L’Épiphanie d’un monde adulte


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Marc 1/32-34

Le soir, après le coucher du soleil, on amena à Jésus tous les malades et les démoniaques. 33 Et toute la ville était rassemblée devant sa porte. 34 Il guérit beaucoup de gens qui avaient diverses maladies; il chassa aussi beaucoup de démons, et il ne permettait pas aux démons de parler, parce qu ‘ils le connaissaient.

Chers frères et sœurs, le monde entier a les yeux braqués sur les mages qui viennent de l’Orient apporter des cadeaux au petit enfant qui les attend sagement dans la crèche. Le monde entier ? Non, car un irréductible peuple qui ne se contente pas des phénomènes de mode religieuse et qui lit la Bible, sait que la vie de Jésus ne saurait se réduire à la figure du poupon qui orne les crèches. D’ores et déjà, avec l’évangile de Marc, nous sommes orientés, comme le seront les mages, à vrai dire, vers l’avenir, vers ce qui est à venir, vers ce qui fonde notre espérance. C’est donc d’espérance que j’aimerais commencer à vous parler aujourd’hui.

  1. L’action de Jésus, chasser les démons, est une activité d’adulte

Dans ce passage biblique qui inaugure le ministère de Jésus, nous ne voyons pas l’activité d’un enfant. Contrairement aux évangiles qui n’ont pas été retenus dans la liste des livres biblique, les évangiles de Matthieu, Marc, Luc et Jean ne font pas état d’une activité de l’enfant Jésus, et encore moins d’une activité qui consisterait à chasser les démons. C’est adulte que Jésus s’en chargera. Et je reviens un instant sur les mages pour attirer votre attention que les cadeaux qu’ils apportent ne sont pas des cadeaux pour un enfant, mais pour un adulte.

L’évangile de Marc entame donc le ministère de Jésus sur une action qui n’a rien d’enfantine : chasser les démons. Certainement est-il important de s’arrêter un instant sur la signification de cette expression « chasser les démons ». Quand un croyant en parle, cela a tendance à faire ricaner les non-croyants qui considèrent que cela relève de l’infantilisme, et qui trouvent que les croyants prennent les histoires de fées et de dragons pour la réalité. Quand un non-croyant en parle de démons, en revanche, c’est à prendre au sérieux : il peut être poursuivi par ses vieux démons, il peut être animé par des démons, qu’ils soient de midi ou d’une autre nature sans que cela pose le moindre problème, car il est évident qu’il s’agit d’une image. Parler des démons est une manière de parler du fait qu’on ne fait pas exactement ce que l’on voudrait, qu’il y a des forces plus fortes que notre seule volonté, qui nous dominent et qui nous conduisent à faire ou à penser autre chose que ce que nous voudrions.

En réalité, les textes bibliques ne disent pas autre chose que ce qui est passé dans le langage commun. Il n’y a pas lieu de penser que les démons soient des êtres particuliers, dotés de pouvoir extraordinaires, qui agiraient sur les gens pour leur faire faire des choses terribles. Le démon, ce mot qui vient du grec daimonion, désigne primitivement une force, une puissance qui agit dans le monde. Elle n’est ni bonne ni mauvaise : elle est agissante. Elle devient problématique quand elle n’est pas orientée vers le bien, vers ce qui favorise la vie. Si le daimonion peut conduire à édifier une cathédrale, il peut aussi conduire à détruire l’humanité. Dans ce cas, il s’agit de force de mort.

Que fait Jésus ? Il ne chasse pas, au sens strict du terme. Il rejette « beaucoup » de démons – pas tous. Il rejetait beaucoup de démons et il ne les laissait pas parler. Autrement dit, Jésus ne laissait pas les démons dicter leur loi. Avec Jésus, ce ne sont pas les démons, ces puissances aveugles, qui avaient le dernier mot. Jésus agissait ainsi pour que la vie des personnes qu’il rencontrait puisse avoir le sens de l’Évangile et pas le sens du vent, du plus puissant, ou encore de celui qui parle le plus fort. Jésus rejetait beaucoup de démons, mais pas tous car il y a aussi des puissances qui aident à bâtir des civilisations d’humanité. Il en rejetait beaucoup et il ne les laissait pas parler parce que c’est la justice, c’est la vérité, c’est la liberté qui doivent parler, si vous m’autorisez ces anthropomorphismes dont les auteurs bibliques sont friands.

Autant vous dire que ce n’est pas un jeu d’enfant. Ne pas se laisser mener par ses pulsions, par ses envies, par les courants dominants, par les effets de mode, ce n’est pas un jeu d’enfant. Les enfants sont des éponges. Les enfants absorbent tout ce qu’ils voient, tout ce qu’ils entendent, tout ce qui vit autour d’eux. Jésus, lui, fait le tri. Et il ne laisse pas les différentes formes de puissances prendre le pouvoir sur les personnes.

  1. La maturité du Christ dessine l’espérance chrétienne

L’évangile de l’enfance de Jésus qu’on ne trouve pas dans Marc, est important pour ne pas oublier qu’avant d’être l’adulte sauveur de l’évangile de Marc, il a bien fallu que Jésus soit un enfant et que cet enfant grandisse et soit éduqué pour devenir Christ. De ce point de vue, il est précieux que nous n’ayons pas que l’évangile de Marc, le premier à avoir été composé. Ainsi, les évangélistes de la Bible nous font comprendre qu’on ne naît pas Messie, on le devient. Le sauveur du monde ne l’a été que par un long apprentissage qui lui a permis de pouvoir exercer toutes ses potentialités, ces potentialités qui avaient été discernées par les anges, les messagers de la vie divine et qui avaient été célébrées par les Mages et les bergers, selon Matthieu et Luc. En évitant de présenter un enfant capable de guérir tous les maux de la terre et de chasser les démons dans la cour de son école, les évangélistes de la Bible ont évité de nous laisser penser que Jésus était Messie indépendamment de toute éducation, indépendamment de tout travail d’apprentissage.

Ne soyons donc pas déçus ou chagrinés qu’il n’y ait pas d’enfants en pagaille ici-même, à chaque culte qui est célébré. L’enfant n’est pas idolâtré dans les textes bibliques. S’il est question d’un enfant dans une crèche, c’est pour dire que la fragilité de l’enfance n’est pas un obstacle, mais une voie pour le salut de Dieu. C’est pour dire aussi que les potentialités sont à éduquer pour qu’elles se développent et fassent leur œuvre. Dans la langue biblique on dit : « faire valoir ses talents ».

Le culte des Églises chrétiennes est donc la célébration de cette éducation qui permet aux enfants de faire valoir leurs talents pour que, le moment venu, ils puissent imprimer à l’histoire humaine le sens de la justice, le sens de l’amour du prochain, le sens de la liberté individuelle, ce qui nécessite bien souvent de faire taire les démons qui se moquent éperdument de tout cela. Et cela, tous ces sens que nous pouvons donner à notre vie, à notre histoire personnelle ou commune, c’est l’espérance. Célébrer le Christ, c’est célébrer sa maturité et la maturité du Christ, c’est ce qui trace notre espérance.

  1. Le salut de Dieu est l’art des recommencements

Ceci a pour conséquence un changement de point de vue sur chacune de nos vies.

Il arrive, le plus souvent après quelques années de vie, que nous soyons tournés vers notre passé, avec un regard empreint de nostalgie et de regrets. Il peut nous arriver de considérer que la vérité est du côté du passé, du côté du commencement, du point de départ, de l’origine. Le protestantisme a beaucoup travaillé à cette idée qu’il faudrait retrouver la pureté des origines, en remontant aux langues bibliques, en retrouvant les plus anciennes étapes de la rédaction des textes bibliques. Un immense exégète comme Julius Welhausen qui a examiné les textes bibliques avec un regard aussi scientifique que possible, a posé les bases de la critique historique. Cette critique constatait que les textes n’avaient pas été rédigés  au moment où les faits se seraient déroulés et que bien des textes avaient été écrits et réécrits par différents groupes de personnes. Son commentaire était qu’au fur et à mesure de l’histoire, la foi d’Israël avait été corrompue par les prêtres et par les différents systèmes religieux qui s’étaient succédé. C’était là une vision propre au romantisme allemand du XIXe qui était en quête de la pureté des origines.

Pour ma part, je constate plutôt que les textes bibliques proposent une alternative : la vie bonne n’est pas à trouver dans le point de départ. La vie bonne est à découvrir dans le temps présent. La vie bonne est faite de recommencements, de résurrections. La vérité n’est pas du côté de l’enfant qui serait l’idéal de la vie chrétienne, mais du côté de l’esprit de l’enfance qui est capable de commencer et de recommencer, d’inaugurer de nouvelles façons d’être, de nouvelles relations, de nouveaux projets et d’apprendre de nouvelles langues, de nouvelles compétences. La foi chrétienne est faite de guérisons, des guérisons de toutes sortes de maux, de toutes sortes de souffrances qui sont à distinguer des douleurs : Dieu ne sauve pas des microbes et des virus, mais des troubles de l’existence que nous subissons parfois, ce que la langue grecque nomme kakos, ce qui est mal, ce qui fait mal.

Dieu a envoyé son Fils dans le monde pour nous sauver de cela. L’apôtre Paul dira que le Christ s’est livré pour nos offenses, c’est-à-dire tout ce que nous avons fait de travers parce que nous nous sentions mal, parce que de puissantes forces que nous ne maîtrisions pas nous conduisaient à ne pas mener la vie la plus réjouissante qui soit, ni la vie qui était la plus propice à des relations pacifiques avec nos prochains. Le Christ est venu nous sauver de nous même et son Évangile continue à nous sauver en nous révélant le sens que nous pouvons donner à nos journées, à notre histoire. Il nous sauve en éclairant notre route sur les potentialités que nous pouvons faire valoir pour imprimer à notre existence des trajectoires plus justes. C’est en ce sens que nous sommes justifiés. Dieu nous sauve par le Christ, en nous révélant, à travers le Christ, des espérances disponibles qui sauve notre vie du non-sens.

Amen

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