Wim Winders a été contacté pour réaliser un court-métrage sur une société de nettoyage des toilettes publiques à Tokyo. Il en a fait un film, une célébration de la vie simple comme l’Évangile.
Il y a des pleurs qui accompagnent les deuils : la perte de quelque chose ou, plus fortement, la perte d’une personne qui nous est chère – soit qu’elle meure, soit qu’elle s’éloigne de nous et rejoigne un univers dont on ne fait pas partie. Ce sont ces larmes-là que verse Hirayama quand sa nièce va rejoindre sa mère après quelques jours de fugue. Une fugue, justement, c’est ce qu’elle a offert à son oncle qui, telle une voix de basse, rythme ses journées de nettoyeurs de toilettes publiques à la manière d’un métronome.
De la grâce
Il y a aussi les pleurs qui ponctuent les moments de grâce, quand peut advenir ce dont on avait fait le deuil, justement. Hirayama fait l’expérience, finalement, de la résurrection. Lui qui commençait le deuil d’une relation amoureuse possible avec la gérante d’un restaurant où il a pris ses habitudes, il découvre qu’il a eu tort de penser qu’un tel horizon lui était barré. Il reçoit même pour mission de la part d’un messager de la vie, qu’on pourrait tout aussi bien appeler un ange, de prendre soin de celle qui pourrait bien être l’élue de son cœur.
Il y a là un moment de grâce qui rompt l’habitude du quotidien. Et la chanson de Nina Simone qui remplit l’habitacle de son véhicule, Feeling good, annonce une nouvelle vie pour Hirayama.
Une musique intérieure
De musique, il en est question tout au long de ce film. Elle tient lieu de deuxième rôle, le plus souvent entendu dans le véhicule qui va de toilettes publiques en toilettes publiques, sur des cassettes rembobinées avec un crayon. Tantôt les Rolling Stones quand la ville est encore assoupie, Sleepy City ; tantôt Otis Redding, quand la baie de Tokyo pourrait aussi bien être celle de San Francisco ; The Kinks lorsque l’après-midi est ensoleillée ; Patti Smith qui rejoint une adulescente qui se cherche et trouve les fêlures de la chanteuse qui lui fait entendre qu’elle n’est pas la seule dans son cas. Ni elle ni Van Morrison ne chantent Gloria, car ce n’est pas le thème qui court au fil des séquences. Un Gloria serait certainement trop majestueux, trop pompeux, pour rendre compte de la véritable musique intérieure qui anime Hirayama.
Hirayama mène une vie simple, je dirais d’une simplicité évangélique avec une maison dont l’intérieur est digne de la sobriété des temples calviniens. Avec Max Weber, nous pourrions dire qu’il fait sienne l’ascèse intramondaine développée par les réformateurs du XVIè. Dépouillement, pas d’objet inutile, pas de divertissement, l’essentiel. Rien que l’essentiel. Et cette petite musique intérieure qui ponctue le film, qui lui donne sa véritable puissance, ses moments les plus émouvants.
Ses cassettes valent de l’argent, elles sont « collector ». Mais lorsqu’un collègue lui propose de les vendre, il les garde, à la grande surprise des clients qui sont dans la boutique, Wim Wenders inclus. Hirayama y tient. Il tient bon à sa petite musique intérieure. C’est cela la foi : tenir bon à ce qui est fondamental pour nous. Il ne vend pas les cassettes, mais il en fera profiter les autres, donnant aux instants de la vie une émotion qui va dans le sens de la célébration, de l’émerveillement, de la contemplation, discipline à laquelle il s’astreint dès son réveil.
La profondeur de la vie
Il contemple ses pousses d’arbres qu’il entretient dans son salon, il contemple le ciel lorsqu’il sort de chez lui, il contemple les ombres formées par les feuilles d’arbres, il contemple l’avenir à travers son pare brise. Il contemple et il agit, prenant soin des toilettes pour prendre soin des personnes dans un esprit de service qui tient du dévouement. Il n’entretient pas seulement les lieux avec un soin méticuleux, passant le miroir de visite dans les coins les moins accessibles ; il prend soin de l’enfant qui a trouvé refuge dans les toilettes, il renseigne la touriste intrigué par la technologie des toilettes vitrées, il joue au morpion sur un bout de papier laissé par un usager, il veille sur une personne à l’esprit troublé qui erre dans les rues. Il prend soin des corps. Il contemple la vie, également, par ses lectures quotidiennes.
Tout celui confère à Hirayama une profondeur humaine, une épaisseur de vie qui lui permet de donner de la valeur à ce qui est vécu et aux personnes qu’il rencontre. Ce film est une incarnation du propos parfois un peu théorique de la lettre de Paul aux Corinthiens, au chapitre 12 : nous sommes les membres d’un corps, qu’on l’appelle social ou spirituel, et chaque membre a son importance, à commencer para celui qui nettoie les toilettes, mais ce pourrait tout aussi bien être une concierge, dont il est d’ailleurs question dans un roman où un Japonais s’installe dans l’immeuble dont elle prend soin, à Paris – ces gens dont l’élégance est tout intérieure et qui tranchent avec l’opinion de ceux qui s’essuient sur eux.
Non, il n’y a personne qui aurait moins de valeur qu’un autre, aux yeux de Dieu. Un statut social, une position professionnelle, avoir un chauffeur comme c’est le cas de sa sœur ou prendre soi-même le volant jour après jour, ne dit rien de l’humanité d’un être.
Même les membres du corps qui paraissent les plus faibles sont nécessaires et ceux que nous tenons pour les moins honorables du corps, nous les entourons d’un plus grand honneur.
Paul, Lettre aux Corinthiens 12/22-23
Cette profondeur de Hirayama est soulignée par la mise en scène de moment oniriques, ses rêves pendant les phases de sommeil, qui réorganisent tout ce qui a été vécu dans la journée ; ces moments en noir et blanc donnent à ses journées toutes leurs couleurs. Des journées qui ne sont pas sans difficultés, sans douleurs, sans déceptions, mais des journées qui sont l’occasion d’un véritable bonheur, qui permettent de sentir la vie passer dans les veines, des journées somme toutes parfaites dans la mesure où on leur donne du sens. Ce n’est peut-être pas ce que voulait dire Lou Reed dans Perfect Day ; il est heureux que Wim Wenders ait évangélisé cette chanson pour en faire une ode pour célébrer ceux qui prennent le temps de vivre en prenant soin de l’autre.
Perfect Days
De Wim Wenders, Takayuki Takuma
Avec Koji Yakusho, Tokio Emoto, Arisa Nakano
Merci James pour cet article.
C était mon intention d’ aller voir ce film, j y cours…
Suzanne
Merci pour votre article
Ce film est beau et nous renvoie à l essentiel de nos vies.
Le rythme répétitif n’ entraîne aucune lassitude car à chaque répétition du « rituel »
quotidien un évènement nouveau arrive…Et progresse vers l ouverture et l espérance.
Cet homme est habité par une joie intérieure.
Leçon de vie dans l humilité et l accueil