Somewhere in France… tout un programme quand on y pense. Un gars de Virginie, d’une vingtaine d’année, qui se retrouve… quelque part en France, en 1944.
Quelles nouvelles du front ? une montre a été reçue, de l’argent a été envoyé à la famille. En quelque sorte « Rien à signaler ». Ou, plus exactement, rien à dévoiler, rien à révéler. Pas même le lieu exact où l’on se trouve.
Quand on sert dans le SOS Signal Corp, on sait la prudence qu’il convient d’avoir en matière de communication.
D’ailleurs, les courriers sont visés par l’autorité de censure.
C’est écrit à la main sur cette enveloppe.
C’est la norme sur tout le courrier. Il faut connaître l’histoire mondiale pour savoir qu’on est en guerre : il n’y est pas question d’ennemi. Il n’y est pas question, évidemment, des actions, des mouvements. Pas de haine, pas d’animosité. Juste les bons sentiments envers ceux qu’on a laissés au loin.
La véritable information que contient chaque lettre envoyé, c’est que l’expéditeur est toujours là. Le OK prend tout son sens : 0 killed.
Et réciproquement. On s’enquiert de ce qui arrive de l’autre côté de l’océan. On pense aussi au Pacifique. Tout le monde n’est pas sur le vieux continent. Il y a aussi la jungle, dans la famille.
De loin en loin on suit la progression du fiston
On commence Private, en Alabama
Puis Sergeant
Et, parce que c’est la guerre, il arrive que le grade évolue rapidement
Chacun fait donc sa part du travail, en toute discrétion, et en communion. La communion s’incarne notamment par le culte qui transcende les distances géographiques. Le culte est aussi ce qui replace chacun face à ce qu’il y a de fondamental et, par conséquence, face à ses responsabilités. Si l’aumônier aide à viser juste, c’est dans le domaine des combats qui défendent ce qu’il y a de divin dans le monde : l’humanité dont on ne se départit pas, notamment face à ce qui n’a plus rien d’humain.
La communion, ce sont aussi les amitiés qui se nouent et qui permettent de fréquenter ceux dont on aurait jamais croisé la route (Indiana, Virginie, Kentucky, Ohio, Caroline du Sud). C’est la fraternité d’arme, au sens noble du terme. Mais qu’on ne s’y trompe pas : la guerre peut donner le sentiment de forger des amitiés. Elle semble nouer des alliances et susciter de nouvelles histoires humaines. En fait, ce sont les personnes qui, en toutes circonstances, peuvent donner un sens plus humain à une histoire qui est plutôt inhumaine. La bravoure, c’est aussi de rester humain dans les temps de sauvagerie. C’est ne pas se laisser submerger par la force entraînante du mal qui transforme tout en malheur. La guerre n’est pas une pourvoyeuse de vertu. Elle n’est, au mieux, que le moindre des maux.
Et puis, au bout d’un moment, il est possible de préciser qu’on est à Paris.
Manifestement, Paris est une ville pleine de charme. Un charme, une avalanche de charme, auquel on n’a pas été préparé dans le Sud profond des États-Unis. L’une de ces jeunes parisiennes émergera aux yeux de ce Virginien.
Je vous rassure, elle avait bien d’autres talents que la cuisine de lapins, aussi délicieux étaient-ils (même chose pour le pain perdu, mais cela est une autre histoire).
Quelques mois plus tôt, le 21 janvier 1945, en Europe centrale, les prisonniers de Blechhammer, un sous-camp d’Auschwitz, évacuent les lieux sous la pression de l’armée soviétique et de la Royal Air Force. Ils entament, au milieu de l’hiver, une véritable marche de la mort qui les mènera à Buchenwald. Parmi eux, son futur beau-père qui, lui, arrivera finalement à Paris et retrouvera les siens. Ce sont deux destinées qui, de part et d’autre de l’Allemagne, vont s’unir et former un horizon commun.
Et, plus d’un an après le D-Day, un autre Jour de la Décision offrira un supplément de vie à l’histoire mondiale qui était si mal partie.
C’est ainsi qu’un peu du rêve de liberté porté par les Américains prend chair à Paris. Le baby boom qui suivra est la traduction de cette humanité ressuscitée au milieu d’un pays un temps dépossédé de lui-même. Une union célébrée à la cathédrale américaine de Paris exprime l’alliance deux continents, de deux confessions chrétiennes, de ces deux horizons qui s’enrichissent mutuellement et renouvellent l’histoire.
Et un James de plus viendra apporter sa contribution à un monde plus vivable… en juin 1946, en attendant un autre 26 ans plus tard.
Il y a là une noblesse qui n’est pas de cape. Il y a là une histoire familiale qui est comme une fraction de l’histoire du monde et qui sait ce qu’elle doit à ceux qui ne sont plus, à ceux qui étaient en première ligne, aux soldats de l’ombre, à ceux qui n’ont pas parlé et à ceux qui ont parlé – Malraux nous a rappelé le caractère atroce de cela. Il y a ceux qui ne sont pas revenus, ceux qui pour qui retentit la Todesfuge de Paul Celan. Il y a toutes ces femmes qui, telle Ritspa (2 S 21), ont ajouté des enfants à leurs enfants et ont résisté à la tentation de prendre le visage de la sauvagerie en veillant les corps suppliciés. Il y a ces jeunes parisiens qui coupaient les boutons des uniformes de l’occupant dès qu’ils le pouvaient, ces pasteurs qui organisèrent les exfiltrations d’enfants juifs. Il y a toutes ces personnes qui ont fait ce qu’il y avait à faire, sans se poser d’autre question que celle de leur vocation et qui ont répondu, chacune à sa manière, me voici.
Il y a aussi les lâches, les couards, ceux qui étaient fascinés par la force d’un rêve d’empire, ceux qui gagnèrent leur servitude plus qu’ils ne perdirent leur liberté. Il y ceux qui n’eurent pas le courage d’être à la hauteur de leur vocation et que je ne saurais blâmer. Et c’est pour ceux-là, aussi, que Philippe Leclerc de Hauteclocque fera monter les couleurs jusqu’au sommet de la cathédrale de Strasbourg, comme il s’y était engagé avec une poignée d’amoureux inconditionnels de la liberté.
Il en fallut, de l’humour, pour braver le danger. Il fallut aussi la foi. La foi n’élimina jamais les menaces ni les tragédies. A la manière de David allant au devant du géant Goliath, avec le nom de Yhwh pour équipement (1 Samuel 17), la foi renforce l’attachement à ce qui est juste, à ce qui mérite qu’on se dévoue de tout son être. La foi nous fait prendre conscience qu’il y a plus grand, plus important que nos préoccupations personnelles. Et cela nous appelle à nous relever quand nous aurions tendance à renoncer.
80 ans après l’opération Neptune du 5 juin, les parachutages des 82e et 101e divisions aéroportées US (15.500 hommes, 1662 avions, 512 planeurs) pour sécuriser Utah Beach, et de la 6e britannique (7990 hommes, 733 avions, 355 planeurs) pour sécuriser la zone entre l’Orne et la Dives,
80 ans après l’opération Overlord, les assauts sur Utah, Omaha, Gold, Sword et Juno – 135.000 hommes ont débarqué le 6 juin, 10.000 seront blessés, tués ou disparus en cette journée qui n’en finit pas-,
leur histoire m’oblige. Non comme une dette qu’il faudrait rembourser. Mon grand-père est venu pour rétablir la liberté, non pour créer de nouvelles aliénations. Leur histoire m’oblige car elle révèle notre capacité à accomplir des actes qui transcendent largement notre satisfaction personnelle, nos intérêts propres : nous sommes capables d’être agents de la grâce. Leur histoire m’oblige car elle révèle notre capacité à nous allier pour promouvoir ce qui rend la vie non seulement possible, mais infiniment plus humaine, parce que plus libre. Leur histoire m’oblige car elle me rappelle que ne rien faire, ne rien entreprendre, c’est favoriser les effondrements, la décréation, le tohu-bohu. Leur noblesse d’épée m’oblige, car elle exhorte à penser nos actions comme une manière de gagner la paix. Sans ignorer le tragique de l’existence. Sans perdre de vue l’espérance qui se traduit par le fait qu’il y a toujours des défis à relever pour porter le monde à un niveau supérieur d’accomplissement.
Merci James pour ce partage de ton histoire et de celle de ta famille, merci.
Quelle émouvante et belle histoire, merci James
Merci James pour cette touchante histoire de vie au milieu du chaos guerrier et pour votre commentaire biblique
Suzanne
Une histoire détaillée,conduite de facon serrée, et pourtant émouvante .
Merci.
Merci pour ce beau témoignage ! Quand la mémoire rejoint l’Histoire, elle fait d’elle une histoire vivante.
Merci, James !
Merci James de nous rappeler ,par ce bel exemple de tes grands parents,qu’il est toujours possible d’agir pour la justice, de pratiquer l’amour au milieu d’un mal majeur,de résister au désespoir ambiant.Leur courage,soutenu par une foi vivante , nous donne aujourd’hui une raison supplémentaire de résister au découragement actuel et de croire en la beauté de la bonté.
Merci pour ce partage, c’est une très belle histoire
Quelle belle et touchante illustration de ce D Day 2024 pour deux normands de cœur actuellement sur les plages du débarquement !
Merci pour cette évocation si personnelle qui nous permet de faire encore meilleure connaissance .
Très affectueusement .
Merci beaucoup James pour ce récit
singulier entre la grande histoire qui broie certains mais qui libère et l’histoire humaine pleine de chair, d’émotion et finalement de sens , incroyables destins …
Olivier RIVES
Merci James de nous avoir fait partager ton histoire familiale et d’avoir pu montrer les lettres !
Anne-Catherine
Merci James pour ce texte très émouvant et très riche d’enseignements.
Michel Dautry
Mireille Comte
magnifique témoignage et documents amazing !
Merci James, tu nous étonneras toujours.
Mireille Comte dit :
Magnifique témoignage, très émouvant
Je me suis toujours demandé comment un orateur avec un nom à consonance anglo-saxone maîtrisait si bien la langue française! Merci d’avoir partagé ce si beau récit familial et bon vent pour le nouveau défi dans le ministère.