Un attracteur étrange appelé « Dieu »

La théologie s’intéresse à Dieu. Et beaucoup de personnes ne s’intéressent pas à la théologie parce qu’elles ne croient pas en Dieu au sens où elles ne croient pas que Dieu existe – pourquoi s’intéresser à quelque chose qui n’existe pas, en effet, sinon pour se divertir.

Dieu n’existerait pas – il faut dire que les preuves de l’existence de Dieu sont rarement satisfaisantes et cela pour une raison simple : le plus souvent, on essaie de prouver quelque chose qui n’existe pas ; on essaie de démontrer que le Dieu de nos fantasmes est bien réel, qu’il fait partie de l’histoire humaine, alors qu’il ne fait partie que de notre imagination. Le plus souvent, on parle de Dieu sans faire de la théologie et, au bout du compte, ce n’est pas de Dieu dont on parle.

Si la théologie est tellement déconsidérée par nos contemporains, c’est d’abord à cause des discours des croyants qui veulent défendre l’honneur de Dieu avec de bons sentiments, et de mauvais arguments. Plus exactement, les réponses des croyants sont de plus en plus fausses à mesure qu’on leur demande de répondre à de mauvaises questions ou de se positionner à partir de postulats erronés.

Par exemple, demander à un croyant de prouver que Dieu a bien fabriqué l’univers peut conduire à faire de Dieu un être fantastique alors que la théologie peut conduire à penser que Dieu n’a pas fabriqué l’univers.

La théologie, une démarche scientifique

Faire de la théologie ne consiste pas à accumuler les phrases les plus belles sur Dieu ou à faire de Dieu la chose la plus extraordinaire du monde. Une partie de la théologie consiste à examiner les images de Dieu qui circulent afin de distinguer le faux du vrai. Comme dans les autres sciences, on peut partir d’hypothèses et on les teste. On vérifie qu’elles expliquent la marche du monde ou, pour le domaine qui est celui de la théologie, on vérifie que ce qu’on attribue à Dieu correspond à des aspects observables dans la vie des êtres.

Faire de la théologie, c’est aussi parler de Dieu et élaborer des discours sur Dieu (théo-logie) qui soient véridiques. Pour cela, on procède comme dans toute science, en essayant de tirer des conclusions à partir des expériences et en testant ensuite ces conclusions sur des situations analogues.

Il ne faut pas imaginer que le théologien est quelqu’un qui a reçu une révélation divine particulière et qui aurait ensuite fondé une religion. Si nous prenons le cas de la théologie chrétienne, nous constatons que la Bible qui est un ouvrage fondamental est le résultat de réflexions, d’écritures, de corrections, de réécritures et de discours qui ne sont pas unifiés, sur des centaines d’années. Les manières de parler de Dieu ont évolué au fil des expériences qui ont soit validé, soit invalidé des discours du passé.

Quant à Dieu, il ne faudrait pas imaginer que c’est ce personnage capable de tout qui s’est présenté à quelques un pour que ceux-ci en fassent sa publicité. Les théologiens ont observé la vie, leur histoire, les relations entre les personnes et en ont tiré des vérités. Pour rendre compte de certains phénomènes, ils ont développé un vocabulaire spécifique pour dire ce qu’ils observaient et qui n’était pas forcément visible à l’œil nu.

La théologie s’articule aux autres sciences

Les théologiens des temps bibliques ont observé la condition humaine. Ils ont constaté qu’elle est marquée par la finitude (nous mourrons tous, nous n’avons pas une connaissance totale de l’univers, de ce qu’est la vie…) et ils ont développé la notion du péché qui exprime le fait que nous sommes toujours un peu à côté de la plaque (le bien que nous voudrions faire nous ne le faisons pas forcément et le mal que nous voudrions éviter, nous le faisons quand même, parfois, explique l’apôtre Paul dans sa lettre aux Romains 7/19). Ces constats sur l’humain ne sont pas le propre de la théologie : ils relèvent de l’anthropologie. De même, le vocabulaire de la théologie peut emprunter à la philosophie. Sa compréhension de la vie emprunte à la biologie. La théologie s’articule aux autres sciences.

Etude qualitative et Numerique de quelques Systemes Dynamiques Deterministes. – Scientific Figure on ResearchGate. Available from: https://www.researchgate.net/figure/Attracteur-etrange-de-Lorenz_fig1_351639053 [accessed 10 Aug, 2023]
En observant la vie des personnes, l’évolution des sociétés, ce que disent les autres sciences, des esprits curieux en sont venu à constater que les différentes disciplines ne rendaient pas compte de l’ensemble du réel. Des théories étaient mises en échec dans certaines circonstances. Par exemple, la loi du plus fort était mise en échec. Quelqu’un à l’apparence faible était capable de l’emporter sur un autre dont la surpuissance sautait aux yeux. L’analyse mit en évidence qu’il arrive que l’histoire aille à l’encontre de quelques lois naturelles et on se mit à y réfléchir et à écrire dessus. C’est ainsi qu’on a pu écrire et réécrire 1 Samuel 17 qui décrit la victoire du petit David contre le géant Goliath, non pour raconter un événement qui se serait passé en 1000 avant Jésus-Christ, mais pour rendre compte de phénomènes qui permettent de mieux rendre compte du réel. Ce sont ces phénomènes qu’on a appelé « Dieu ». « Dieu » est devenu une manière de désigner des aspects de la vie qui conduisaient les êtres vers ce que nous appelons désormais l’humanité.

La théologie protestante, science de la grâce

En effet, il ne suffit pas de naître pour être « humain ». On ne naît pas humain, on le devient. « Dieu » a permis de désigner les processus qui permettent de devenir humain, ce qui n’a rien de naturel – l’homme ayant plutôt tendance à être un loup pour l’homme. Dieu peut être compris comme les processus qui conduisent un être à devenir humain, à le rendre plus humain, à lui permettre de redevenir humain.

Définir ce qu’est l’humain est une activité immense à laquelle la théologie participe. La théologie protestante, par exemple, a particulièrement développé la théologie de la grâce au point que nous pourrions dire que la théologie est la science de la grâce, la grâce étant le propre de Dieu – ce qui nous rend humains.

Les caractéristiques de la grâce peuvent être exprimées en quelques points :

  • La grâce est inconditionnelle. Cela a pour conséquence que notre dignité ne dépend ni de notre naissance, ni de notre curriculum-vitae, ni de notre renommée…
  • La grâce transcende. Cela a pour conséquence que nous sommes plus que ce que nos cellules indiquent à un moment donné : nous pouvons apprendre de nouveaux savoirs, nous pouvons donner du sens à notre histoire, nous pouvons faire des découvertes, nous pouvons faire advenir de nouvelles configurations plus vivables, plus réjouissantes, et favoriser le mieux-être.
  • La grâce est universelle. Cela signifie qu’une action bonne est valable pour tous ; cela signifie aussi qu’une solidarité unit tous les êtres par delà les particularismes et les individualités.

Quand cette grâce s’exprime dans l’histoire, la vie devient divine. C’est une métaphore pour dire que nous ne sommes plus seulement un être biologique soumis à ses passions, mais que nous devenons humains en étant au bénéfice de ces caractéristiques symbolisée par « Dieu ». De ce point de vue, nous pourrions dire que Dieu est un attracteur étrange – expression que j’emprunte aux mathématiques du chaos.

Les théologiens constatent que les êtres échappent parfois aux systèmes déterministes (par exemple les déterminismes sociaux, familiaux, culturels, religieux)… « Dieu » attire signifie que la trajectoire d’une personne, d’un groupe, n’est pas celle à laquelle on s’attendait. Ainsi, des personnes déjouent les pronostics, quand elles pardonnent un agresseur au lieu de se venger, quand elles prennent sous leur ailes l’enfant d’un autre qui était abandonné et qui avait peu de chances de s’en sortir, quand…

Comme le philosophe, le théologien s’étonne de toutes ces situations qui rentrent pas dans le cadre, qui dépassent les espoirs, qui renversent la mécanique de l’épuisement, du désordre, de l’entropie, pour emprunter à la thermodynamique. Et la théologie s’efforce de rendre compte de ses observations, parfois en se trompant, toujours de manière incomplète, sans parvenir à une théorie unifiée.

Dans ces cas, la théologie ne fait pas de Dieu un bouche-trou à nos connaissances incomplètes, mais une composante du réel, qui n’a pas grand-chose à voir avec le Dieu de la religion populaire qui imagine un être surnaturel paré de toutes les qualités, mais qui est un élément à part entière de notre monde.

Pour prolonger sur la théologie de la grâce…

6 comments

  1. Magnifique! Il ne reste plus qu’à…ne plus utiliser le mot « Dieu » qui fait peur (pas la « chose » , le mot!) à tous ceux qui n’en veulent pas ( de la « chose »!)

    1. J’avais proposé, il y a quelques années, que chacun fasse un moratoire du mot « Dieu » pendant un mois, chaque année, pour que ce ne soit pas un fourre-tout impensé. Ce qui pourrait être intéressant, également, c’est de considérer que « Dieu » devrait être un verbe plutôt qu’un nom…

  2. Félicitations pour ce texte d’une limpidité remarquable, qui pourrait servir d’introduction à de nombreux ouvrages même très généralistes consacrés à la théologie ou encore à la philosophie.

    1. un ouvrage de théologie vraiment accessible à tous… voilà en effet, un projet – André Gounelle a réussi, dans son domaine, à faire des ouvrages de théologie vraiment accessibles à tous ceux qui font des études supérieures.

  3. Il est apaisant de constater l’Homme percevant dans le réel le transcendant …les mains négatives des cavernes préhistoriques signalant cet ineffable qu’une petite tribu de nomades traduira d’un mot (fort justement) imprononçable yhwh l’espace entre chaque consonnes étant espace de liberté, l’espace de notre liberté…l’espace deuteronomiste du « j’ai mis devant toi »…

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