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Exode 2/1-10
1 Un homme de la maison de Lévi avait pris pour femme une fille de Lévi. 2 Cette femme devint enceinte et enfanta un fils. Elle vit qu’il était beau, et elle le cacha pendant trois mois. 3 Ne pouvant plus le cacher, elle prit une caisse de jonc, qu’elle enduisit de bitume et de poix; elle y mit l’enfant, et le déposa parmi les roseaux, sur le bord du fleuve. 4 La soeur de l’enfant se tint à quelque distance, pour savoir ce qui lui arriverait. 5 La fille de Pharaon descendit au fleuve pour se baigner, et ses compagnes se promenèrent le long du fleuve. Elle aperçut la caisse au milieu des roseaux, et elle envoya sa servante pour la prendre. 6 Elle l’ouvrit, et vit l’enfant: c’était un petit garçon qui pleurait. Elle en eut pitié, et elle dit: C’est un enfant des Hébreux ! 7 Alors la soeur de l’enfant dit à la fille de Pharaon: Veux-tu que j’aille te chercher une nourrice parmi les femmes des Hébreux, pour allaiter cet enfant ? 8 Va, lui répondit la fille de Pharaon. Et la jeune fille alla chercher la mère de l’enfant. 9 La fille de Pharaon lui dit: Emporte cet enfant, et allaite -le-moi; je te donnerai ton salaire. La femme prit l’enfant, et l’allaita. 10 Quand il eut grandi, elle l’amena à la fille de Pharaon, et il fut pour elle comme un fils. Elle lui donna le nom de Moïse, car, dit -elle, je l’ai retiré des eaux.
Chers frères et sœurs, si la fête chrétienne que nous célébrons aujourd’hui s’appelle « Noël », c’est parce qu’il est question de la naissance de Jésus, de sa natalis, mot latin qui a donné « Noël ». En appelant cette fête naissance, le christianisme ne s’est pas trompé sur le sens de ce qu’il y a à fêter. Noël ne consiste pas à célébrer le petit enfant Jésus, mais à célébrer une naissance, une venue au monde, quelque chose de neuf qui surgit dans le monde pour le sauver de sa misère. Évidemment, en lisant le récit de la naissance de Moïse en cette fête de Noël, on peut être frappé qu’il n’y ait pas tant de neuf que cela puisque nous avons deux enfants qui naissent, tous deux dans des familles de la tribu de Lévi ; deux enfants qui sont menacés de mort à leur naissance et qu’il va falloir soustraire à leur probable mise à mort. Ni Jésus ni Moïse ne semblent les bienvenus et il est manifeste qu’ils n’ont pas vraiment leur place au sein de l’humanité. De plus, ce sont deux enfants qui ne vont pas porter le nom qu’il auraient dû porter, puisque c’est la fille de pharaon qui va nommer Moïse et que Jésus ne s’appellera finalement pas Emmanuel comme cela était prévu au départ.
Du coup, avec ces quelques points communs nous comprenons que les récits de Noël ne nous invitent pas seulement à tourner notre regard vers ce qui s’est passé il y a un peu plus de 2.000 ans, mais à regarder aussi notre propre venue au monde, à la lumière de ces récits bibliques de naissance. C’est ainsi que nous pourrons découvrir de quelle manière nous sommes, personnellement, le lieu de l’incarnation de Dieu dans l’histoire. Et nous allons voir de quelle manière ce récit de naissance nous enseigne ce qu’est être humain.
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Vulnérabilité assumée et transcendée
Tout d’abord, il importe de constater que le regard des rédacteurs bibliques ne se portent pas tant sur l’enfance que sur ce moment crucial de la naissance. En effet, ni pour Moïse, ni pour Jésus, nous ne saurons ce qui s’est passé durant leur enfance. Nous ne saurons pas s’ils ont bien travaillé à l’école et s’ils y étaient sages (il y a plutôt lieu de penser qu’ils n’ont pas vraiment usé leurs fonds de culotte sur les bancs d’une classe). En revanche nous savons qu’au moment de leur naissance, cela aurait pu très mal finir très rapidement. Voilà qui intéresse les rédacteurs bibliques : les premiers instants qui sont les instants des instants cruciaux. La naissance est le moment où l’être humain est le plus vulnérable. Il est à la merci du moindre problème. Ici c’est la menace du souverain tyrannique, d’une manière plus générale le nouveau-né est tout sauf autonome.
Le nouveau-né dit bien la condition humaine, qui est faite d’une totale fragilité (qui tient un bébé pour la première fois de sa vie dans ses mains a peur de le casser) et d’une immense dépendance (sans le moindre soin de la part des adultes, le bébé n’a aucune chance de s’en sortir tout seul). Autrement dit, le bébé incarne la vulnérabilité et cette vulnérabilité est un trait caractéristique de l’humanité. Quelqu’un qui n’est pas vulnérable n’est pas pleinement humain. C’est d’ailleurs tout le problème des tyrans qui refusent la moindre vulnérabilité : ils ne sont plus humains. La vulnérabilité, c’est le fait que l’échec soit constitutif de la vie : il nous arrive de nous tromper, de faire des erreurs, de commettre des fautes. C’est une donnée de notre vie que Dieu connaît bien et qu’il assume. Dieu assume cette vulnérabilité en se rendant pleinement présent dans le nouveau-né de Bethléem.
Avec l’épisode de Moïse, nous voyons que la vulnérabilité est bien comprise par la mère de Moïse qui va le cacher dans un coffre dont le nom hébreu, tébah, est le même qui est utilisé pour parler de l’arche de Noé. Moïse qui ne s’appelle pas encore Moïse, est placé dans cette tébah pour essayer de le sauver de la catastrophe à venir. Et il est placé au milieu des Joncs, comme il sera plus tard au milieu de la mer des Joncs, pour la libération du peuple Hébreu. Rappelons-nous qu’en hébreu, le mot souph/soph, signifie aussi bien les joncs que la fin. Moïse nous enseigne que lorsqu’on est situé à la toute fin, il n’est pas sûr que ce soit totalement la fin. Cela peut encore déboucher sur un avenir.
Ainsi, Moïse sauvé de la mort et des eaux, comme Jésus qui sera sauvé de la folie d’Hérode, indique que la vulnérabilité est un élément fondamental de la condition humaine, et que cela n’est pas un obstacle à l’avenir : on peut se sentir fragile, menacé, harcelé, on peut se sentir nul aujourd’hui, un avenir pleinement satisfaisant reste possible.
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Un nouveau regard sur les ennemis
Moïse et Jésus, tout vulnérable qu’ils sont, vont être sauvés l’un et l’autre en Égypte. Or on ne peut pas dire que l’Égypte ait bonne presse selon la Bible. Du moins est-il souvent fait référence à l’Égypte comme lieu de l’esclavage, dont Moïse permettra la libération, justement. Mais une autre image s’est superposée à celle-là : l’Égypte, lieu du salut. C’est vrai pour Jésus, ce fut vrai également pour le futur roi Jéroboam qui échappa à la colère de Salomon en se réfugiant en Égypte. Ce fut vrai aussi, dans le livre de la Genèse, pour des personnes qui trouvèrent en Égypte leur salut, que ce soit Joseph qui allait être tué par ses frères ou que ce soit ses frères, plus tard, qui risquaient de mourir de faim et qui trouvèrent en Égypte de quoi se sauver de la famine.
Cela indique que l’avenir passe par un nouveau regard sur les autres et, tout spécialement sur les ennemis. L’Égypte, figure de l’ennemi par excellence, devient le lieu du refuge et du salut. Cela nous indique qu’il ne faut pas enfermer qui que ce soit dans une image définitive – faire une image figée, c’est en faire une eidolon en grec, une idole, et ça c’est péché. Si nous pensons à l’histoire récente de la France, pensons à ce que serait notre vie si nous maintenions les Allemands sous les traits de l’ennemi alors que nous leur devons d’avoir pu adosser notre économie à la leur pendant plusieurs années. N’oublions pas l’Angleterre qui aurait pu rester un ennemi héréditaire. Et cela doit nous encourager à penser l’avenir en transcendant les conflits du moment.
De même que la famille de Pharaon, hostile aux Hébreux, prendra soin de Moïse le libérateur et que l’Égypte sera une terre de salut, pensons l’avenir qui consistera à faire passer du conflit avec la Russie à de nouvelles coopérations. Pour cela il faut transcender les identités respectives et nous reconnaître plus grands que ce que nos identités particulières nous font imaginer. De même que les protestants ont considéré qu’il y a plus grand que le protestantisme, ce qui a permis l’œcuménisme, il y a plus grand que la France ou que n’importe qu’elle nation. Les récits de naissance de Moïse et de Jésus montrent bien que nous avons en commun, qui que nous soyons, cette vulnérabilité qui caractérise la condition humaine. Ces récits montrent qu’il y a de l’universel dans notre humanité et que cette dimension universelle devrait orienter notre avenir vers les coopérations plutôt que vers les conflits. Voyons aussi que l’enfant hébreu d’Exode 2 va recevoir un nom égyptien et quel nom, puisque « Moïse » signifie « né », comme Thoutmosis qui se déclare né de la divinité Tot. « Moïse », c’est celui qui est « né de ». De père inconnu et de mère non nommée, d’ailleurs. Il est fils de Dieu, fils de l’humanité. C’est un fils qui n’appartient à personne, qui est pleinement libre de mener sa vie, comme Jésus qui aura pleinement conscience qu’il y a plus grand que ses parents biologiques, qu’il y a plus grand que Salomon aussi. Ne pas être prisonnier d’une identité trop étriquée, c’est être libre de pouvoir engager l’avenir sur des adhésions plus larges que nos étroitesses de vue.
Ainsi, Jésus transcendera les barrières religieuses, morales, politiques, pour replacer chacun face à la dimension universelle de l’existence et découvrir dans celui ou celle qui vient vers nous la figure d’un prochain.
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Des familles lévitiques qui permettent l’expérience du sacré
Cela nous conduit au troisième point des découvertes que nous pouvons faire à Noël. Il est précisé que la mère de Moïse est de la tribu de Lévi ; nous le comprenons aussi de Jésus dont la mère a pour cousine Élisabeth qui est la femme d’un prêtre, d’un lévite. La tribu de Lévi est celle au sein de laquelle on trouve les prêtres et, notamment le grand prêtre. Ce sont ceux qui ont pour vocation de rendre possible la proximité avec Dieu. Ce sont ceux qui ont pour fonction de replacer chaque vie et tout le peuple en face du sacré.
Le sacré, nous l’oublions parfois quand nous sommes obsédés par les questions du pouvoir, de la puissance, de la possession ou quand nous sommes menacés par la faim, le froid, le risque de basculer dans la misère, la solitude, quand notre vie n’est plus que l’ombre d’elle-même. Même lorsque nous venons au culte, ce n’est pas forcément pour éprouver la présence du sacré, alors que le sacré est bien au cœur de la question religieuse, comme il est au cœur de la vie, puisque la religion n’est pas autre chose que le moyen par lequel la vie est véritablement la vie en intégrant, justement, la dimension du sacré dont la religion est la servante.
Moïse pour le peuple hébreu, puis Jésus pour toute personne dont il croiserait la route, ont eu cette fonction qui consiste à rendre Dieu présent dans la vie des gens pour porter leur vie à l’incandescence, à l’image du buisson ardent qui brûle et ne se consume pas, et qui révèle à chacun quelle est sa vocation profonde, quel est le sens profond de sa vie.
Moïse, puis Jésus incarneront cette fonction divine qui consiste à appeler chacun à se poser la question du sens de sa vie et à découvrir que la vie ne se résume pas à accumuler les journées, à survivre un jour de plus, à faire bien sagement ce que les parents, les maîtres, les pasteurs, les habitudes, ou la mode du moment dicte de faire. Le sacré, c’est ce qui a pour nous valeur d’ultime, ce qui est inconditionnel, ce avec quoi on ne badine pas. Ce qu’on défendra jusqu’à l’épuisement des forces parce que la vie n’est plus la vie sans cela. Noël, c’est la venue au monde de la possibilité que notre vie ait du sens, qu’elle ait soit empreinte de la liberté que Dieu nous donne d’imprimer à nos journées le sens de ce qui nous semble juste. Si nous allons au bout de la vie de Jésus et que nous écoutons les dernières paroles qu’il adressera à ses disciples et qui révèlent le sens de tout cela, Noël, c’est l’advenue d’une vie par laquelle chacun peut éprouver une joie complète.
Amen
Magnifique sermon qui m’a ouvert à cette idée de coopération au lieu de conflit… mais je ne peux l’appliquer dans le cas de la guerre d’Ukraine !!
Ni dans le cas de l’œcuménisme mais ceci est un conflit personnel !!!!
Donc merci d’ouvrir mon esprit… « le regard d’en haut « dont parle le philosophe Hadot…( N’oublie pas de vivre)
Tres cordialement
Lila
Merci cher James. Remarquable.
Merci James de nous rappeler que Moise comme Jesus n’avaient pas une identité très fixe et que certains ont trouvé leur salut au sein de l’ennemi égyptien… Vive l’espoir et vive la joie de Noël.
Assez étrange cette vocation de l’Égypte : être Terre d’asile pour les hébreux et la constater aujourd’hui fermant ses frontières aux palestiniens