Dialogue sur la liberté politique avec Fabien Roussel

Dans le cadre des Dialogues de Maguelone consacrés à la liberté, nous avons eu le plaisir d’accueillir Fabien Roussel, député du Nord et secrétaire national du Parti Communiste Français le mardi 6 juin 2023.

Vidéo Solomiahy RAKOTOARIMANANA

Photos Bertrand GATTEGNO

   

Le Tour de France 2022 de Fabien Roussel s’intitulait : « avec vous, sans tabou »

Ce mot d’ordre se vérifie au temple. C’est un mot d’ordre qui dit quelque chose de la liberté au sens de l’action politique sans l’entrave des tabous, des idées toutes faites, des partis-pris.

Ce dialogue sur la liberté politique se fait avec Fabien Roussel, député du Nord qui, à ce titre, vote la loi. Fabien Roussel est également secrétaire national du Parti Communiste Français qui, à ce titre, défend les intérêts de son parti. Cela nous permettra de s’interroger sur la liberté des élus par rapport à leur parti.

Ces dialogues que nous avons initiés au temple de la rue de Maguelone correspondent au désir de notre Église de réagir face à une société de plus en plus fragmentée en bloc hostiles entre eux où la haine et la violence se manifestent de différentes manières. Un temple, c’est un lieu pour la transcendance et il s’agit, justement, de transcender les logiques de partis, de chapelle, de quartier, de classe…

Un temple est un lieu pour la transcendance et pour la communion fraternelle, avec un caractère universel. Nous ne sommes pas tous camarades, mais nous nous reconnaissons tous frères et sœurs. Cela indique que nous organisons nos échanges dans un esprit de bienveillance. Il ne s’agit pas d’avoir raison contre l’autre, mais de penser les uns avec les autres, chacun apportant son expertise, sa tradition de pensée, ses intuitions.

C’est un temple, nous sommes donc organisés selon la loi 1905 qui assure la liberté de culte et qui la préserve notamment en interdisant aux collectivités de financer les activités des religions. Chacun sera donc librement invité à participer à l’organisation matérielle de ces rencontres en suivant ce lien.

 

Éléments de réflexion pour nourrir ce dialogue

Les citations sont issues  du livre de Fabien Roussel, Les jours heureux sont devant nous. De la présidentielle à la reconstruction de la gauche, Paris, Le Cherche Midi, 2023.

  1. Sens de l’action politique

Sens religieux de l’action politique

La théologie, ce n’est pas fait pour remplir les lieux de culte. La théologie permet à chacun de penser le sens de son action, de ses paroles, en se plaçant face à ce qui a un caractère ultime, ce que la théologie nomme Dieu. Il s’agit d’interroger puis de reformuler le sens profond de ce que nous vivons.

+p.132 : « un adhérent parle de son engagement dans son lieu de travail, dans ses réunions de famille, partout où il vit. Il fait part de ses actions, de celles que nous menons, et il lui arrive d’en être à l’origine ». Ne serait-ce pas un apostolat de nature religieuse ? Cf. p.100 « convaincre de nouveaux électeurs » : prosélytisme

+ Vous racontez la séquence présidentielle – législative comme une défaite, mais aussi comme l’occasion de faire revenir le PCF sur la scène politique nationale. Cf. p.10 : « je vous sens plus forts, plus solides, prêts à repartir au combat ». Ne serait-ce pas une expérience religieuse de type mort et résurrection ?

+ Fonction pastorale du législateur au sens où le pasteur est un interprète. En allant à la rencontre des Français vous avez entendu des personnes qui savent très bien ce qu’elles ne veulent pas, ce qu’elles ne veulent plus – et à vous de transformer cela en proposition positive qui aille dans le sens de l’intérêt général. Interpréter ce qui ne va pas pour formuler ce à quoi nous pouvons adhérer collectivement – définir une espérance. Êtres-vous d’accord avec cette vision des choses, le diriez-vous autrement ?

 

+p.129 : garder les partis politiques plutôt que favoriser des mouvements = structurer la vie politique avec des traditions de pensée politique instituées. Ne serait-ce pas une manière de se positionner contre un fondamentalisme politique qui évacue la tradition, les structures démocratiques de nomination des cadres (et qui prétendent accéder à une pureté religieuse – et posséder l’intégralité de Dieu) ?

+ p.82 « c’est la force qui fait l’union » dixit LFI. Ce n’est pas bien la logique de l’Évangile qui récuse le rapport de force comme moyen d’organiser les alliances. Dans le christianisme, « Dieu » désigne qu’il y a plus grand que le protestantisme, et plus grand que le christianisme. Qu’est-ce qui, en politique, libère de la logique de pouvoir ?

 

B. Liberté des responsables politiques

Liberté / histoire

+Pour certains, le christianisme n’est pas crédible en raison de son histoire marquée notamment par l’inquisition, les croisades et les formes d’obscurantisme ; le protestantisme n’est pas crédible en raison de son histoire marquée par la guerre contre les paysans en Allemagne à l’époque de Luther ou l’Apartheid en Afrique du Sud au XXè).

Comment le PCF peut-il être libre à l’égard de l’histoire du communisme qui est notamment marquée par des tyrannies et par des politiques d’élimination physique des opposants ?

Liberté / institutions

+ Il n’y a pas de liberté sans responsabilité. Le parlement ne se dégage-t-il pas de sa responsabilité ?

Ex : p.123 vous vous plaignez de la politique des transports en raison d’un manque d’investissement dans les infrastructures et dans le recrutement d’agents SNCF. Or, la SNCF est une entreprise publique, dont la direction est déléguée sous la responsabilité de l’exécutif (du gouvernement). Or le parlement à une mission de contrôle sur l’exécutif. Comment se fait-il que pour la SNCF, ou les hôpitaux, ou maintenant EdF, le parlement ne soit pas plus exigeant sur les politiques publiques en décidant des investissement à faire et, au besoin, en faisant une motion de censure si le gouvernement s’y refuse ?

+ p.121 « vos salariés – qui eux maîtrisent la production – veulent plus de bien au développement de l’entreprise que ces fonds de pension qui pullulent dans les conseils d’administration de vos donneurs d’ordre » : c’est très juste. La meilleure direction n’est-elle pas au plus proche de la réalité (réalité du marché, réalité de l’entreprise, réalité des ressources) ? une gestion par l’État n’est-elle pas symétrique à la gestion de fonds de pension (au lieu de chercher le profit, on éponge les dettes).

=> quel devrait être le périmètre de responsabilité de l’État ?

Liberté des citoyens

+ p.14 le vote utile comme menace pour la démocratie : on prive la société de celui qu’on veut en choisissant d’éliminer celui qu’on ne veut pas par l’intermédiaire d’un autre qu’on ne voudrait pas non plus. Le vote utile pour le mieux placé détourne les électeurs de leurs convictions et donc réduit l’offre politique.

C. La place de la liberté dans l’action politique

Le libéralisme économique

+ p.101 « comment le modèle libéral a-t-il posé une nouvelle fois une main de fer sur nos institutions » : la main de fer sur nos institutions, sur nos choix stratégiques, est-ce du libéralisme ou la mainmise des États ?

Cf. aussi p.109 : la politique libérale est l’instauration d’un pouvoir ultra-autoritaire (qui anéantirait la république et ses principes d’égalité et de fraternité).

+ p.151 : « Libérer la banque centrale des marchés financiers » – en quoi les marchés financiers brident-ils la banque centrale qui pèse pour 80% du PIB de l’Europe, là où la FED pèse pour 40% du PIB des Etats-Unis ?

+ p.36 la loi NOME (Nouvelle organisation du marché de l’électricité) de 2010 oblige EDF à vendre l’électricité à 46,20 €/MWh au titre de l’ARENH (Accès Régulé à l’Électricité Nucléaire Historique). Ensuite les fournisseurs privés qui ont acheté cette électricité peuvent la revendre à 180€ voire plus. Vous en venez à dire que le libéralisme dépèce notre pays. S’il y avait une dérèglementation, EDF pourrait vendre au prix du marché. N’est-ce pas l’excès de loi, de réglementations, de directives décidées par les États européens qui posent problème ? Trop de lois bloque les situations et favorise la spéculation en créant de la pénurie.

Le travail

+ p.21 le travail pour ne pas avoir le sentiment d’être inutile, d’être socialement mort. Disons-le de manière positive avec Luther, le travail est le moyen par lequel chacun réalise sa vocation personnelle. Le travail, ce n’est pas seulement le salaire : liberté positive d’exercer ses talents.

+p.19 la question du travail est omniprésente dans les discussions : En faisant de l’État le garant de l’économie nationale, en allant vers un État providence, n’y a-t-il pas une théologie sous-jacente qui est celle d’un Dieu tout-puissant, au lieu d’une théologie de la responsabilité où Dieu désigne ce qui rend les êtres capables de mener les projets qu’ils jugent bénéfiques ?

+ Sentiment puissant de déclassement  dans les Hauts de France (constatable ailleurs en France) : comment redonner des degrés de liberté à ces personnes qui ont le sentiment de ne plus être maîtres de leur histoire, et de subir le quotidien ?  – la réponse ne peut pas être seulement monétaire.

Education et liberté

+ p.106 vous regrettez le recul des disciplines générales dans la formation professionnelle. Or, l’éducation ne serait-elle pas une réponse importante aux problèmes sociaux : faire reculer l’obscurantisme  et l’intégrisme (religieux ou superstitieux, complotiste etc.) par l’éducation en revalorisant les sciences et les disciplines qui forgent le sens critique (histoire, philosophie et le fait religieux en fait partie car la théologie prend sa part dans l’élaboration des idées).

L’éducation favorise l’esprit critique et la faculté de jugement qui permet de faire des choix personnels plus éclairés.

La crainte du déclassement que vous décrivez très bien p.104 ne peut pas trouver de solution seulement par des mesures gouvernementales d’aides – il faut aussi rendre les gens autonomes. Si nous prenons l’exemple de Jésus, il rend les gens capables de mener leur propre existence alors qu’ils étaient jusque-là fort dépendants.

L’Europe

+p.150 « combattre les traités européens » en vue d’une Europe qui serait « une union de nations et de peuples libres, souverains, associés » : plus de marché libre qu’actuellement ?

+p.150 : « l’UE n’a pas tenu les promesses qu’elle proclamait à ses débuts : elle n’a pas pu empêcher la guerre » : il n’y a pourtant pas eu de guerre entre les membres de l’UE

Une appréciation du Journal communiste Le fil rouge

3 commentaires

  1. Un échange riche, sans tabou et non dépourvu d’humour. Sur l’histoire du communisme, c’est une bonne chose que là qu’est ai été posé. Je trouve, toutefois, la réponse de Fabien Roussel un peu courte. Qu’est ce que le PCF a changé dans son fonctionnement et son idéologie pour éviter de reproduire les mêmes erreurs sur la liberté politique et la liberté économique, par exemple ?

  2. Trés interessant de voir l’apparente convergence des idées et comment en remontant à Marx ou remonte à l’influence de la doctrine une doctrine protestante . Merci beaucoup pour cet échange

  3. Peut-on changer de nom sans se changer soi même?
    Etre ou ne pas être? : « that is the question ».Les êtres humains sont des personnes morales et les structures politiques des personnes physiques.Donc finalement a égalité de « genre » dans le domaine de la morale et de l’éthique.Pour fusionner les deux champs introspectifs, ici « le rouge et le noir », plutôt que de se cacher en changeant de nom il faut surtout se transformer intérieurement et accepter ainsi le chemin de la rédemption qui seul nous fera reconnaître auprès des autres comme un nouvel être.Quant au Domaine du rapport de force, un de nos maître spirituel qui a agit autant en politique qu’en théologie disait ceci dans un de ses discours: »la liberté n’est jamais donnée par l’oppresseur, elle doit être exigée par l’opprimé ».

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