Salomon, un roi d’une autre époque

Salomon est un roi dont nous disposons d’un grand nombre d’informations dans la Bible (1 Rois 1-11), mais dont nous n’avons aucune trace scripturaire en dehors de la Bible dans le Proche Orient Ancien[1] – contrairement à David qui figure comme référence dynastique sur la stèle de Tel Dan, contrairement à des rois qui lui succèderont dans la narration biblique et au sujet desquels nous aurons peu de renseignements, mais qui sont mentionnés dans la littérature extrabiblique[2]. De plus son règne qui, dans la chronologie biblique, aurait eu lieu entre 970 et 931 avant JC, ne correspond pas avec la réalité archéologique de Jérusalem ni de la région. Les bâtiments censés avoir été construits à cette époque et qui auraient appuyé la thèse d’un royaume unifié et centralisé autour d’une capitale et d’un roi n’ont pas de réalité factuelle[3]. Les richesses abondantes indiquées dans les textes bibliques ne correspondent pas non plus aux découvertes archéologiques. Le silence dans la littérature du Proche Orient Ancien de ce qui aurait été un règne particulièrement fastueux[4] est également significatif d’un décalage entre le récit biblique et l’histoire.

Le royaume de Salomon n’a pu s’étendre ni de l’Euphrate à l’Égypte (1 R 5,1) ni même de Dan à Beersheba (1 R 4,25). En revanche, il est une époque de l’histoire de cette région où le royaume du Sud s’organisa administrativement et développa une activité économique qui lui permit, notamment, de payer le tribut qu’elle devait régler à l’Assyrie : le VIIè, ce qui correspondrait au règne de Manassé[5] (698-642 BCE). C’est à cette époque, en effet, qu’une métamorphose a lieu dans le territoire de Juda : les habitations se développent sur la rive occidentale de la mer Morte, ainsi que des exploitations agricoles au sud de Jéricho, à l’Est de Jérusalem et du coté de Beersheba. Des sites apparaissent : Tel Masos, Horvat Uza, Horvat Radom ; d’autres croissent : Tel Ira, Aroër[6].

La mention de nombreux chevaux[7] correspond à une réalité du VIIIè pour ce qui concerne le royaume du Nord[8] qui fournissait l’Assyrie avec des chevaux venant d’Égypte. Le récit biblique apparait ici comme la combinaison d’une réalité postérieure dans le royaume de Juda et la mémoire de l’activité passé du Royaume du Nord. Cette construction littéraire pourrait avoir eu un double intérêt : d’une part sceller l’unité des Israélites et des Judéens à une époque où les deux populations devaient coexister dans le territoire de Juda après la chute de Samarie et, ce faisant, former effectivement un royaume unifié, un « tout Israël » ; d’autre part légitimer l’action politique de Manassé. Manassé est un roi condamné par le rédacteur de 2 R 21. La construction d’une mémoire dorée autour de la figure de Salomon (Shelomo/Shalom) dont le nom pouvait évoquer l’idéal de paix quitte à ce que cette paix se fasse aux dépens de l’indépendance politique, pouvait être une manière de justifier son règne, et de minimiser son lien de vassalité avec l’Assyrie en faisant appel à la mémoire de l’activité commerciale des chevaux, entre Israël et l’Assyrie. La construction littéraire de la figure de Salomon pourrait avoir été une manière d’adosser le règne de Manassé à une figure magnifique d’un temps passé, pour contrecarrer les critiques des nationalistes contemporains de Manassé qui condamnaient la politique internationale du roi – qui correspondrait aujourd’hui à une vision mondialisée de l’économie.

Pour ce qui concerne le séjour de la reine de Saba, les premières traces scripturaires traitant de cette région de l’Arabie en lien avec le reste du Proche Orient datent du VIIIè – des textes assyriens écrits sous les règnes de Tiglat-Phalasar III, Sargon II[9] et Sennachérib. Ce récit contribue à donner une renommée internationale au règne de Salomon et à en faire un égal des autres souverains[10] et, par ricochet au règne de Manassé si c’est bien à l’époque de Manassé que s’est constituée la première étape de l’histoire de Salomon. Cela pouvait offrir une source de légitimation à la politique de Manassé. Pour Römer[11], c’est à l’époque du roi Josias que sont établis les parallèles entre Salomon et le roi assyrien Assarhaddon, successeur contesté de Sennachérib qui avait mené une campagne militaire en 701. Son accession au trône ayant lieu en 681 BCE, la rédaction de 1 R 1-2 n’aurait pu avoir lieu avant.

Salomon, implicitement comparé à un roi assyrien, était en outre envisagé sous les traits du monarque réussissant à établir des relations diplomatiques avec les pays alentours. Les aspects positifs de la figure de Salomon pourraient dater de cette époque, le VIIè, où le royaume de Juda n’avait pas les frontières indiquées dans le premier livre des Rois, mais était bien constitué des habitants de Juda et d’Israélites qui étaient issus du Royaume du Nord avant sa chute. Juda connut à cette époque une activité économique florissante avant de connaître à son tour les assauts triomphants d’une nation étrangère qui allait mettre fin à l’existence de l’entité politique « Israël » qui avait pris ses quartiers dans le royaume du Sud. Après la conquête de Jérusalem par Nabuchodonosor, Israël se trouva alors coupé en deux entités, une partie de la population étant partie en exil à Babylone, tandis qu’une autre partie allait rester sur place. Plus tard encore, à la période Perse, c’est autour de la province de Samarie et de la province de Judée qu’allait s’organiser la réflexion théologique sur Israël, avec l’élaboration récits des patriarches et du motif de l’Exode. Mais ceci est une autre histoire.

[1] Comme l’indique Isaac KALIMI, Writing and Rewriting the Story of Solomon in Ancient Israel, p. 23, il n’est pas impossible qu’une découverte épigraphique soit faite dans les années à venir.

[2] Omri, Achab, Joram, Jéhu, Menahem, Ézéchias, Manassé, Yoyakin.

[3] D. USSISHKIN, « Solomon’s Jerusalem : The Text and the Facts on the Ground », p. 110, contre A. MAZAR, Archaelogy of the Land of the Bible 10,000-586 BCE, p. 375-402.

[4] 1 R 10 décrit un royaume où l’or abonde ; il est précisé que 666 talents d’or arrivent chaque année à Salomon, ce qui est une indication du caractère symbolique de cette description, ce nombre qui ne saurait être constant dans une économie réelle, est probablement une interprétation du rédacteur pour exprimer le caractère maléfique du règne de Salomon.

[5] Hypothèse formulée par I. FINKELSTEIN, N. A. SILBERMAN, Les rois sacrés de la Bible, p. 149.

[6] I. FINKELSTEIN, N. A. SILBERMAN, Les rois sacrés de la Bible, p. 150.

[7] 1 R 5, 6-8 ; 9, 19.22 ; 10, 26.

[8] Les écuries découvertes à Megiddo datent de la première moitié du VIIIè, ce qui correspondrait au règne de Jéroboam II.

[9] F.M. Fales, « Central Syria in the Letters to Sargon II », p. 145-147.

[10] T. RÖMER, « Salomon d’après les deutéronomistes », p. 104, qui mentionne les similitudes entre le récit de la construction du temple de Salomon et les documents mésopotamiens tout particulièrement les récits de construction assyriens, comme le relève V.A. HUROWITZ, I have Built you an Exalted House, p. 313

[11] T. RÖMER, « Salomon d’après les deutéronomistes », p. 117-118 en s’appuyant sur les travaux d’A. KUNZ-LÜBCKE, Salomo, p. 81-87.

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