Père tout-puissant


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Romains 8/12-17

12 Ainsi donc, frères, nous sommes débiteurs, mais non de la chair, pour vivre encore selon la chair. 13 Si vous vivez selon la chair, vous allez mourir ; mais si par l’Esprit vous faites mourir les actions du corps, vous vivrez, 14 car tous ceux qui sont conduits par l’Esprit de Dieu sont fils de Dieu. 15 Et vous n’avez pas reçu un esprit de servitude, pour être encore dans la crainte, mais vous avez reçu un Esprit d’adoption, par lequel nous crions : Abba ! Père ! 16 L’Esprit lui-même rend témoignage à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu. 17 Or, si nous sommes enfants, nous sommes aussi héritiers : héritiers de Dieu, et cohéritiers de Christ, si toutefois nous souffrons avec lui, afin d’être aussi glorifiés avec lui.


Éphésiens 3/14-15

14 C’est pourquoi, je fléchis les genoux devant le Père, 15 de qui toute famille dans les cieux et sur la terre tire son nom.

Chers frères et sœurs, le symbole des Apôtres que nous sommes en train de relire cette année nous donne l’occasion de nous pencher sur sa composition grammaticale. En effet, le découpage des morceaux de phrase peut prêter à confusion. Que faut-il dire ? « je crois en Dieu le Père, tout-puissant créateur du ciel et de la Terre », ou alors « je crois en Dieu, le Père tout puissant, créateur du ciel et de la Terre ? » Comme je le dis régulièrement aux catéchumènes, quand nous étudions un texte et qu’une question de compréhension se pose… la réponse est dans le texte. La réponse est un peu plus loin dans le symbole des Apôtres, lorsqu’il est question de l’Ascension. Jésus est donc « monté au ciel, il siège à la droite du Père tout-puissant ». Cela nous permet de nous assurer que le début du symbole des Apôtres rapporte la toute-puissance à la paternité de Dieu et non au fait qu’il est créateur.

  1. Que Dieu soit Père

Que Dieu soit « père » ne va pas de soi. Tout d’abord, pourquoi père plutôt que mère ou parent ? Est-ce un coup du patriarcat ? Que l’épître aux Romains soit l’œuvre d’un homme ne fait pas de doute, mais je ne traiterai pas maintenant l’hypothèse selon laquelle l’apôtre Paul serait machiste. Ce qu’il est dit du lien entre Dieu et les êtres humains nous aide à comprendre pourquoi c’est du côté de la parentalité et, plus spécifiquement du côté du père, que Paul est allé chercher l’image qui serait la plus adéquate.

Dans la Bible, Dieu est rarement décrit sous les traits d’une mère – et c’est principalement dans le livre d’Ésaïe[1]. Cela peut s’expliquer par le fait que l’image du père est plus précise pour qualifier la relation entre Dieu et nous. Pour reprendre l’image de l’apôtre Paul, Dieu est un père qui nous adopte, comme le font tous les pères. Ce qu’il y a de spécifique à la paternité, c’est que, pour l’enfant, elle se fait exclusivement par la parole. On devient père par la parole. La parole de la mère qui désigne le père. La parole que le père adresse à son enfant. On peut être le géniteur sans être pour autant le père. Et ce qui intéresse l’apôtre Paul, c’est justement cet esprit d’adoption qui nous permet de dire à Dieu : père.

Cet esprit d’adoption n’est pas réservé à la gent masculine : les mères doivent, elles aussi, adopter leur enfant. Mais la fonction paternelle consiste, notamment, à faire passer le couple mère-enfant du rapport fusionnel, lorsque la mère est considérée par l’enfant comme le prolongement naturel de sa bouche, à une situation où l’enfant accédera à une autonomie à l’égard de ses parents. La parole du tiers sépare, comme la parole de Dieu sépare le sec du mouillé, la nuit du jour, pour créer les conditions de la vie. Pour créer un espace de liberté.

Dieu n’est pas présenté comme notre géniteur, mais comme celui qui nous adopte. Nous avons eu l’occasion de voir, au sujet de Jésus, que la question de l’adoption était également présente. Et cette adoption implique la foi. C’est par la confiance que nous mettons dans la parole qui nous désigne Dieu comme notre Père que Dieu est, effectivement, notre Père. C’est par la confiance que nous mettons dans les paroles que reconnaissons comme des paroles qui nous rendent libres, une autre manière de dire « des paroles qui font de nous des adultes », que Dieu est, effectivement, notre Père. Comme le dit Paul, la relation à Dieu est tout à l’opposé d’une relation de servitude. Or, celui qui nous rend libre, celui qui nous rend adulte, celui qui nous permet de pouvoir donner à notre vie le sens de la justice au lieu de subir le cours des événements, c’est celui qui tient lieu de Père, pour nous.

Le Père, ce n’est pas tant celui qui nous offre la vie biologique, que celui qui nous fait venir au monde – le monde des idées, le monde de la compréhension, le monde des autres. C’est d’ailleurs cela qu’on dit, quand on dit Dieu, en hébreu, El. Ce mot veut dire « Dieu », et il veut dire aussi « vers », « en direction de ». Vers un autre que moi, vers un au-delà de mon horizon. Dieu est à la fois le Père qui transcende notre état naturel en nous ouvrant à toutes les possibilités de la vie, et celui qui établit des relations vivables avec tout ce qui nous entoure en nommant ce qui constitue notre environnement, pour nous le rendre familier. La Parole est au cœur de la paternité, elle est l’être même de Dieu.

Le fait que Dieu soit père crée, de fait, une fraternité entre les humains. Cette fraternité acquiert un caractère universel qui transcende les liens biologiques, culturels, économiques et même religieux. Cette fraternité provoque une solidarité avec tous : pas uniquement avec les proches, mais avec tous ceux que Dieu nous révèle comme notre prochain.

  1. Toute-puissance du père

Intéressons-nous maintenant à l’adjectif, tout puissant, en latin omnipotentem. Nous y entendons l’omnipotence de Dieu. Le fait qu’il puisse tout. Dieu peut-il tout ? Si cet adjectif s’était rapporté au fait que Dieu est créateur, certainement, l’omnipotence de Dieu se serait appliquée au domaine de la physique, de la matérialité. Mais, nous l’avons indiqué, omnipotentem se rapporte au fait que Dieu soit confessé comme Père. Cela signifie que l’omnipotence de Dieu concerne sa façon d’être père, et rien d’autre, dans ce texte.

Alors, évidemment, surgit une inquiétude bien légitime : Dieu serait-il un père tout-puissant au sens d’un père qui a droit de vie et de mort sur ses enfants ? Un Dieu qui est capable de tout, y compris de ce qui est abominable, envers ses fils et ses filles ? N’esquivons pas ces possibilités pour que Dieu ne soit pas à l’image de nos fantasmes ou de nos angoisses, mais qu’il soit bien le Dieu révélé par Jésus-Christ.

Dieu est-il un père qui a tout pouvoir sur ses fils et ses filles ? Voilà une question qui divise les chrétiens, jusqu’au sein même du protestantisme. D’un côté Dieu, en tant que père, serait derrière le moindre événement. Dans cette perspective, Dieu aurait délibérément choisi de faire mourir son fils sur la croix. À côté de cette hypothèse, il y a celle où Dieu est le Père qui ne peut pas tout. Il ne peut ni contraindre, ni empêcher, de manière sûre et définitive. Semblable au père de la parabole du Père qui a deux fils (Luc 15), il ne peut pas empêcher pas son fils de partir, et il ne le contraint pas non plus de ne plus remettre les pieds à la maison.

Comme le dit Paul, nous n’avons pas reçu un esprit de servitude. Dieu n’est pas celui qui nous impose quoi que ce soit et les êtres humains ne sont pas des jouets dans les mains d’un marionnettiste. Cela est vrai jusque dans la compréhension que nous pouvons avoir de la crucifixion de Jésus.

La théologie protestante a repensé ses images de Dieu en fonction de la question du mal qui avait été particulièrement sensible lors de la première guerre mondiale. Alors que nous nous apprêtons à commémorer les 80 ans de la libération d’Auschwitz, souvenons-nous que les camps de concentration et l’extermination de masse a été l’occasion de s’interroger sur la présence de Dieu et son interaction avec l’histoire humaine, à ce moment-là. Pensant à tous les drames qui secouent le monde, le pasteur Wilfred Monod a trouvé les mots qui conviennent pour exprimer cela. Je citerai un passage de son texte Un athée[2] dans lequel il réfléchit au sens de la crucifixion de Jésus et de bien des malheurs qui se sont déroulés dans le christianisme, dans le monde et qui disent l’impuissance de Dieu à faire en sorte que le mal ne soit plus : « c’est toujours le drame du Calvaire qui recommence. Eh bien ! ce Dieu vaincu est celui qui parle à mon cœur. Je ne pourrais pas adorer une divinité qui serait responsable de la continuation du monde actuel. On nous objecte : Dieu ne veut pas expressément tout ce mal, il se borne à le permettre. Oui, il le permet expressément, et cela revient au même. Alors, dira-t-on que, s’il ne permet pas, il essaye d’empêcher ? C’est précisément l’hypothèse que je formule. Dieu s’efforce et ne réussit pas toujours. (…) Et j’appelle Dieu l’effort, partout manifesté, pour transformer la réalité. C’est un effort intelligent, moral, douloureux, sans cesse contrecarré, mais dont les progrès s’affirment de plus en plus. »

C’est ce Dieu que nous nommons Père et, pour reprendre l’idée de l’épître aux Éphésiens, c’est cette paternité qui est pour nous exemplaire. C’est cette paternité-là qui nous inspire lorsque nous avons à penser la paternité. C’est de cette paternité-là que toute famille, sans exception, tire son nom. C’est cette paternité-là qui est la référence ultime pour penser la paternité et, pour le dire d’une manière négative, mais plus contemporaine, c’est cette paternité-là qui nous inspire pour éviter toute paternité toxique qui sacrifie les fils et les filles.

L’un des grands manques du symbole des Apôtres, si ce n’est le manque le plus cruel, c’est le cœur de la prédication de Jésus, à savoir l’amour agapè. Nous avons, dans cette mention du père tout-puissant, l’expression d’un Dieu amour qui ne peut pas s’empêcher d’être père et que rien, ni personne, ne peut empêcher d’être père, pas même nous lorsque nous le supplions de faire ce que nous voulons par des prières pleines de ressentiment, de désir de vengeance et d’égocentrisme.

Comme le disait le pasteur Alphonse Maillot, « cela veut dire que nos fautes, quelles que soient leur nombre ou leur ampleur, n’empêcheront jamais Dieu de nous aimer comme notre Père, et que dans la chute la plus profonde et la plus horrible, nous pourrons encore nous tourner vers lui, et lui dire simplement : “Abba ! Père”.

Amen

[1] Es 49/15 ; 66/13 ; Os 13/8 ; Psaume 131/2 ; Mt 23/37.

[2] Wilfred Monod, « Un athée », in Aux croyants et aux athées, Paris, Phénix Éditions, 2001 (1914), p. 191.

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