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1 Rois 18/1-2, 17-46
1 Bien des jours s’écoulèrent, et la parole de l’Éternel fut ainsi adressée à Élie, dans la troisième année: Va, présente -toi devant Achab, et je ferai tomber de la pluie sur la face du sol. 2 Et Élie alla, pour se présenter devant Achab. La famine était grande à Samarie. 17 À peine Achab aperçut -il Élie qu’il lui dit: Est-ce toi, qui jettes le trouble en Israël ? 18 Élie répondit: Je ne trouble point Israël; c’est toi, au contraire, et la maison de ton père, puisque vous avez abandonné les commandements de l’Éternel et que tu es allé après les Baals. 19 Fais maintenant rassembler tout Israël auprès de moi, à la montagne du Carmel, et aussi les quatre cent cinquante prophètes de Baal et les quatre cents prophètes d’Astarté qui mangent à la table de Jézabel. 20 Achab envoya des messagers vers tous les enfants d’Israël, et il rassembla les prophètes à la montagne du Carmel. 21 Alors Élie s’approcha de tout le peuple, et dit: Jusqu’à quand clocherez -vous des deux côtés ? Si l’Éternel est Dieu, allez après lui; si c’est Baal, allez après lui! Le peuple ne lui répondit rien. 22 Et Élie dit au peuple: Je suis resté seul des prophètes de l’Éternel, et il y a quatre cent cinquante prophètes de Baal. 23 Que l’on nous donne deux taureaux; qu’ils choisissent pour eux l’un des taureaux, qu’ils le coupent par morceaux, et qu’ils le placent sur le bois, sans y mettre le feu; et moi, je préparerai l’autre taureau, et je le placerai sur le bois, sans y mettre le feu. 24 Puis invoquez le nom de votre dieu; et moi, j’invoquerai le nom de l’Éternel. Le dieu qui répondra par le feu, c’est celui-là qui sera Dieu. Et tout le peuple répondit, en disant: C’est bien ! 25 Élie dit aux prophètes de Baal: Choisissez pour vous l’un des taureaux, préparez -le les premiers, car vous êtes les plus nombreux, et invoquez le nom de votre dieu; mais ne mettez pas le feu. 26 Ils prirent le taureau qu’on leur donna, et le préparèrent; et ils invoquèrent le nom de Baal, depuis le matin jusqu’à midi, en disant: Baal réponds nous! Mais il n’y eut ni voix ni réponse. Et ils sautaient devant l’autel qu’ils avaient fait. 27 À midi, Élie se moqua d’eux, et dit: Criez à haute voix, puisqu’il est dieu; il pense à quelque chose, ou il est occupé, ou il est en voyage; peut-être qu’il dort, et il se réveillera. 28 Et ils crièrent à haute voix, et ils se firent, selon leur coutume, des incisions avec des épées et avec des lances, jusqu’à ce que le sang coulât sur eux. 29 Lorsque midi fut passé, ils prophétisèrent jusqu’au moment de la présentation de l’offrande. Mais il n’y eut ni voix, ni réponse, ni signe d’attention. 30 Élie dit alors à tout le peuple: Approchez-vous de moi! Tout le peuple s’approcha de lui. Et Élie rétablit l’autel de l’Éternel, qui avait été renversé. 31 Il prit douze pierres d’après le nombre des tribus des fils de Jacob, auquel l’Éternel avait dit: Israël sera ton nom; 32 et il bâtit avec ces pierres un autel au nom de l’Éternel. Il fit autour de l’autel un fossé de la capacité de deux mesures de semence. 33 Il arrangea le bois, coupa le taureau par morceaux, et le plaça sur le bois. Puis il dit: Remplissez d’eau quatre cruches, et versez -les sur l’holocauste et sur le bois. 34 Il dit: Faites-le une seconde fois. Et ils le firent une seconde fois. Il dit: Faites-le une troisième fois. Et ils le firent une troisième fois. 35 L’eau coula autour de l’autel, et l’on remplit aussi d’eau le fossé. 36 Au moment de la présentation de l’offrande, Élie, le prophète, s’avança et dit: Éternel, Dieu d’Abraham, d’Isaac et d’Israël ! que l’on sache aujourd’hui que tu es Dieu en Israël, que je suis ton serviteur, et que j’ai fait toutes ces choses par ta parole ! 37 Réponds -moi, Éternel, réponds -moi, afin que ce peuple reconnaisse que c’est toi, Éternel, qui es Dieu, et que c’est toi qui ramènes leur cœur ! 38 Et le feu de l’Éternel tomba, et il consuma l’holocauste, le bois, les pierres et la terre, et il absorba l’eau qui était dans le fossé. 39 Quand tout le peuple vit cela, ils tombèrent sur leur visage et dirent: C’est l’Éternel qui est Dieu ! C’est l’Éternel qui est Dieu ! 40 Saisissez les prophètes de Baal, leur dit Élie; qu’aucun d’eux n’échappe ! Et ils les saisirent. Élie les fit descendre au torrent de Kison, où il les égorgea. 41 Et Élie dit à Achab: Monte, mange et bois; car il se fait un bruit qui annonce la pluie. 42 Achab monta pour manger et pour boire. Mais Élie monta au sommet du Carmel; et, se penchant contre terre, il mit son visage entre ses genoux, 43 et dit à son serviteur: Monte, regarde du côté de la mer. Le serviteur monta, il regarda, et dit: Il n’y a rien. Élie dit sept fois: Retourne. 44 À la septième fois, il dit: Voici un petit nuage qui s’élève de la mer, et qui est comme la paume de la main d’un homme. Élie dit: Monte, et dis à Achab: Attelle et descends, afin que la pluie ne t’arrête pas. 45 En peu d’instants, le ciel s’obscurcit par les nuages, le vent s’établit, et il y eut une forte pluie. Achab monta sur son char, et partit pour Jizreel. 46 Et la main de l’Éternel fut sur Élie, qui se ceignit les reins et courut devant Achab jusqu’à l’entrée de Jizreel.
Chers frères et sœurs, ce concours entre Élie et les prophètes de Baal est particulièrement prisé par les enfants de l’école bibliques pour la violence qu’il contient. Les enfants de l’école biblique apprécient que les prophètes de Baal soient tous assassinés puisqu’ils avaient tort. C’est d’ailleurs une stupéfaction de tous ceux qui s’occupent d’éducation des plus jeunes : la capacité des enfants à souhaiter une justice radicale qui élimine les fautifs, qui règle les différends à coups de condamnation à mort. La mort des Égyptien dans la mer des Joncs ? bien fait pour eux. Les prophètes de Baal passés par le fil de l’épée ? bien fait pour eux. Les Philistins massacrés par David ? Bien fait pour eux. Violence et religion font bon ménage dans l’esprit des plus jeunes et il semble que les textes bibliques, eux-mêmes, fassent de la violence un trait caractéristique de la religion.
Ce texte parle beaucoup de violence, mais il ne fait pas l’apologie de la violence, bien au contraire. J’aimerais attirer votre attention sur le fait que la violence est plutôt critiquée profondément dans ce texte.
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Violence au nom de Dieu
Tout d’abord, je souhaite aborder de front la question de la violence au nom de Dieu. Chacun pourra lui-même extrapoler en pensant la violence au nom de Jésus, ou de Jean Calvin. Le passage que je vous ai lu se termine sur le récit des 450 prophètes tués par Élie lui-même. Élie qui est un modèle de croyant. On pourrait donc se dire qu’Élie a bien fait d’assassiner de ses propres mains des infidèles. Au moins il a réglé le problème une bonne fois pour toutes. Cette idée est fausse à double titre.
D’abord Élie n’élimine pas des infidèles au prétexte qu’ils ne sont pas d’accord avec lui. Il importe de se rappeler le contexte qui est celui de la sécheresse qui sévit depuis 3 ans. Cette sécheresse a d’ailleurs été annoncée par Élie lui-même au chapitre précédent (17/1). La sécheresse prendra fin après le concours de sacrifice entre les prophètes de Baal et Élie.
Entre temps, le rédacteur nous explique que la sécheresse est le signe que le pays est troublé. Achab pense que c’est Élie qui trouble le pays (18/17) et Élie considère que c’est Achab qui est le fautif en s’étant éloigné des commandements de Dieu (18/18). La pluie qui va arriver après la victoire d’Élie indique que la sécheresse a été causée par ce trouble. La sécheresse s’arrête après le meurtre des prophètes, pas après le concours qui a été réussi par Élie. Ce n’est pas après que le peuple a compris qui était le vrai Dieu, que les choses se règlent. C’est après la disparition de ceux qui étaient les vrais fauteurs de trouble.
Comme l’indique le professeur Alfred Marx[1] dans l’étude qu’il a consacré à ce passage, ce qu’a fait Élie, c’est un rite de levée de catastrophe. Il a identifié la cause du problème qui touchait Israël, il a éliminé le problème, et la situation est redevenue normale. Autrement dit, la sécheresse n’est pas un châtiment divin qui aurait demandé un pardon de Dieu obtenu par des sacrifices. Le rédacteur nous fait comprendre que la sécheresse est la conséquence d’une attitude humaine néfaste, qui perturbe la société ce qui implique la suppression de la cause pour rétablir des conditions de vie normales.
La deuxième raison pour laquelle nous ne pouvons pas dire que le rédacteur biblique nous explique qu’en agissant ainsi Élie a réglé le problème, c’est que le texte continue au chapitre suivant. Et la suite indique que le problème n’est pas réglé, loin de là. La reine Jézabel apprenant ce que vient de faire Élie, elle annonce des représailles envers Élie qui va devoir fuir. Il va finalement s’arrêter sous un genêt et demander la mort : il n’en peut plus. La violence dont il a fait usage n’a rien réglé. Il est même menacé de mort au point qu’il en vient à demander lui-même qu’on abrège ses souffrances (1 R 19/1-4).
C’est pour cela que, plus tard, dans l’histoire d’Israël, le rédacteur sacerdotal remplacera la mise à mort par le bannissement, par l’éloignement de ce qui trouble la société, avec la possibilité de réintégrer la communauté quand le fauteur de trouble aura changé et ne sera plus une entrave à la vie.
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La violence contre Dieu
Si ce texte est plein de violence, c’est parce que le rédacteur veut nous faire regarder en face la violence de la société, qui n’est pas une donnée nouvelle dans l’histoire de l’humanité. Et la violence au sein de la société peut être analysée comme le résultat d’une autre violence qui est la violence contre Dieu. La théologie a quelque chose à dire de la violence car l’une des racines de la violence sociale est la violence contre Dieu, y compris dans une société laïque qui prétend que le religieux doit être relégué à l’intime le plus strict. C’est tout le problème avec les prophètes de Baal.
Le concours de sacrifices permet de révéler que Baal est un Dieu inexistant. Ce n’est pas Dieu moins fort que l’Éternel, un dieu de deuxième catégorie. Baal est inexistant. Il ne répond pas, il ne réagit pas. Alors qu’il est censé être le dieu de l’orage il n’a pas été capable de faire tomber la moindre goutte d’eau pendant les trois années de sécheresse. Cela montre son inconsistance. Tout au contraire, à la fin de l’épisode, le grondement dans le ciel annonce la pluie au moment où le culte de Baal a été éliminé.
Cela indique qu’une société peut mourir d’avoir une mauvaise théologie. La sécheresse est la métaphore d’une situation qui conduit la société à devenir aride. Une société peut mourir de placer sa confiance dans le néant, dans ce qui n’existe pas. La théologie est indispensable dans une société, pour identifier ce qu’on adore à tort. La théologie est indispensable dans une société pour identifier tous les mécanismes auxquels on se fie et qui abîment l’humanité voire la détruisent parce que ces mécanismes sont faux, qu’ils ne rendent pas compte du réel.
Il peut y avoir une violence contre Dieu, qu’il faut endiguer parce que cette violence atteint tous les hommes. Il peut y avoir des croyances partagées au sein de la société qui sont des illusions néfastes. Par exemple refuser l’esprit scientifique, ne pas attacher d’intérêt aux liens de causalité, s’en tenir à des arguments d’autorité ou croire systématique celui qui parle le plus fort ou le dernier qui a parlé, sont autant d’aspects que la théologie interroge et critique.
Il peut y avoir des idolâtries, c’est-à-dire des attachements à des aspects de la vie qu’on tient pour sacrés alors qu’ils ne le sont pas. Par exemple, la théologie de la grâce entre en conflit avec des conceptions de la valeur humaine qui seraient fondées sur des notions de race, d’argent, de couleur de peau, de corpulence, d’activité professionnelle, de langue parlée ou même de religion. La théologie chrétienne, en plaçant la liberté en tête de ses préoccupations, entre en conflit avec des sociétés qui se fondent sur les notions de sécurité, de bien commun qui l’emporte sur les personnes, d’unicité, de déterminisme, de loi de la nature.
La théologie repère les violences contre ce qu’elle nomme « Dieu » et qui désigne ce qui est fondamental pour que la vie puisse s’épanouir. Elle identifie les violences contre Dieu qui sont alors des menaces qui pèsent sur les sociétés et les personnes.
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violence contre le peuple
Il résulte de cela une troisième violence, qui est la violence contre les personnes, contre le peuple. Les prophètes de Baal et Élie ne se distinguent pas seulement par le nom qu’ils donnent à leur Dieu (Baal pour les uns, l’Éternel pour les autres). Ils se distinguent principalement par l’impact de leur théologie sur leur vision de la société et de la place de chacun au sein de cette société. La violence contre Dieu est une violence contre les personnes et contre le peuple ; nous le voyons dans la manière que chacun a de prendre part au concours.
Certes, Élie fait le malin en mettant le plus de handicaps possibles pour montrer la grandeur de l’Éternel. Mais il y a un détail intéressant qui le distingue tout particulièrement, c’est sa manière de bâtir l’autel : il prend 12 pierres, une par tribu d’Israël. Il a une manière de faire qu’on pourrait qualifier de populaire au sens où il intègre le peuple dans sa manière de faire. Les prophètes de Baal ne mettent leurs efforts que dans les gesticulations somme toute pitoyables qui ne feront qu’accentuer le caractère vain de leur religion. Ils s’agitent, ils haussent le ton, ils font couler le sang, mais cela ne produit rien.
Les mauvaises théologies ne bâtissent pas. Elles détruisent. Les mauvaises théologies sont des parasites qui vivent sur le dos de ceux qui réparent, qui édifient. Ce sont des parasites qui vivent sur le dos de ceux qui augmentent la valeur des personnes, de la société humaine.
Élie répare l’autel de l’Éternel en prenant 12 pierres qui symbolisent l’ensemble du peuple. C’est ainsi que Josué avait procédé en entrant en terre promise, afin d’offrir à avenir à chacun[2]. Autant les prophètes de Baal font preuve d’un cléricalisme qui laisse le peuple dans l’ombre, autant Élie replace la théologie au cœur du peuple. C’est une théologie pour la vie quotidienne, pour rendre chacun capable de s’intéresser aux conditions mêmes d’une vie satisfaisante et juste d’un point de vue universel.
Les prophètes de Baal ont confisqué la théologie et en ont fait un objet folklorique. Cela leur permet probablement d’avoir un statut spécial dans la société, d’avoir des avantages, une préséance, une forme de gloire et de pouvoir, mais qui ne structure pas la société pour la rendre plus vivable. Comme le disait Jésus, la religion s’observe à ses fruits.
Le rédacteur biblique fait du culte de Baal la figure de la religion dévoyée qui entrave l’existence en se fondant sur le néant et en excluant le peuple, en le privant de ce qui lui permet de penser le monde. Élie évacue cela par une violence qui sera elle-même récusée par les théologiens qui viendront ensuite et qui révéleront que Dieu fonde une civilisation non pas sur l’élimination, mais sur l’édification. C’est en ce sens que l’Éternel nous rend capables de réguler la violence inhérente à chaque société. C’est en ce sens que l’Éternel fait de nous des agents de la grâce.
Amen
[1] Alfred Marx, « Mais pourquoi donc Élie a-t-il tué les prophètes de Baal (1 Rois 18, 40) ? », Revue d’Histoire et de Philosophie Religieuses 78 (1998), p. 15-32.
[2] Jos 4/20-24 à lire à la lumière de 4 Q Josa qui lie ces 12 pierres avec l’autel bâtit à la fin de Jos 8 et l’écriture d’un double de la loi.