre professionnels et bénévoles

À ce sujet, Halter se penche sur la tension entre professionnels et bénévoles. Comme il le souligne, « on attend un haut niveau de professionnalisme » à l’égard du pasteur. Comment cela pourrait-il être sans qu’il y ait réciprocité ? Les pasteurs sont en droit d’attendre un haut niveau d’exigence personnel de la part de ses partenaires au niveau local – on ne saurait se satisfaire de l’ « à peu près ». C’est pour cette raison qu’une formation des bénévoles est nécessaire : informer sur les règles de fonctionnement de l’institution et former spécifiquement au ministère local exercé.

Innover

Qui dit transformer le monde, dit innover. Or le Conseil d’Église est responsable de l’innovation et non en charge d’innover : à lui de favoriser l’innovation et de la cadrer, mais pas d’innover : « une autorité d’Église ne doit pas se soucier de faire, encore moins de faire à la place des autres, mais de donner les conditions pour que ce qui est à faire se fasse ». Cela se fait en encourageant la discussion autour des projets novateurs, mettre en place les conditions du discernement pour voir si les innovations sont en cohérence avec les valeurs de l’Église.

Ensuite, il convient de faire émerger un consensus sur les moyens et les objectifs et ensuite de déléguer la réalisation à ceux qui savent faire et reçoivent mandat pour cela. Cela implique aussi le droit de se tromper, d’arrêter une action, de réorienter, point sur lequel Didier Halter aurait pu appuyer.

Il faut être conscient que l’institution n’aime pas innover. Les innovations se font rarement par une décision hiérarchique, plutôt par les marges, par des initiatives isolées. Félix Moser, dans la préface, milite pour que l’Église n’empêche pas que soient menés les projets portés par quelques personnes, qui ne recueillerait pas le soutien d’une majorité ecclésiale – faire droit à une réponse de quelqu’un à une urgence ou une opportunité de proclamer l’Évangile : il faut essayer, après avoir constaté la cohérence et la pertinence, plutôt que tergiverser.

L’activité théologique permet de tenir ensemble les pôles en tension et de leur faire faire alliance au service de la mission de l’Église qui a besoin de différents pôles. L’activité théologique consiste à transcender toutes les composantes.

Reste à savoir ce qu’est le Royaume de Dieu au XXIè, là où nous vivons. C’est un travail théologique d’élucider ce point sans quoi les finalités seront ambiguës, et le reste de la vie de l’Église chaotique.

 

Didier Halter, L’Église comme projet. Signer le Royaume, Lausanne, OPEC, 2022.

 

Un commentaire

  1. Merci de cette recension, il est toujours stimulant de découvrir comment un lecteur comprend son travail.
    Permets moi de te faire quelques retours sur ton travail dans un esprit de dialogue et de liberté!

    Tu écris « Dieu et l’humain ne sont pas immuables: ils sont en mouvement, ils progressent », si je suis d’accord avec l’idée de mouvement, j’ai plus de difficultés avec celle de progression. Il me semble que cette expression se réfère à une conception d’une histoire comme celle d’un progrès constant. Je doute que cela soit le cas. Peut-on vraiment continuer à penser dans ces catégories qui remontent à l’historiographie du 19ème siècle ?

    Plus loin: « cela veut dire que si elle (l’Eglise) venait à disparaitre, cela ne remettrait pas en cause le Royaume » je suis d’accord avec toi, mais il me semble que cette opposition n’a pas de consistance réelle. Nos institutions humaines, telle que nous les connaissons et dont nous sommes les héritiers, peuvent disparaître. L’Eglise (comme réseau / communauté de chercheurs / témoins de Dieu) ne le peut pas. Car il n’y a pas d’Evangile sans son annonce et donc sans l’existence d’un réseau / communauté, quelle que soit ses formes institutionelles.

    J’aime beaucoup ta conclusion sur la nécessité du travail théologique, mais j’aime à préciser que ce travail ne peut pas être l’œuvre d’un (ou d’une) seul(e) mais celle d’un collectif.

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