Ruth et Booz, une nouvelle œuvre au Musée Fabre

 

Michel Hilaire, conservateur général du patrimoine, nous présente la nouvelle acquisition du Musée Fabre qu’il dirige, Ruth et Booz peint par Charles Gleyre (1806-1874).

 

 

Introduction par le pasteur James Woody

Présentation par Michel Hilaire

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Ruth dans la Bible

Le livre de Ruth est une nouvelle biblique de quatre chapitres qui met en scène une femme renonçant à son confort pour accompagner sa belle-mère après une suite de décès. Dans la tradition juive, ce livre est lu à la fête de Pentecôte, lorsque la récolte de blé a eu lieu. Pentecôte est aussi le souvenir du don de la loi par Dieu à Moïse sur le mont Sinaï : Ruth, l’étrangère, va faire elle même bon accueil à la loi de Dieu en incarnant son esprit.

A l’époque biblique des Juges, une famine touche la région de Bethléem. Bethléem, en hébreu, signifie maison du pain – boulangerie. Qu’il n’y ait plus rien à manger indique que cette ville a perdu sa vocation. L’intrigue peut être comprise comme la quête d’un art de vivre perdu.

Cette famine pousse Elimelek à partir à l’étranger, dans le pays de Moab, avec sa femme Noémi et ses deux enfants, Mahlôn et Kilyôn. A la mort de son mari, Noémi s’occupe de ses deux fils qui épousent des Moabites : Orpa et Ruth. Les fils meurent à leur tour. Noémie décide alors de retourner à Bethléem et propose à ses belles-filles de rejoindre leur foyer d’origine, ce que refuse Ruth qui entend rester avec Noémi.

C’est alors que Booz, un parent du défunt mari de Noémi, intervient dans l’histoire. Booz est un notable qui possède une terre sur laquelle Ruth va glaner pour trouver sa subsistance. Booz ayant appris le soin de Ruth avait pris de sa belle-mère, il lui exprime sa vive reconnaissance en lui accordant la possibilité de profiter de ses biens. Le soir, sur les conseil de Noémi, Ruth se prépare et va rejoindre Booz là où il s’est couché. En pleine nuit un dialogue s’engage et Booz convient de la racheter selon la loi de Lévitique 25/23-25 : le droit de rachat précise qu’une personne en difficulté économique doit vendre sa terre à l’un de ses proches parents. Ce principe du rachat permet de maintenir le bien dans la famille. Le parent qui rachète est nommé « goël », un nom que porte Dieu dans le livre d’Esaïe (41/14 ; 43/14 ; 54/5 ; 63/16).

Booz épouse Ruth. Ils donnent naissance à Obeb. C’est lui qui sera le père de Jessé et donc le grand-père du futur roi David.

Un livre qui transcende

Le livre de Ruth est un joli conte qui, à la manière des contes, délivre des messages à portée universelle qui nous permettent de découvrir les ressorts de la vie. Ruth montre qu’il est possible de transcender la fatalité qui s’exprime de plusieurs manières.

Des femmes qui prennent les choses en main

Quand l’histoire est en panne, des femmes trouvent de nouvelles voies qui vont au-delà des usages, au-delà des conventions, pour que la vie advienne malgré tout. Lorsqu’on regarde la généalogie de Jésus dont fait partie Ruth, puisqu’elle est l’arrière-grand-mère de David, nous constatons que Tamar couche avec son beau-père Juda pour donner naissance à Péretz. Rahab, la prostituée étrangère qui habite Jéricho donnera naissance à Booz. Bethsabée, la femme d’Urie, donnera naissance à Salomon après son adultère avec David.

Une scène nuptiale

La peinture faite par Frédéric Bazille évoque la scène nuptiale du livre.

Ruth rejoint Booz, de nuit, sur l’aire où l’on bat le grain, à l’écart du village. Le temps de la moisson est l’occasion de célébrer la fécondité. Le texte reste pudique sur ce qui se passe entre Ruth et Booz, mais l’ensemble de l’épisode et empreint d’une ambiance nuptiale. Les « pieds » qui sont découverts par Ruth pourraient être une métaphore des parties intimes de l’homme.

Ruth se prépare, se parfume, s’habille comme pour un mariage. Quand Booz se réveille en pleine nuit, Ruth lui dit : « étends ta cape sur moi » (3/9), ce qui signifie « protège-moi ». C’est un geste symbolique du mariage que le prophète Ézéchiel (16/8) utilisera pour illustrer l’alliance entre Dieu et Jérusalem. Le texte biblique présente la future union de Ruth et Booz avec une délicatesse qui transcende les liens conjugaux : Booz ne prend pas Ruth pour femme. L’un et l’autre se rencontre d’une manière qui respecte chacun, sans la moindre violence.

Dépasser les frontières politiques et ethniques

Si l’histoire se passe à l’époque biblique des Juges, avant celle des rois, donc vers 1200 avant Jésus-Christ, la rédaction est bien plus tardive (ne serait-ce que l’écriture hébraïque, qui n’existe pas encore à cette époque, est un indice de cela). Le retour de Noémi dans le territoire de Juda après un exil au-delà de Jourdain pourrait bien être une image du retour de l’exil de Babylone à partir de 539 avant Jésus-Christ. La victoire de Darius le Perse sur l’empire babylonien s’est traduit par un retour des exilés. Mais ce retour n’est pas sans difficulté une fois sur place. Quel est le véritable Israël, ceux qui sont restés ou ceux qui sont partis ?

Cette question de l’identité est envisagée de deux manières opposées : des textes refusent le mariage avec des femmes étrangères pour conserver intacte la culture. Ainsi :


Néhémie 13/23-30

23 À cette même époque, je vis des Juifs qui avaient pris des femmes asdodiennes, ammonites, moabites. 24 La moitié de leurs fils parlaient l’asdodien, et ne savaient pas parler le juif; ils ne connaissaient que la langue de tel ou tel peuple. 25 Je leur fis des réprimandes, et je les maudis; j’en frappai quelques-uns, je leur arrachai les cheveux, et je les fis jurer au nom de Dieu, en disant: Vous ne donnerez pas vos filles à leurs fils, et vous ne prendrez leurs filles ni pour vos fils ni pour vous. 26 N’est-ce pas en cela qu’a péché Salomon, roi d’Israël ? Il n’y avait point de roi semblable à lui parmi la multitude des nations, il était aimé de son Dieu, et Dieu l’avait établi roi sur tout Israël; néanmoins, les femmes étrangères l’entraînèrent aussi dans le péché. 27 Faut-il donc apprendre à votre sujet que vous commettez un aussi grand crime et que vous péchez contre notre Dieu en prenant des femmes étrangères ? 28 Un des fils de Jojada, fils d’Éliaschib, le souverain sacrificateur, était gendre de Sanballat, le Horonite. Je le chassai loin de moi. 29 Souviens -toi d’eux, ô mon Dieu, car ils ont souillé le sacerdoce et l’alliance contractée par les sacrificateurs et les Lévites. 30 Je les purifiai de tout étranger, et je remis en vigueur ce que devaient observer les sacrificateurs et les Lévites, chacun dans sa fonction,

Le livre de Ruth, au contraire, défend la pluralité et porte un regard bienveillant sur une femme étrangère qui porte en elle l’avenir du peuple : une société heureuse est celle où chacun a la possibilité de se loger, de se nourrir, d’avoir une descendance.

Le livre de Ruth est une invitation à découvrir le sens de la loi, pour vivre non selon la lettre, mais selon l’esprit qui vivifie et qui permet à chacun de faire valoir ses talents, sa générosité, son génie propre, comme c’est le cas pour Noémi, Booz et Ruth.

Pour prolonger, une prédication sur Ruth 3

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