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Exode 22/6
Si un feu éclate et rencontre des ronces, et qu’une meule ou du blé sur pied, ou bien le champ, soit consumé, celui qui a causé l’incendie sera tenu à un dédommagement.
Chers frères et sœurs, la maison est en feu. La Grèce et la Californie sont en proie aux flammes. Mais la maison est en feu également en Israël et Palestine, et en France, et dans tant d’autres lieux de notre monde. La planète est en feu au sens où la nature prend feu. Le monde est en feu, au sens où la société prend feu. Notre planète et notre monde se font dévorer, pour reprendre le terme hébreu de notre verset biblique. Il s’agit d’un verset bien anodin ; un verset qui nous semble d’une banalité affligeante autant que d’un autre âge. Plus que cela, c’est un verset qui nous semble bien éloigné de nos préoccupations tant il semble qu’il ne répond pas du tout aux enjeux actuels. Si le feu se déclare, est-ce vraiment la question du dédommagement à laquelle il faut penser ? Ne s’agit-il pas, bien avant, de penser à éteindre le feu, à jeter de l’eau sur le feu ou tout ce qui permettra d’éteindre les flammes ?
Cette évidence du décalage entre les préconisations bibliques et le bon sens, le savoir-faire, indique bien que la réalité dont il est question ici ne saurait se réduire à la nature. Ce décalage indique que la Bible n’entend pas nous donner la conduite à tenir en cas d’incendie au sens physique du terme, du moins pas les premières consignes. La Bible utilise une situation de la vie quotidienne de l’époque pour en faire la métaphore de notre vie. Certes, ce verset biblique peut être utilisé pour le cas d’un incendie au sens matériel du terme, mais, nous allons le voir, il est avant tout question des relations sociales.
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Engager sa responsabilité
Commençons par nous intéresser au sens premier qui va nous permettre de mettre en évidence l’intention de l’auteur qui est de mettre en avant le sens de la responsabilité du lecteur, notre sens de la responsabilité.
Qu’est-ce que mettre le feu à des ronces, premier acte de cette scène biblique ? N’est-ce pas ce que nous avons tous envie de faire lorsque nous arrivons dans un lieu qui a été laissé à l’abandon pendant quelques temps : mettre le feu aux ronces, aux orties et à toutes les végétaux indésirables qui recouvrent un terrain devenu inutilisable. C’est le principe de l’écobuage, ces feux destinés à débroussailler.
Mais d’un petit feu destiné à brûler les herbes inutiles, il peut sortir un incendie qui ravagera une meule de foin, du blé en pied, éventuellement le champ. Ils ne sont pas rares ces incendies provoqués par un petit feu qui était en principe sous contrôle… Ils ne sont pas rares ces incendies gigantesques partis de rien, un mégot de cigarette, une braise qui jaillit un peu plus loin que la zone sécurisée, un écobuage qui cesse d’être maîtrisé. D’un petit geste présumé sans conséquence une catastrophe peut jaillir, sans que nul ne puisse rien y faire pour éviter cela.
Dans un autre registre, la théorie mathématique du chaos a été illustrée par le fait qu’un battement d’ailes de papillon en Nouvelle Zélande puisse cause un ouragan en Floride. Petite cause, grande conséquence imprévisible, non maîtrisable. Et dans ce cas, à qui la faute des catastrophes dues à des enchaînements incontrôlés ?
Le texte biblique ne réfléchit pas en terme de faute, ni de culpabilité. Le texte biblique tient compte du passé, de ce qui est arrivé, de celui qui a causé l’incendie, non pas pour l’enfermer dans ce passé, mais pour l’orienter vers l’avenir, pour lui donner un avenir, en le mettant en demeure de réparer ce qui a été détruit. L’incendiaire est sommé d’engager sa responsabilité, même si les conséquences sont infiniment supérieures à ce qu’il pouvait imaginer. A lui de dédommager pour les torts subis par les victimes, sans qu’il soit précisé, à ce stade de notre investigation, quel est le rapport entre le dégât et la réparation – faut-il remettre en état, conviendrait-il d’intégrer un dédommagement moral en plus etc.
Ce verset, somme toute anodin, ne l’est pas tant que cela au regard de la mécanique des causes et des effets. Non seulement ce texte nous dit que les conséquences de nos actes sont parfois – souvent – imprévisibles et qu’il convient donc d’être très attentifs lorsque nous agissons car nos actes ne sont jamais sans conséquences. Pensons à la fameuse chanson de 1935 « tout va très bien Madame la Marquise » qui raconte l’enchaînement implacable qui conduisit à la dévastation générale alors qu’au départ il n’y avait qu’un tout petit rien à déplorer. Penser les conséquences de nos actes, voilà le grand travail par lequel un enfant devient adulte. Mais ce texte nous dit également qu’il convient d’assumer ses actes, quelles qu’en soient les conséquences. Être responsable, voilà l’autre grande affaire des adultes. Ne pas se défiler, ne pas se défausser sur quelqu’un d’autre ou, pire, sur la fatalité ou le « pas de chance ». La Bible construit, par ce simple verset – et bien d’autres textes – notre sens de la responsabilité qui est une composante essentielle de l’être biblique. On ne saurait se revendiquer de la Bible, on ne saurait se considérer du peuple de Dieu, sans penser à la portée de nos actes et sans les assumer une fois accomplis.
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Notre responsabilité sociale
Mais souvenons-nous que ce texte n’est pas un traité d’agriculture. La vérité, est qu’avant de mettre le feu à une meule de foin ou de faire brûler du blé sur pied, il faut une sacré dose de ronces enflammées. C’est comme faire brûler un livre fermé… il faut plus que de la ténacité, il faut de la hargne.
Or, c’est peut-être de cette hargne dont il est question dans ce texte. La hargne qui nous fait brûler les ronces d’une société en toute bonne conscience, sans réaliser que c’est une manière de mettre le feu à toute la maison, à toute la société. Les ronces sont la partie nuisible de la végétation domestique, et des parties nuisibles, nous en avons dans nos sociétés. Je dis « partie nuisible » non du point de vue de Dieu, mais du point de vue humain. Au même titre que nous pouvons avoir du mal à supporter les ronces dans un champ, même si elles restent cantonnées aux abords, nous pouvons avoir du mal à supporter une catégorie de personnes dans notre champ social. Or, nous révèle ce texte biblique, ce que nous ferons à cette catégorie, ce que nous ferons de ces personnes, risque bien de ne pas être sans conséquences sur d’autres parties de la société voire sur la société dans son ensemble.
Lorsque nous sommes capables d’être sans pitié envers une catégorie, nous avons fait le premier pas pour être sans pitié envers d’autres catégories et ainsi de suite. Le théologien Niemöller avait écrit le fameux texte « Quand les nazis sont venus chercher les communistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas communiste. » suivent d’autres catégories de personnes qui connaissent le même sort après quoi Niemöller écrit : « Quand ils sont venus me chercher, il ne restait plus personne pour protester. » En creux, nous pouvons y lire la lâcheté qui laisse le champ libre à ce que l’homme peut produire de pire. Emmanuel Levinas parlera du « fiasco des meilleurs qui laisse le champ libre aux autres. » Si nous acceptons que le maillon le plus faible soit retiré, soit démoli, alors c’est toute la chaîne qui en pâtit. Si l’Eternel est réputé être le Dieu de la veuve, de l’orphelin et de l’immigré, c’est parce que notre façon d’être avec les éléments les plus faibles est déterminante pour notre façon d’être avec tous les autres.
Si nous considérons les différentes catégories agraires convoquées dans ce texte, nous avons un texte qui nous dit que, selon la manière dont nous nous comporterons avec une catégorie marginale, cela aura un retentissement sur nos institutions – les épis de blés mis en ordre, rassemblés en meules –, sur notre jeunesse – le blé en herbe – et sur nous tous, au bout du compte, le champ. En pensant au fait que la France vient de battre son record d’incarcération avec 70.633 détenus pour environ 60.000 places en prison, il n’y a pas forcément lieu de s’étonner qu’il puisse y avoir le feu dans la maison, qu’il puisse y avoir des violences envers les forces de l’ordre ou les pompiers et, dans un registre plus symbolique, que les institutions soient malmenées en France. S’habituer à ce qu’une partie de la population soit malmenée, c’est s’habituer à l’injustice à tous les niveaux. Et au-delà de la Méditerranée, en m’en tenant à mon expérience personnelle, l’humiliation telle qu’elle est pratiquée envers les palestiniens, ne peut qu’enflammer les différents niveaux des sociétés palestiniennes et israéliennes. Dans tous les cas cela constitue un spectacle affligeant pour la jeunesse qui y voit une autorisation de comportements justement irresponsables, de comportements qui ne pensent pas les suites possibles, qui n’envisagent pas les torts qui peuvent être causés. A partir de là, toute une société est capable de s’embraser et de se détruire.
Ce verset biblique construit la conscience du lecteur qui est appelé à épouser le point de vue de l’Eternel qui considère les ronces et le reste du champ dans un même regard bienveillant et qui est concerné aussi bien par un aspect que par l’autre. Le point de vue de l’Eternel relativise nos modes de classification en montrant la solidarité de fait qui existe au sein de la création : le mal que nous faisons là-bas, nous en payons ou nous en paierons forcément le prix ici ; nous ne pouvons pas délocaliser nos déchets sans, à un moment donné, en payer les conséquences ici ; nous ne pouvons pas confier à d’autres le soin de s’empoisonner par une industrie particulièrement polluante dont nous tirons des bénéfices, sans en payer aussi les conséquences. De même que notre comportement a, évidemment, des conséquences sur l’état de la nature, notre manière d’être a des conséquences dans le champ social. Notre seul regard a des conséquences sur la marche du monde.
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Pacifier
Accomplissons cette lecture biblique en portant notre attention sur le terme employé pour le dédommagement. Le texte hébreu dit : « Shalem yeshalem ». C’est le verbe Shalam – faire la paix – qui est conjugué deux fois pour insister…insister à la mesure de l’insistance sur l’acte criminel puisque le verbe incendier « ba’ar » est, lui aussi, redoublé. Il y a là non seulement un encouragement à redoubler d’effort, mais à aller dans le sens du Shalom et de tout ce qui peut accroître le Shalom. Dédommager est un aspect, mais bien insuffisant au regard de l’exigence du Shalom dans la Bible. Il y est question de s’orienter et de s’orienter encore vers la paix, vers la concorde, la communion, le plein accord. Redoubler les efforts pour la paix, c’est affirmer, à contre pied de la sagesse populaire : « si tu veux la paix, prépare la paix » ! Agir autrement, c’est mettre le feu aux ronces, il faut le savoir.
Pacifier ! Voilà le grand œuvre qui nous incombe et c’est là que réside le bouleversement opéré par la grâce dont la Bible témoigne. Nous sommes non seulement responsables de nos actes, mais nous sommes capables de faire œuvre de paix. Même le salaud, même le criminel, même celui que nous estimons être une ordure, même celui que nous estimons être un moins que rien, même celui qui a manifestement tout raté, même celui qui est a priori à côté de la plaque, celui-là est réputé pouvoir faire œuvre de paix. Nous sommes reconnus capables de transfigurer nos pulsions de bases qui provoquent tant d’incendies, en efforts pour plus de Shalom, pour une paix plus profonde, plus intense. Cette grâce, c’est de ne pas considérer l’incendiaire comme un ennemi à jamais, ne pas le cataloguer dans le clan des infréquentables, de ceux dont on pourrait se passer voire qu’on pourrait exterminer, mais le considérer comme un être capable de s’engager en faveur d’un champ à nouveau fertile, en faveur d’une vie à nouveau féconde. Cette grâce nous permet de considérer qu’il y a un au-delà possible aux sinistres, aux catastrophes, aux malheurs de toutes sortes et qu’il y a un au-delà possible à la faute pour celui qui l’a commise. Adhérer à cette divine possibilité de la paix en dépit de tout ce qui la rend impossible, en dépit des autres et de nous-mêmes, voilà ce qu’est la foi.
Amen
Magnifique contribution au débat politique qui fait l’actualité du moment. Le feu s’est propagė et court toujours dans toutes les » hautes sphères »de l’ėtat, semant son lot de haine, de suspicion, de mensonges, sous couvert de recherche d’une responsabilité, d’une vérité unique. Qui a mis .le feu aux ronces? ‘
»Engager sa responsabilitė » « Pacifier »
Pourquoi ne pas envoyer cette magistrale contribution inspirėe à la commission d’enquête du Sénat, pour rappeler comme le souligne le pasteur James Woody dans cette prédication que: »Nous sommes non seulement responsables de nos actes, mais nous sommes capables de faire oeuvre de paix ».
On peut considérer que nous sommes capables de plus que « pollueurs payeurs » etc.
Le feu se propage et est propagé partout, c’est un constat.
Si nous sommes responsables de nos actes, sommes-nous réellement capables
de faire œuvre de paix, le voulons nous, est-ce souhaitable, est-ce vraiment biblique ?
La guerre..c’est aussi l’apprentissage de la vie en société qui se fait dans la famille en premier lieu, jalousie d’un enfant qui voudrait s’approprier l’un de ses parents, jalousie entre frères et sœurs..rivalité aussi parfois des parents, les premières racines de la guerre sont en place. Sentiments plus ou moins refoulés – dans un premier temps – par l’éducation..
Viennent ensuite le monde associatif et le monde du travail où les rivalités sont nombreuses aussi, sans parler des CP pas toujours si paisibles qu’ils voudraient le paraître. Comment s’étonner que la société issue de tous ces mondes là soit guerrière, surtout dans un pays où l’armement est une des premières industries ?
En effet, ce qui est d’autant plus paradoxal que tous ces lieux (famille, Eglise, association…) pourraient être non seulement des lieux d’apprentissage de la paix, de la concorde, mais aussi des lieux d’expérimentation pour proposer des alternatives crédibles aux phénomènes de rivalité, de frustration etc. Il y a là l’indication des impulsions à donner pour la suite, non ?
Je ne vois rien de paradoxal là-dedans..ces problèmes de rivalités/jalousie nous apprennent aussi à nous (faire) respecter, et sont plus efficaces que le respect du prochain prôné au Temple..on pourrait aussi dire, nous apprennent à nous battre. C’est avec ce genre de situation que nous apprenons la pugnacité qui ne s’apprend pas toute seule non plus.
La bagarre fait qu’il y a un vainqueur et un vaincu qui va respecter le vainqueur !
Cela peut se régler diplomatiquement mais ne fera pas avancer la situation.
Or et au risque de me répéter, nous vivons en société, donc pas seul, et il nous faut tenir compte des autres, sans chercher à nous mettre à leur place, mais à chercher à comprendre pourquoi ils réagissent comme cela à telle situation ou dire. Ce serait déjà une belle démarche mais elle n’est pas simple, et pas à la portée de tous.
Peut-être aussi parce que les rivalités entrainent des notions de pouvoir, et qu’au pouvoir, les hommes bien souvent changent car ce n’est pas tout de l’acquérir, il faut encore le garder.
Merci James.
Cela fait des années que je médite et à l’occasion publie sur cette symbolique du feu qui détruit, ronge, ravage, corrompt.
En mettant en parallèle le feu des incendies, des éruptions et des guerres qui éclatent un peu partout et simultanément à la surface du globe. Et le feu du désir, de l’avidité, de l’enflure d’egos sans frein, sans foi ni loi, du désir de toute puissance, d’avoir, de pouvoir, de domination, et de consommation-consummation.
Un feu nourri de vanités séculières, protéiformes, et sans cesse renouvelées. Qui nous rabaissent au rang de faux dieux orgueilleux et de consommateurs frénétiques.
C’est ce feu-là qu’on attise un peu partout pour mieux orienter les esprits et contrôler des foules hagardes et versatiles.
Et qui au plan quantique ou spirituel est la véritable matrice conscientielle de tous les autres feux visibles. Un feu que seules quelques sages arrivent encore à décrypter au milieu du brouhaha chaotique des passions et des chimères.
Car microcosme et macrocosme, intérieur et extérieur des choses sont intimement reliés par les fils de la Conscience.
Une vérité qu’énonçait déjà la Gnose chrétienne dans des paroles prêtées à Jésus de L’Evangile de Thomas :
Lorsque vous ferez le deux Un
et que vous ferez l’intérieur comme l’extérieur,
l’extérieur comme l’intérieur,
le haut comme le bas,
lorsque vous ferez du masculin et du féminin un Unique,
afin que le masculin ne soit pas un mâle
et que le féminin ne soit pas une femelle,
lorsque vous aurez des yeux dans vos yeux,
une main dans votre main
et un pied dans votre pied,
une icône dans votre icône, alors vous entrerez dans le Royaume !
A trop nourrir le feu, l’énergie Yang, de conquête et de combat, à négliger le féminin de l’Etre, sinon sous des formes réactives, dans des discours politiquement corrects, ou cette volonté culpabilisante et castratrice de gommer à tout prix de nos discours, comportements et sociétés tout ce qui nous renvoie à ces avidités compulsives et conquérantes, symboles d’une société hypervirile dont les armes, les drapeaux et la technologie sont les fétiches, on en vient à des déséquilibres existentiels et spirituels qui creusent en nous et entre nous des gouffres.
Le feu. Qu’aucun déluge n’arrive à éteindre.
Les eaux célestes abondent pourtant sur nos têtes endurcies et nos esprits réfractaires au changement salvateur.
Il est une eschatologie subtile, intime et cordiale, où les feux de l’Orgueil le plus enflé et des désirs les plus exacerbés rencontre la manne délicate et paisible de la Miséricorde, de l’Amour inconditionnel et de l’aspiration respectueuse vers les plus hautes sphères et les plus hautes réalisations de l’être.
Nous en sommes tous là. Suspendus entre l’Abîme et les Cieux, la foudre, le tonnerre, et les cohortes angéliques qui chantent la Gloire de l’Amour infini.
A nous de choisir où porter notre regard. Où tourner notte cœur. Et quel feu nourrir.
Celui qui consume, ou celui qui élève, ravit, conforte, apaise, comble et réunit.