Germaine Richier, la sculptrice démiurge

C’est à l’école des Beaux-Arts de Montpellier que Germaine Richier se forme en vue d’accomplir une vocation qui lui est venue en contemplant les statues du cloître Saint-Trophime (Arles) : sculpter. Elle apprendra d’abord auprès d’un ancien élève de Rodin puis d’Antoine Bourdelle, à Paris.

La Régodias et La Chinoise

 

Le parcours chronologique organisé au musée Fabre, dans le cadre d’une rétrospective élaborée en partenariat avec le centre Georges Pompidou, met en évidence son évolution artistique. Elle réalise des bustes en bronze qui témoigne de sa maîtrise parfaite, ainsi que des nus qui indiquent son souhait de ne pas en rester à un classicisme élégant, mais qui ne parviendrait pas à rendre compte de ce qu’elle veut révéler de la nature et notamment de la nature humaine.

 

Bustes de Marguerite Lamy, Françoise Cachin, Dominique Aury

Créer

Son exil en Suisse, le pays de son époux, au moment de la seconde guerre mondiale, est le moment où elle va commencer à exprimer le caractère tragique de cette condition humaine qui est traversée par une puissance de vie phénoménale tout en étant marquée par la vulnérabilité et la fragilité.

Elle dit de ses œuvres : « mes statues ne sont pas inachevées. Leurs formes déchiquetées ont toutes été conçues pleines et complètes. C’est ensuite que je les ai creusées, déchirées, pour qu’elles soient variées de tous les côtés, et qu’elles aient un aspect vivant et changeant. »

L’Orage

 

Il faut donc imaginer Germaine Richier faire et défaire, créer et dé-créer, pour obtenir ces sculptures qui sont à la fois pesantes et dynamiques, massives et fragiles. Il faut aussi reconnaître que la création l’emporte. Prenons l’Orage (1947-1948). On y voit volontiers un être arraché à la nature, un être qui émerge de l’environnement dont il se distingue désormais par sa silhouette inachevée qui se dresse dans une verticalité mal assurée. Cet être est comme inachevé, ce qui en fait un être non fini ou, disons-le autrement, un être infini.

La puissance de la vie

L’Orage et L’Ouragane

Germaine Richier est dans la position du créateur, au sens biblique du terme (Genèse). Elle va estimer qu’il « n’est pas bon que l’homme soit seul ». Alors elle va créer l’Ouragane (1948-1949). Elle aussi semble émerge de la Terre, peut-être un peu moins sauvage que l’Orage. Comme l’indiquent les commissaires de l’exposition, « ses proportions anatomiques évoque(nt) les divinités païennes de la fertilité ». L’Ouragane est à la fois pleine de promesses et figée dans son mouvement. Elle exprime notre nature humaine entravée et tendue vers un idéal de vie, pécheresse et pardonnée. Ainsi est la vie, Haia en hébreu, que nos traductions ont étrangement rendu par « Ève ».

L’Orage et L’Ouragane
Le tombeau de « L’Orage » et l’ombre de « L’Ouragane »

 

Plus tard, des sépultures seront créées, taillées dans la pierre par Eugène Dodeigne. Le tombeau de « l’Orage » est ici installé comme l’avenir certain de cet homme, de cet Adam. Et pourtant, en compagnie de la « vie », « l’orage » et « l’ouragane » sont tout à fait capables de transcender la mort en transmettant ce refus de s’en tenir à la matière, d’être cantonnés à cette matérialité qui, livrée à elle-même, n’exprime que violence quand elle est agitée, et misère quand elle cesse d’être animée.

 

la feuille
le grain

La suite nous donne peut-être une clef d’interprétation de la destinée de l’humain. Germaine Richier investit le thème de l’hybridation, des mélanges. Mélanges des formes, mélanges des natures, mélanges des

la forêt

matériaux. Ces mélanges conçus comme autant d’expériences créatrices, disent l’arrachement de la vie à la seule nature. Ce sont cet arrachement et ces mélanges, qui constituent un sursaut de la vie à chaque fois qu’elle est menacée d’extinction. Il se pourrait bien que l’hybridation soit un phénomène qui sauve l’humain de sa disparition. Les métamorphoses (ou « transfigurations », si nous prenons la racine latine) sont une autre manière de donner un nouvel avenir à des êtres qui n’en avaient plus vraiment.

 

Le scandale de la croix

Cette clef d’interprétation s’observe aussi par la polémique autour du crucifix prévu pour l’église du plateau d’Assy, qui est retracée par la reproductions d’articles de journaux.

Entre 1949 et 1950 elle prépare un Christ pour Notre Dame de Toute grâce. L’artiste puise son inspiration dans la figure du serviteur souffrant (Ésaïe 53). On y lit la Passion de Jésus de Nazareth, une Passion poussée à son paroxysme. C’est un être défiguré, qui a perdu toute superbe, qui évoque le douloureux visage, la tête sous l’outrage, le front sous la douleur mis en musique par J.-S. Bach.

Christ, pour l’église Notre-Dame-de-Toute-Grâce sur le plateau d’Assy

Un tel crucifix a-t-il sa place dans une église ? C’est aux membres de la paroisse de le dire. Cela a nourri des débats, l’évêque l’a fait retirer à l’époque, constatant que cela empêchait les paroissiens de se recueillir. C’est en 1969, à Pâques, que ce Christ fut à nouveau installé. Il est actuellement visible au musée Fabre après quoi il retournera en Haute Savoie. Il ne sera pas installé au temple réformé de la rue de Maguelone, non parce que cette œuvre serait scandaleuse – c’est la crucifixion de Jésus qui est scandaleuse, pas cette sculpture – mais en raison de notre usage liturgique qui se dispense des représentations picturales et des sculptures, ce qui permet d’accentuer la centralité de la parole.

Germaine Richier a su capter l’horreur de ce supplice, de cette situation qui en évoque tant d’autres, en sculptant ce corps décharné, qui se confond avec le bois qui le porte. Le crucifié devient insignifiant, quasiment invisible, tel une brindille, à moins qu’il s’agisse d’un rejeton qui donne au vieux tronc de Jessé un nouvel avenir. Là encore, une forme d’hybridation qui indique la possibilité d’un sursaut de la vie, d’une résurrection.

Échiquier grand
La montagne

 

L’exposition se poursuit sur deux niveaux du musée Fabre. Une fois de plus, les équipes du musée Fabre ont effectué un travail formidable sous la houlette de Michel Hilaire, le directeur, et de Maud Marron-Wojewodzki. Des espaces sont dédiés aux plus jeunes qui permettront aux plus jeunes de se familiariser avec l’univers de Germaine Richier et de prendre part au processus de création par des ateliers qui sont organisés.

 

Germaine Richier (1902-1959), une rétrospective visible jusqu’au 5 novembre 2023 au Musée Fabre

La croix avec verres de couleur

 

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