S’écouter pour s’entendre

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1 Rois 3/1-10

1 Et Salomon s’allia par mariage avec le Pharaon, roi d’Égypte, et prit pour femme la fille du Pharaon; et il l’amena dans la ville de David, jusqu’à ce qu’il eût achevé de bâtir sa maison, et la maison de l’Éternel, et la muraille de Jérusalem, tout à l’entour. 2 Seulement le peuple sacrifiait sur les hauts lieux; car aucune maison ne fut bâtie pour le nom de l’Éternel jusqu’à ces jours-là. 3 Et Salomon aimait l’Éternel, marchant dans les statuts de David, son père; seulement il offrait des sacrifices et faisait fumer de l’encens sur les hauts lieux. 4 Et le roi s’en alla à Gabaon pour y sacrifier, car c’était le principal haut lieu; Salomon offrit mille holocaustes sur cet autel. 5 L’Éternel apparut à Salomon, à Gabaon, dans un songe de la nuit. Et Dieu dit: Demande ce que tu veux que je te donne. 6 Et Salomon dit: Tu as usé d’une grande bonté envers ton serviteur David, mon père, selon qu’il a marché devant toi en vérité et en justice, et en droiture de cœur avec toi; et tu lui as gardé cette grande bonté, et tu lui as donné un fils qui est assis sur son trône, comme il en est aujourd’hui. 7 Et maintenant, Éternel, mon Dieu, tu as fait roi ton serviteur en la place de David, mon père, et moi, je suis un jeune garçon, je ne sais pas sortir et entrer; 8 et ton serviteur est au milieu de ton peuple, que tu as choisi, un peuple nombreux, qui ne se peut compter ni nombrer à cause de sa multitude. 9 Donne donc à ton serviteur un cœur qui écoute, pour juger ton peuple, pour discerner entre le bien et le mal; car qui est capable de juger ton si grand peuple? 10 Et la parole fut bonne aux yeux du Seigneur, que Salomon eût demandé cette chose.

Chers frères et sœurs, ce verset est assez savoureux quand il est remis dans son contexte. Dieu demande à Salomon ce qu’il voudrait au moment de commencer son règne sur Israël. Depuis qu’il est monté sur le trône, il a fait éliminer ses opposants et ses rivaux (chapitre 2). Et le voici, maintenant, dans cette attitude humble qui consiste à demander un cœur qui écoute. C’est savoureux de l’entendre dire qu’il veut un cœur à l’écoute maintenant qu’il n’y a plus personne à écouter, du moins, personne qui ait un vis différent de lui, puisque l’opposition a été éliminée et que ne restent autour de lui que ceux qui lui sont aveuglément fidèles. Dans ces conditions, Salomon n’a pas grand-chose à craindre de recevoir un cœur qui écoute.

C’est donc sur un mode ironique (dans un contexte onirique puisque c’est en rêve que Salomon perçoit la présence divine), qu’un enseignement voit le jour dans ce passage biblique qui ouvre le règne de Salomon qui se finira dans la chute de la maison de David et la déchirure du royaume. Tout s’est joué dès le chapitre deux qui pose les bases de l’effondrement, ce verset étant l’élément qui permet de comprendre que le fils de Salomon, Roboam, en faisant comme son père, va perdre les rennes du grand Israël – aucun des deux n’écoutera une autre voix que la sienne.

  1. Le cœur

Tout d’abord il est question du cœur. Contrairement à l’usage contemporain, il ne faut pas voir dans le cœur le siège des émotions. Le cœur n’est pas une image biblique pour parler des sentiments qui nous animent. Le cœur est sans rapport avec l’élan amoureux. Le cœur est le lieu de l’action. Le cœur est ce qui anime la personne ; c’est donc le siège de la décision, de la volonté.

Il est important d’avoir en tête cette précision sémantique, sans quoi on fait de l’action politique, pour le cas qui nous occupe ici, une histoire sentimentale, faite de subjectivité, d’intuition. La critique biblique de l’action de Salomon au chapitre 2 consiste à remettre de la rationalité dans les affaires publiques. Les actions et les réactions ne se font pas sous le coup de l’émotion qui se passe plutôt dans le nez, dans l’imagerie biblique. Être en colère, c’est avoir le nez qui brûle, par exemple. Les actions et les réactions ne se font pas de manière instantanée, par la première impulsion venue, mais dans le domaine du cœur qui est celui de la décision.

Décider, c’est prendre le temps de choisir ce que l’on va faire. C’est s’interroger sur ce qu’il convient de faire, d’entreprendre. Décider selon le cœur, ce n’est pas agir sous le coup de l’émotion, mais de l’intelligence. D’ailleurs, Louis Segond, la Traduction œcuménique de la Bible, traduisent un cœur qui écoute par un cœur intelligent ou un cœur qui a de l’entendement – c’est une traduction astucieuse qui joue sur l’entendement, un mot qui s’apparente au fait d’entendre, et donc d’écouter.

  1. écouter favorise l’entendement

Agir, du point de vue divin, c’est donc prendre le temps de la décision et cette décision s’élabore par l’écoute. C’est l’écoute, le fait d’entendre une autre voix que la nôtre, qui nous rend intelligent aux situations que nous rencontrons. C’est ce que nous apprenons qui construit notre entendement. Cela semble une évidence, mais cette évidence est loin d’être partagée de nos jours.

De nos jours, il y a manifestement une prime à celui qui parle plus qu’il ne gouverne. On reproche aux responsables politiques de ne pas s’être exprimé sur tel sujet, de ne pas avoir commenté tel fait, de ne pas avoir réagi à telle information. De ce point de vue, recevoir un cœur qui écoute est en rupture avec la logique du monde – le monde est à la recherche de la phrase assassine, de la phrase qui « tue le game » pour reprendre une expression à la mode et qui signifie qu’il n’y a plus rien à dire après ça, parce que l’autre est terrassé.

La logique évangélique est tout autre. Elle est à la recherche des paroles qui font vivre. Elle est à la recherche des paroles équivalentes à celles de Genèse 1. Ce ne sont pas des paroles qui « tuent le game », mais qui font vivre, qui font grandir, qui augmentent la vie de ceux qui les entendent, ce qui est le propre de la parole qui fait autorité (augere, en latin, c’est faire grandir).

Tout à l’opposé de la tendance actuelle, la logique évangélique cherche à faire « naître le game », à le faire venir au monde. C’est d’ailleurs cela Noël. C’est cela le temps de l’Avent : l’advenue de quelque chose qui n’est pas nous, qui n’est pas de nous, et qui fera lever le monde comme le levain fait lever la pâte, au lieu de tout écraser sur son passage. Comme en Genèse 1, l’Évangile s’intéresse aux paroles qui soulignent ce qui est tov, ce qui est bien vivable.

Là où trop de personnes, à la manière de Salomon au chapitre 2, veulent terrasser l’adversaire, celui qui ne partage pas notre avis, l’Évangile consiste à faire retentir des paroles qui vont ressusciter le contemporain, le sortir de sa torpeur – le réveiller – et le redresser. C’est déjà ce que veut réaliser le rédacteur de 1 R 3, qui compose ce chapitre en contrepoint à 1 R 2, plusieurs années après, en intégrant Dieu dans l’histoire de Salomon qui, au chapitre précédent, s’en était passé, n’écoutant que lui, que son goût du pouvoir.

Un cœur qui écoute, de l’entendement, voilà ce que recherche le temps de l’Avent qui célèbre cet enfant dont il est déjà question dans le livre du prophète Ésaïe, au chapitre 7 dont le verset 14 dit : « c’est pourquoi le Seigneur vous donnera lui-même un signe. Voici que la jeune fille est enceinte, elle enfantera un fils, et lui donnera le nom d’Emmanuel. Il mangera de la crème et du miel, jusqu’à ce qu’il sache refuser ce qui est mauvais et choisir ce qui est bon. » C’est exactement cela dont il est question en 1 R 3. Écouter pour être capable de discerner entre le bien et le mal. Au lieu de parler, commencer par écouter, vraiment.

Il n’est pas étonnant que le ministère de Jésus commence si tard, alors qu’il a une trentaine d’années. On pourrait s’attendre à ce que le Christ puisse, dès sa première minute, faire œuvre messianique en jugeant le monde entier. Mais la Bible ne fait pas du Christ un être surnaturel doté de pouvoirs extraordinaires. La Bible révèle que le messie est celui qui prend le temps d’écouter, d’apprendre, de découvrir, de comprendre. Le messie a besoin d’écouter pour aiguiser son jugement.

Le messie a besoin de prier pour entendre la parole de Dieu qui forgera sa conscience. Ce n’est pas pour rien, non plus, que Jésus se retire, souvent, pour prier, à l’écart de la foule – la foule qui lui demande des paroles en forme de slogans qu’il sera facile de répéter et d’appliquer sans y réfléchir.

Le temps de l’Avent est précieux dans notre vie chrétienne pour réapprendre à écouter. Éviter les prières bavardes, ne pas mesurer notre foi au nombre de mots qu’on prononce. Considérer que le silence est nécessaire pour se mettre à l’écoute d’une autre voix que la nôtre – une voix qui nous fera découvrir d’autres réalités que celles auxquelles nous sommes déjà habitués. Le silence comme une nécessité. Le silence pour apprendre à écouter. Le silence pour apprendre à ne pas savoir ce qu’on va répondre à quelqu’un avant qu’il fait fini de parler. Le silence pour apprendre à écouter, vraiment.

  1. Transcender pour gouverner, juger

Qui, en effet, pourrait gouverner un grand peuple, qui pourrait juger une grande nation, qui pourrait réagir dans des moments importants, s’il n’est pas au bénéfice d’autres paroles que la siennes ; d’autres intelligences que la sienne ; d’autres sagesses que la sienne ?

Le messie écoute pour sauver les gens qu’il rencontre. Il ne sait pas, d’avance, ce dont ils souffrent, ce dont ils ont besoin, ce qui les aidera à reprendre pied dans leur histoire et à reprendre leur vie en main. Alors le messie écoute les personnes qu’il rencontre. Il sait faire silence pour apprendre et transcender son point de vue, sa compréhension. Il en est ainsi depuis le premier messie, Saül, qui était perdu, qui ne savait plus où il était, ni où il en était, dans sa quête éperdue des ânesses de son père (1 S 9).

Le premier messie a donc besoin de se mettre à l’écoute du jeune qui l’accompagne pour trouver sa route. Il aura ensuite besoin d’écouter le prophète Samuel pour découvrir le chemin d’humanité qu’il doit emprunter. Tout cela constitue pour Saül, premier messie de la Bible, un chemin d’apprentissage pour qu’advienne sa messianité. C’est le temps de l’Avent. L’écoute, c’est le chemin de l’Avent par excellence.

Si Marie n’avait pas écouté l’ange Gabriel, elle n’aurait pas réalisé qu’elle était en mesure d’ajouter de la vie à la vie en donnant naissance à Jésus, car elle n’aurait pas réalisé qu’elle pouvait s’unir à Joseph, son fiancé, pour faire venir au monde un nouvel être, un être nouveau, qui renouvellerait l’existence.

L’écoute, l’apprentissage, la prière, la lecture, sont autant d’éléments qui nous transcendent et qui nous donnent l’occasion de devenir intelligents, d’être en mesure de pouvoir juger selon ce que ce verset invite à faire. L’écoute, cet art de vivre évangélique. L’écoute, cette caractéristique de l’Avent, le temps de l’advenue d’un monde enfin vivable parce que lorsqu’ils s’écoutent, les gens s’entendent.

Amen

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