Vous serez consolés


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Ésaïe 66/6-14

6 Une voix éclatante sort de la ville, Une voix sort du temple. C’est la voix de l’Éternel, Qui paie à ses ennemis leur salaire. 7 Avant d’éprouver les douleurs, Elle a enfanté; Avant que les souffrances lui vinssent, Elle a donné naissance à un fils. 8 Qui a jamais entendu pareille chose? Qui a jamais vu rien de semblable? Un pays peut-il naître en un jour ? Une nation est-elle enfantée d’un seul coup? À peine en travail, Sion a enfanté ses fils ! 9 Ouvrirais-je le sein maternel, Pour ne pas laisser enfanter ? dit l’Éternel; Moi, qui fais naître, Empêcherais-je d’enfanter ? dit ton Dieu. 10 Réjouissez -vous avec Jérusalem, Faites d’elle le sujet de votre allégresse, Vous tous qui l’aimez; Tressaillez avec elle de joie, Vous tous qui menez deuil sur elle; 11 Afin que vous soyez nourris et rassasiés Du lait de ses consolations, Afin que vous savouriez avec bonheur La plénitude de sa gloire. 12 Car ainsi parle l’Éternel: Voici, je dirigerai vers elle la paix comme un fleuve, Et la gloire des nations comme un torrent débordé, Et vous serez allaités; Vous serez portés sur les bras, Et caressés sur les genoux. 13 Comme un homme que sa mère console, Ainsi je vous consolerai; Vous serez consolés dans Jérusalem. 14 Vous le verrez, et votre cœur sera dans la joie, Et vos os reprendront de la vigueur comme l’herbe; L’Éternel manifestera sa puissance envers ses serviteurs, Mais il fera sentir sa colère à ses ennemis.

Chers frères et sœurs, les chrétiens ont eu tort d’opposer le Dieu juste de l’Ancien Testament au Dieu d’amour du Nouveau Testament. Ils ont eu tort de le faire car il n’y a pas plusieurs dieux en christianisme. Et ils ont eu tort parce que Dieu, tel qu’en parle l’Ancien Testament, est très éloigné des mauvais stéréotypes qui ont pu circuler dans un christianisme en mal de provocation contre le judaïsme. Précisément, ce texte biblique du prophète Ésaïe vient tordre le cou aux images guerrières de Dieu, aux images d’un Dieu impitoyable. Ce texte remet aussi en cause une vision masculine de Dieu puisqu’il est question, ici, de l’Éternel qui est telle une femme ayant accouché, qui allaite et qui console en caressant sur ses genoux. Il y a dans ce texte bien des anthropomorphismes pour décrire l’action de Dieu. Ces anthropomorphismes sont une pédagogie pour nous faire comprendre ce que Dieu change dans notre existence. Ce texte nous parle d’un Dieu miséricordieux comme une mère est miséricordieuse envers son fils. C’est cette miséricorde que j’aimerais observer ce matin pour en repérer les trois composantes qui sont : la fidélité, la bienveillance, l’espérance.

  1. La fidélité

Ce qui caractérise Dieu, à la toute fin du livre d’Ésaïe – puisque c’est le dernier chapitre de ce livre prophétique – c’est que Dieu reste fidèle à Israël. Il est d’autant plus important de le relever que tout le livre d’Ésaïe n’est pas rempli de phrases très positives pour le peuple. Il y a l’oracle contre Jérusalem du chapitre 22 qui se termine par cette sentence sans appel : « Non, la faute ne sera pas expiée en votre faveur jusqu’à votre mort, dit le Seigneur, l’Éternel Tsebaot ». Au chapitre 24 la joie s’assombrie, l’allégresse est bannie du pays et une voix s’élève pour dire : « je suis perdu ! Je suis perdu ! Malheur à moi ! » on se croirait dans la France désolée qui considère qu’elle n’a plus d’avenir, que tout est foutu, que la situation est digne de ce que chantait Jacques Dutronc le siècle dernier par une périphrase du chaos qui sentait bon la France dans le pétrin.

La lecture du livre d’Ésaïe peut laisser penser que ça va mal finir. Mais le prophète annonce finalement qu’il y a encore un avenir pour Israël – comme il y a un avenir pour la France ou qu’il y a un avenir pour nous, à titre individuel. Si le prophète peut déclarer cette promesse d’avenir, c’est parce qu’il sait que Dieu est fidèle comme une mère est fidèle envers son fils. Comme le disait Ésaïe selon le chapitre 49/15ss. : « Une femme oublie-t-elle l’enfant qu’elle allaite ? À supposer qu’elle l’oublie, moi, je ne t’oublie pas ! » Je ne t’oublie pas !

« Je ne t’oublie pas ». Voilà une caractéristique de Dieu dans le livre d’Ésaïe : la fidélité. C’est d’autant plus important de le relever que la trajectoire du récit d’Ésaïe révèle que la vie est non seulement une trajectoire semée d’embûches, mais une histoire jonchée de moments proprement catastrophiques, dramatiques, tragique. Alors, la fidélité de Dieu est le premier moyen par lequel nous pouvons entendre quelque chose de l’ordre de la consolation.  « Je ne t’oublie pas », c’est une manière de dire que nous restons toujours au bénéfice de la grâce divine, quoi que nous ayons fait – ou pas fait –, quoi qu’il arrive autour de nous. Il y a bien des éléments, des personnes, des actes, qui font obstacles à la grâce divine. Et, évidemment, depuis hier, nous sommes une fois de plus consternés. Nous nous demandons comment, au Proche Orient, la paix pourrait être un jour possible. Mais la fidélité de Dieu est le premier élément par lequel nous pouvons prendre conscience que la grâce reste disponible, tel un stock inépuisable. Cela signifie qu’il y a toujours des points d’appui autour de nous pour nous redresser et reprendre notre route. C’est vrai pour les nations, c’est vrai à titre individuel, lorsque nous vivons un deuil épouvantable, lorsque nous perdons notre emploi, lorsque nous n’arrivons pas à avoir une scolarité qui soit à la hauteur de nos espoirs, lorsque la vie d’Église n’est pas aussi belle que ce que nous pourrions espérer. Il y a aussi de bonnes raisons qui existent pour être redressé, même si elles ne sont pas nécessairement visibles au premier regard.

C’est la raison pour laquelle il ne serait pas seulement malheureux, mais il serait véritablement cruel, de demander aux chrétiens de laisser de côté la Bible hébraïque. L’histoire du peuple hébreu est là pour nous servir de mémoire auxiliaire si nous n’avons pas fait nous-mêmes l’expérience de la fidélité de Dieu ; si nous n’avons pas fait nous-mêmes l’expérience que nous pouvons être ressuscités lorsque tout semble mort en nous et autour de nous. Quand nous n’avons pas eu ces expériences positives de redressement de notre existence, peut-être parce que notre enfance a été difficile, peut-être parce que nous n’avons pas reçu l’affection de cette mère qui nous prend sur les genoux et qui nous caresse, alors les textes bibliques sont utiles pour nous faire entendre quelque chose de la fidélité de Dieu qui est disponible pour chacun d’entre nous.

Ces textes nous révèlent bien des situations où des personnes, dans le même contexte que nous, ont relevé la tête, et ont découvert une source d’eau alors que leur vie était devenue sèche ; des personnes qui ont relevé la tête et qui ont aperçu une raison de sourire, alors que tout était tristesse et grisaille autour d’elles. Ce sont des personnes qui ont reconnu de la grâce disponible dans une présence amie, dans un défi à relever, dans un appel à rendre service, dans une aide matérielle, autant de choses qui révèlent que nous ne sommes toujours dignes de la grâce. Nous pouvons avoir le sentiment que nous ne méritons plus la moindre grâce ; nous pouvons nous dire que si les emmerdes arrivent en escadrilles, c’est que nous les avons bien méritées, comme le pensent les amis de Job.

Les textes de la Bible hébraïque coupent court à cette fausse idée qu’il faut arracher de notre esprit – cette idée selon laquelle nous ne serions plus dignes de la moindre grâce, de la moindre miséricorde.

  1. Bienveillance

Cette grâce toujours disponible, se manifeste par de la bienveillance. C’est le sens des caresses qui apportent de la consolation à celui que le chagrin submerge, ou dont l’émotion face à ne catastrophe naturelle qui fait encore des milliers de morts, face à la haine du terrorisme, semble être le seul horizon encore disponible. Une telle caresse n’a rien de magique. Une telle caresse ne fait pas disparaître les problèmes. Si je devais le dire d’une manière un tant soit peu provocatrice, je dirais que la caresse maternelle est, comme la bienveillance divine, une forme d’hypnose – pas plus. La grâce divine n’est pas de l’opium pour le peuple, c’est plutôt une forme d’hypnose, ou un divertissement.

La grâce est bienveillante en ce sens qu’elle attire notre attention vers autre chose que le malheur. La caresse nous révèle qu’il y a dans ce monde autre chose que les rapports de force et de violence. Il y a dans ce monde un autre ordre possible que celui de l’arnaque, du mensonge, de la haine, de l’exploitation ou de la terreur.

La caresse attire notre attention vers une autre qualité de relation. La bienveillance ne fait pas disparaître les problèmes, elle met en évidence que les problèmes ne sont pas les seuls paramètres de notre vie. Ainsi, la grâce nous permet de ne pas vivre seulement en fonction de nos peurs, ou de nos rancunes, de nos pulsions de vengeance, mais aussi en fonction de ce qu’il y a de beau et de bon à vivre.

Nous pouvons passer notre temps à lutter contre ce qui nous fait mal, ce qui est bien compréhensible, mais quand pensons-nous à consacrer du temps à ce qui nous fait du bien, à ce qui nous fait vivre, à ce qui nous fait grandir intérieurement, à ce qui élève notre humanité ?

Comme le disait l’apôtre Paul, il s’agit de combattre le mal  – il ne s’agit pas de laisser le mal se répandre. Là encore, les textes de la Bible hébraïques disent bien qu’il faut endiguer le mal. Mais comme le dit l’apôtre Paul, il s’agit de combattre le mal par un bien supérieur (Rm 12/21). Ce bien supérieur, que nous nommons la grâce et dont nous venons de dire qu’il reste disponible quelle que soit notre trajectoire, il s’agit de s’y attacher (c’est cela la foi – s’attacher au bien supérieur qui rend notre vie véritablement humaine) et de s’y consacrer. C’est cela la vie chrétienne. La vie chrétienne, c’est faire bon accueil à la grâce qui nous révèle le bien disponible et s’y attacher. La vie chrétienne, c’est essayer de s’orienter vers ce qui est bon plutôt que passer son temps à essayer gérer les problèmes. La bienveillance que l’on prodigue autour de soi, c’est ce qui permet à notre prochain de découvrir qu’il y a autre chose à vivre dans ce monde que la logique de la brutalité, de l’humiliation et du désespoir.

  1. L’espérance

En disant que la bienveillance est un phénomène d’hypnose qui est destiné à attirer le regard ailleurs que sur les malheurs, vous avez peut-être entendu le début d’un phénomène de supercherie. Au fond, la religion serait une forme de divertissement employé par les grands de ce monde pour calmer les angoisses des petits et atténuer leur envie de se révolter. De fait, la bienveillance seule est une stratégie maléfique. Dire à quelqu’un : « ça va s’arranger » alors que cela ne va pas s’arranger, c’est un mensonge. C’est un mensonge qui peut être utile et légitime dans certaines situations où la fin est proche et, de ce fait, autant qu’elle soit douce. Toutefois, selon l’évangile, mieux vaut la vérité dans ces situations et, pour une personne en fin de vie, vivre avec elle tout ce qui est encore possible plutôt que la laisser avec ce faux espoir d’un mieux à venir.

D’une manière plus générale, si la religion consiste à passer un baume pour calmer temporairement les peines et les difficultés de la vie, elle n’est qu’une drogue dont on devient dépendant, ce qui est l’inverse de ce que la religion doit offrir : la liberté. La religion doit rendre libre et non dépendant. C’est la raison pour laquelle on ne peut pas s’arrêter à la bienveillance qui apporte de la gentillesse, mais qui ne règle aucun problème. Une telle gentillesse serait telle une drogue car nous serions rapidement en manque de la dose suivante pour calmer notre douleur existentielle. C’est la raison pour laquelle Jésus ne s’est pas contenté d’être gentil. Le christianisme n’est pas une religion de la gentillesse. Le christianisme est une religion de l’espérance. Le christianisme révèle qu’il y a des horizons encore disponibles quand notre regard s’est arrêté aux premiers problèmes venus. Le christianisme révèle qu’il y a encore des caps disponibles lorsque nous sommes coincés dans une histoire qui, précisément, ne nous donne plus aucune raison d’espérer quoi que ce soit.

La foi, c’est notre sensibilité à cette voix qui sort de la ville, du temple, cette voix divine qui vient faire résonner à nos oreilles des possibilités de vie que nous n’envisagions plus. Ainsi le peuple hébreu qui est comme défait, sans avenir devant les yeux, et auquel l’Éternel s’adresse dans ce chapitre en lui disant : « voici que je dirigerai vers Jérusalem la paix comme un fleuve, et la gloire des nations comme un torrent débordé, et vous serez allaités », ce peuple peut-il entendre qu’il y encore un cap disponible pour lui. Il y a encore un avenir possible. Au fond, il ne s’agit pas de s’habituer à une situation invivable et d’utiliser la religion pour supporter ce qui ne devrait jamais être supportable. La religion est là pour ouvrir les yeux sur un horizon au-delà de l’horizon que nous avons actuellement sous les yeux.

Les textes bibliques regorgent de récits où la situation semble fichue, sans avenir, sans le moindre espoir. Et Dieu répond à cette question que le philosophe Emmanuel Kant rendra célèbre : « que m’est-il permis d’espérer ? » Dieu ressuscite cette question chez ceux qui n’y croient plus, chez ceux qui sont accablés et n’ont plus qu’une seule question en tête : « qu’est-ce qui va encore m’arriver aujourd’hui » au sens de « quelle tuile va me tomber sur la tête cette fois ? »

Dieu désigne d’autres alternatives que le malheur qui s’accumule en fines couches successives. Dans ce texte, Dieu désigne la paix universelle. Ailleurs Dieu désigne la restauration de notre personnalité. Ailleurs encore Dieu désigne une vie encore possible au milieu du deuil. Ailleurs, Dieu désigne des lieux d’engagement en faveur de la justice pour mettre un terme à la misère.

Dieu n’est pas un baume anesthésiant. Tout au plus est-il un objet transitionnel qui nous permet de passer d’une situation impossible à vivre à une situation où nous découvrons que notre histoire est encore riche de potentialités.

Sans se lasser, Dieu nous sauve de nos vies empêchées, de nos vies terrassées. Fidèlement, Dieu attire notre regard vers ce qui est encore désirable. Dieu nous révèle les combats que nous pouvons encore mener, les causes que nous pouvons défendre, le type d’avenir que nous pouvons encore faire advenir.

Je comprends pourquoi c’est dans le livre du prophète Ésaïe que les évangélistes ont plongé leur calame pour composer les récits de Noël. Car le peuple, lorsqu’il est dans le cœur des ténèbres, peut encore voire cette lumière qui déchire les ténèbres – et c’est l’aube d’un nouveau jour qui paraît, un jour destiné à chacun d’entre nous, un jour où le loup et l’agneau pourront effectivement coucher ensemble.

Amen

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