Évangéliser notre rapport au temps et notre manière de faire société

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Apocalypse 1/1-19

1 Apocalypse de Jésus -Christ, que Dieu lui a donnée pour montrer à ses serviteurs les choses qui doivent arriver bientôt, et qu’il a fait connaître, par l’envoi de son ange, à son serviteur Jean, 2 lequel a attesté la parole de Dieu et le témoignage de Jésus -Christ, tout ce qu’il a vu. 3 Heureux celui qui lit et ceux qui entendent les paroles de la prophétie, et qui gardent les choses qui y sont écrites ! Car le temps est proche. 4 Jean aux sept Églises qui sont en Asie: que la grâce et la paix vous soient données de la part de celui qui est, qui était, et qui vient, et de la part des sept esprits qui sont devant son trône, 5 et de la part de Jésus -Christ, le témoin fidèle, le premier-né des morts, et le prince des rois de la terre ! À celui qui nous aime, qui nous a délivrés de nos péchés par son sang, 6 et qui a fait de nous un royaume, des sacrificateurs pour Dieu son Père, à lui soient la gloire et la puissance, aux siècles des siècles ! Amen ! 7 Voici, il vient avec les nuées. Et tout oeil le verra, même ceux qui l ‘ont percé; et toutes les tribus de la terre se lamenteront à cause de lui. Oui. Amen ! 8 Je suis l’alpha et l’oméga, dit le Seigneur Dieu, celui qui est, qui était, et qui vient, le Tout-Puissant. 9 Moi Jean, votre frère, et qui ai part avec vous à la tribulation et au royaume et à la persévérance en Jésus, j’étais dans l’île appelée Patmos, à cause de la parole de Dieu et du témoignage de Jésus. 10 Je fus ravi en esprit au jour du Seigneur, et j’entendis derrière moi une voix forte, comme le son d’une trompette, 11 qui disait: Ce que tu vois, écris -le dans un livre, et envoie -le aux sept Églises, à Éphèse, à Smyrne, à Pergame, à Thyatire, à Sardes, à Philadelphie, et à Laodicée. 12 Je me retournai pour connaître quelle était la voix qui me parlait. Et, après m’être retourné, je vis sept chandeliers d’or, 13 et, au milieu des sept chandeliers, quelqu’un qui ressemblait à un fils d’homme, vêtu d’une longue robe, et ayant une ceinture d’or sur la poitrine. 14 Sa tête et ses cheveux étaient blancs comme de la laine blanche, comme de la neige; ses yeux étaient comme une flamme de feu; 15 ses pieds étaient semblables à de l’airain ardent, comme s’il eût été embrasé dans une fournaise; et sa voix était comme le bruit de grandes eaux. 16 Il avait dans sa main droite sept étoiles. De sa bouche sortait une épée aiguë, à deux tranchants; et son visage était comme le soleil lorsqu’il brille dans sa force. 17 Quand je le vis, je tombai à ses pieds comme mort. Il posa sur moi sa main droite en disant: Ne crains point ! Je suis le premier et le dernier, 18 et le vivant. J’étais mort; et voici, je suis vivant aux siècles des siècles. Je tiens les clefs de la mort et du séjour des morts. 19 Écris donc les choses que tu as vues, et celles qui sont, et celles qui doivent arriver après elles.

Chers frères et sœurs, il arrive que des commentateurs de l’actualité disent que nous vivons des temps apocalyptiques. Le contexte social, la situation internationale font que, depuis de longs mois, il semble que nous soyons dans un moment proprement apocalyptique.

D’une manière paradoxale, je dirais que ce constat erroné est juste. Ce constat est erroné parce que le terme « apocalyptique » est régulièrement employé à tort. Il est employé pour décrire la fin du monde imminente, ou l’explosion probable de la société, un conflit généralisé de tous contre tous. Or l’apocalypse, ce n’est pas cela. Certes, dans le livre de l’Apocalypse il y a des récits d’une violence digne de ce que nous connaissons. Il y a des passions haineuses qui se mêlent à l’histoire humaine, mais il y a aussi des visions heureuses, empreintes de paix, qui disent un au-delà du mal et du malheur. Le livre de l’Apocalypse, d’ailleurs, ne se termine ni dans un bain de sang ni sur une planète laissée exsangue, mais par une vision lumineuse pour ne pas dire paradisiaque.

De plus, le terme même d’apocalypse ne signifie pas « catastrophe » comme on le pense parfois. Apokaluptein, en grec, signifie « révéler ». L’apocalypse, c’est la révélation. Et c’est la raison pour laquelle l’utilisation erronée du mot « apocalypse » est juste. Ceux qui veulent exprimer le caractère épouvantable de la période que nous vivons, qui semble conduire inéluctablement à la catastrophe, parlent d’apocalypse et en ce sens ils se trompent. Toutefois la période que nous vivons est apocalyptique, en effet, parce qu’elle est révélatrice. Elle est révélatrice de l’être profond des gens qui, face à des situations qui requiert un supplément d’humanité, révèlent le fond de leur personnalité. Pour ce qui concerne notre texte biblique, il est révélateur de ce que Dieu construit en chacun de nous, dans un contexte, celui de la fin du 1er siècle de notre ère, qui n’est peut-être pas très éloigné du nôtre.

Toujours est-il que ce premier chapitre nous révèle deux aspects essentiels de la vie chrétienne : un aspect concerne le rapport au temps, d’une part, et un aspect qui a trait à la question de la transmission, d’autre part.

  1. distinguer l’important de l’urgent

Lu dans notre langue française, ce premier chapitre de l’Apocalypse peut nous donner l’impression que nous sommes bien à la fin des temps. Au verset 1 on parle de ce qui doit arriver bientôt et au verset 3 il est question du temps qui est proche. Tout cela confère un caractère d’urgence à ce texte et à ce qu’il raconte. Cela peut donner le sentiment que le dernier livre de la Bible déclare imminent l’enchaînement des épisodes à venir et la fin du monde qui semble aller avec.

Mais aussitôt après, il y a une béatitude qui déclare : « heureux celui qui lit et ceux qui écoutent les paroles de la prophétie et gardent ce qui s’y trouve. » Et là, le temps semble ralentir, presque s’arrêter. Au verset 1 il y a ce qui doit arriver bientôt, on pourrait traduire par rapidement. Et au verset 3, il est question de prendre le temps de lire, d’écouter, de garder les paroles de la prophétie. Au verset suivant il est question de celui qui était, qui est et qui vient. Là encore, le temps s’étire. Et il s’étire encore plus au verset 11 où il est demandé à la personne qui regarde d’écrire ce qu’elle voit dans un livre et de l’envoyer aux Églises. Puis, à nouveau, il est question d’écrire ce qu’il a vu, ce qui est, ce qui va arriver après cela (au verset 19).

L’écriture de ce chapitre révèle que le croyant est appelé à faire la distinction entre l’urgent et l’important. Oui, il y a des choses qui vont arriver rapidement, mais ce qui compte, vraiment, c’est ce qui est important. Au lieu de céder à l’urgence, ce chapitre nous appelle à nous consacrer à ce qui est important, à prendre le temps de lire, d’écouter, autrement dit de nous instruire. Prendre le temps de réfléchir avant d’agir. Cela pourrait passer pour une évidence si l’actualité ne nous montrait pas que le monde fonctionne selon l’urgence qui consiste à s’exprimer au plus vite, à réagir au plus vite, et non à se consacrer à ce qui est important. Ou, plus exactement, ce qui est manifestement important, c’est de traiter toutes les urgences, c’est de répondre aux sollicitations et à la pression de l’urgence. Il faut réagir, vite, très vite ; il faut répondre, vite, très vite – selon les critères actuels.

De ce point de vue, observer le temps présent est révélateur d’une pression de l’urgence qui ne nous permet pas de prendre le temps nécessaire pour nous instruire et pour penser sérieusement la suite. Les communiqués des uns se succèdent, les décisions des autres se succèdent, les réactions se multiplient. Et pendant ce temps on ne pense plus vraiment. On ne pense plus à ce que nous avons de commun. On ne pense plus à ce qui fait sens, à ce qui peut constituer une espérance collective.

Or, l’homme de Patmos, dans un contexte d’urgence, donne de l’importance au sens, ce sens qui est indiqué par celui qui était, qui est et qui vient ; ce sens qui est donné par l’alpha et l’oméga (v. 8) qui sont le début et la fin de l’alphabet grec. Contre la frénésie des informations et des commentaires qui se succèdent, une chose chassant l’autre, une guerre chassant l’autre, une violence chassant l’autre, un malheur chassant l’autre, ce chapitre de l’Apocalypse nous révèle qu’il y a un autre rapport au temps qui est possible. Non la frénésie, non l’urgence, mais le sens que l’on donne à l’histoire, à la vie. C’est d’ailleurs pour cela que le verset 3 parle du kairos qui n’est pas le temps qui succède au temps, qui n’est pas le temps chronologique qui s’écoule inexorablement, le temps en termes de quantité, mais qui est le temps en termes de qualité. Ce qui est privilégié, c’est le temps qui fait sens, le temps orienté.

L’enseignement, ici, est qu’il ne faut pas chercher à être à tout prix dans l’urgence ; il ne faut pas chercher à tout prix à coller au temps présent. Il faut plutôt observer ce qui est important et s’en approcher. Il faut s’approcher d’un temps qui est un temps de qualité. Voilà comment nous pouvons comprendre l’expression le « temps est proche », littéralement « le kairos est près » :

Quand nous lisons et quand nous écoutons pour découvrir le témoignage de Jésus-Christ, quand nous prions pour découvrir les paroles qui donnent du sens à notre vie, alors nous sommes un peu plus proche du kairos, alors nous sommes à proximité d’un temps de qualité, alors nous touchons à la vie éternelle.

Pendant qu’on lit pour s’instruire, pendant qu’on prie pour se mettre à l’écoute d’une autre voix que la nôtre, quand on se place devant Dieu pour ne pas suivre notre inclination personnelle seulement mais hisser notre pensée à la hauteur de l’universel, on cesse de hurler avec les loups, on cesse de chasser en meute. Pendant qu’on lit, pendant qu’on observe, pendant qu’on pense, pendant qu’on prie, on entretient notre humanité au lieu de la laisser choir dans les propos inconsidérés et les attitudes si peu fraternelles.

  1. Être témoin

Cet enseignement sur notre rapport au temps qui devrait privilégier le kairos (le temps en termes de qualité) et non le chronos (le temps en termes de quantité),  s’accompagne d’une exigence, rappelée deux fois : celle de transmettre. Par deux fois l’homme de Patmos reçoit l’ordre d’écrire ce qu’il voit, pour l’envoyer aux Églises. Il ne s’agit pas d’autre chose que d’être les témoins pour nos contemporains comme Jésus a été témoin et comme Jean l’est au moment d’écrire ce texte (v. 1-2).

Dans le monde chaotique que nous connaissons, s’il est utile de se rappeler que nous devons nous consacrer à ce qui est important, il est aussi utile de le rappeler autour de soi. C’est cela l’évangélisation. L’évangélisation ne consiste pas à faire en sorte que tout le monde adhère à une Église chrétienne. L’évangélisation consiste à faire entendre que notre vie sera une béatitude à la mesure de la place que nous accorderons à l’Évangile, à la parole de Dieu. Il convient, là, de préciser que la parole de Dieu c’est bien plus que la Bible. Les mots de la Bible, seuls, ne sont pas la parole de Dieu – nous le constatons dans ce chapitre. Il faut aussi observer, écouter, pour accéder à la Parole de Dieu ; il faut donc entendre la Bible résonner en nous et résonner aussi chez mon prochain, il faut l’interpréter ensemble, pour être plus proche de la Parole de Dieu.

Je prends l’exemple de notre vie d’Église. Quand agissons-nous selon ce précepte de l’Apocalypse qui consiste à se consacrer à ce qui est important, à ce qui est proche du kairos. Pour le dire plus simplement, quand faisons-nous référence à la parole de Dieu pour prendre des décisions dans notre vie d’Église ? Quand nous élaborons notre calendrier, quand nous décidons de notre budget, quand nous décidons des orientations à donner à notre Église pour les années à venir… quand nous référons-nous, vraiment, explicitement, à la Parole de Dieu ?

Lire la Bible et écouter les autres pour essayer de discerner une parole de Dieu. Quand le faisons-nous quand il y a des décisions à prendre dans l’Église ? La vérité est qu’on est pressé par les urgences, par les réparations à faire, par les démarches administratives, par les factures à régler, par l’argent à faire rentrer, par les personnes qui connaissent une difficulté, etc. et que nous essayons de répondre rapidement à tout cela.

C’est pour cela que le témoignage est important. C’est pour cela que chacun doit faire comme Jean de Patmos : lire et écouter, puis voir et écrire. Ne pas tout sacrifier à l’urgence, mais se demander ce qui est important et, pour cela, lire et écouter. Se renseigner. S’instruire. Et, ensuite, en parler autour de soi. Parler de ce qui est important pour nous, de ce qui compte, de ce qui fait sens. De ce point de vue, l’évangélisation c’est parler avec les autres de ce qui fait sens pour nous, du sens qu’il est important de donner à la vie, à des décisions. Le sens qu’il est important de donner à l’argent, au travail, aux relations humaines. Le sens à donner à la présence des gens. Le sens à donner à l’éducation.

L’évangélisation, c’est communiquer aux autres ce qui fait sens pour nous. C’est dire aux autres la place que prend la grâce. La place que prend la grâce dans notre vie personnelle, dans notre vie familiale, dans notre vie professionnelle, dans nos loisirs, dans nos passions, dans notre emploi du temps, dans notre gestion du budget. Le témoignage consiste à aider chacun à se replacer devant Dieu, alors que nous sommes si souvent devant l’urgence.

Si nous laissons de côté le vocabulaire religieux, parlons de régulation. Témoigner de sa foi autour de soi, dire ce qui compte, ce à quoi nous adhérons de manière ultime, c’est faire de la régulation dans le champ des idées, des convictions. Si nous ne parlons jamais de nos idéaux, si nous n’exprimons jamais ce qui est essentiel pour nous, ce sur quoi nous ne transigerons pas, ce qui, pour nous, a un caractère inconditionnel, alors ce qui fonde notre existence n’aura plus de place dans ce monde et d’autres visions du monde, d’autres modes de relations qui n’ont rien de fraternels, qui n’incarnent pas la moindre grâce, règneront sur nos sociétés.

La régulation, c’est, comme vient de l’écrire le Président de la République, dire qu’ « une France où nous concitoyens juifs ont peur n’est pas la France. Une France où des Français ont peur en raison de leur religion ou de leur origine n’est pas la France. » Mais il ne suffit pas de dire ce à quoi nous nous opposons. On fait société autour d’un avenir commun, en adhérant à des aspects positifs de la vie, sans quoi on ne fait société que le selon le principe du bouc émissaire, en se trouvant un ennemi commun, ce qui n’est pas une communion très évangélique.

Si nous ne faisons jamais entendre la mélodie de la grâce, ce sont d’autres cantiques, bien plus pénibles, bien moins divins et donc bien moins favorables à l’humanité que révèle la Bible, qui rythmeront la marche de l’histoire.

L’évangélisation, c’est faire entendre une autre voix que celle de l’instantanéité. L’évangélisation, c’est être témoin de la parole de Dieu qui indique des aspects de la vie que nous devrions tenir pour importants : le don, la miséricorde, la dimension universelle de l’amour, le caractère inconditionnel de la fraternité, la prépondérance de la liberté, la possibilité de la rédemption (le fait de pouvoir reprendre pied dans une histoire qui nous échappe si souvent) etc.

L’évangélisation est notre responsabilité pour sauver nos contemporains, notre prochain, d’une vie soumise à l’urgence dans laquelle plus rien n’est important, plus rien n’est décisif, plus rien n’a de caractère ultime. Nous aussi nous pouvons revêtir les attributs de la sagesse qui figurent dans la description du personnage mystérieux qui, muni de l’épée à double tranchant, sépare l’urgent de l’important et délivre une parole qui éclaire toute vie d’un éclat divin symbolisé par les étoiles et les chandeliers. Si nous ne témoignons pas de ce qu’est une vie éclairée par l’Évangile, qui le fera ?

Amen

Un commentaire

  1. Un bel éclairage de l’apocalypse, de la révélation, un encouragement à toujours conforter « le sens »dans toutes nos actions et nos relations .
    Un beau texte, qui donne des outils pour mieux comprendre, faire comprendre et donner envie autour de nous de partager la lumière qui est en nous souvent à notre insu, en l’identifiant par des paroles éclairantes sur la vie quotidienne
    et la grâce .
    Merci
    Eliane

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