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Romains 14/1-19
1 Faites accueil à celui qui est faible dans la foi, et ne discutez pas sur les opinions. 2 Tel croit pouvoir manger de tout: tel autre, qui est faible, ne mange que des légumes. 3 Que celui qui mange ne méprise point celui qui ne mange pas, et que celui qui ne mange pas ne juge point celui qui mange, car Dieu l ‘a accueilli. 4 Qui es -tu, toi qui juges un serviteur d’autrui ? S’il se tient debout, ou s’il tombe, cela regarde son maître. Mais il se tiendra debout, car le Seigneur a le pouvoir de l ‘affermir. 5 Tel fait une distinction entre les jours; tel autre les estime tous égaux. Que chacun ait en son esprit une pleine conviction. 6 Celui qui distingue entre les jours agit ainsi pour le Seigneur. Celui qui mange, c’est pour le Seigneur qu’il mange, car il rend grâces à Dieu; celui qui ne mange pas, c’est pour le Seigneur qu’il ne mange pas, et il rend grâces à Dieu. 7 En effet, nul de nous ne vit pour lui-même, et nul ne meurt pour lui-même. 8 Car si nous vivons, nous vivons pour le Seigneur; et si nous mourons, nous mourons pour le Seigneur. Soit donc que nous vivions, soit que nous mourions, nous sommes au Seigneur. 9 Car Christ est mort et il a vécu, afin de dominer sur les morts et sur les vivants. 10 Mais toi, pourquoi juges -tu ton frère ? ou toi, pourquoi méprises -tu ton frère ? puisque nous comparaîtrons tous devant le tribunal de Dieu. 11 Car il est écrit: Je suis vivant, dit le Seigneur, Tout genou fléchira devant moi, Et toute langue donnera gloire à Dieu. 12 Ainsi chacun de nous rendra compte à Dieu pour lui-même. 13 Ne nous jugeons donc plus les uns les autres; mais pensez plutôt à ne rien faire qui soit pour votre frère une pierre d’achoppement ou une occasion de chute. 14 Je sais et je suis persuadé par le Seigneur Jésus que rien n’est impur en soi, et qu’une chose n’est impure que pour celui qui la croit impure. 15 Mais si, pour un aliment, ton frère est attristé, tu ne marches plus selon l’amour: ne cause pas, par ton aliment, la perte de celui pour lequel Christ est mort. 16 Que votre privilège ne soit pas un sujet de calomnie. 17 Car le royaume de Dieu, ce n’est pas le manger et le boire, mais la justice, la paix et la joie, par le Saint -Esprit. 18 Celui qui sert Christ de cette manière est agréable à Dieu et approuvé des hommes. 19 Ainsi donc, recherchons ce qui contribue à la paix et à l’édification mutuelle.
Chers frères et sœurs, l’Église pensée par l’apôtre Paul est une société multiculturelle. C’est une société constituée par une multitude de personnes différentes ayant des cultures différentes et, par conséquent, des manières différentes de vivre et de dire leur foi. L’Église que l’apôtre Paul a suscité, c’est une Église multitudiniste où coexistent des personnes à la foi bien affirmée et des personnes à la foi balbutiante, si ce n’est chancelante. La société ecclésiale que Paul dessine, est une société qui peut nous inspirer pour penser toutes les autres sociétés, qu’il s’agisse d’une nation, d’un immeuble, d’une association, d’une entreprise, ou encore d’une famille.
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Ne pas condamner ceux qui ne font pas ce que je fais
À mon avis, Paul a écrit ce passage en plein carême, alors que la communauté de Rome se déchirait entre ceux qui considéraient que le carême doit être une période maigre, où l’on mange peu, pour faire plus de place à la parole de Dieu, et entre ceux qui considéraient que le Carême doit être l’occasion de bien se nourrir pour être en pleine forme à Pâques, pour accueillir l’Évangile de la résurrection. Et Paul renvoie les deux clans dos à dos : personne n’a raison contre l’autre. Les deux attitudes peuvent coexister dans la mesure où chacun agit pour de bonnes raisons[1].
Certainement, nous aimerions que tout le monde s’aligne sur notre manière de faire. Après tout, si nous agissons d’une manière, c’est parce qu’il nous semble que c’est la meilleure manière de faire, en conséquence tout le monde devrait faire de même. Quand quelqu’un arrive dans une paroisse et qu’il ne fait pas comme les autres, ça se voit, et ce n’est pas vécu avec enthousiasme. Disons que cela pose moins de questions quand tout le monde se lève en même temps pendant le culte ; quand tout le monde chante en même temps ; quand tout le monde dit le Notre Père de la même manière, au même rythme. Une société favorise le mimétisme, c’est-à-dire l’art de faire la même chose que son voisin. Le film Le cercle des poètes disparus le montre très bien quand le professeur de lettres va avec ses élèves dans la cour du lycée et donne pour seule consigne de marcher. Tout le monde finit par marcher au pas. Ces phénomènes mimétiques, qui sont aussi des phénomènes de masse, sont une caractéristique des sociétés, des groupes, dont les membres ont tendance à s’habiller de la même manière, à écouter la même musique etc.
Au risque de me fâcher avec beaucoup, il est possible d’être paroissien de Maguelone sans apprécier Jean-Sébastien Bach. Parce que, selon ce que développe l’apôtre Paul, il n’est pas question de faire société en uniformisant les pratiques, les attitudes, ni les discours. Une Église n’est pas une machine à broyer les particularités, mais un lieu pour favoriser le respect des personnes. Il ne s’agit pas de dire que tout se vaut, que toutes les pratiques sont les bienvenues car tout n’édifie pas (1 Co 10/23) – Paul n’aurait pas toléré l’excision justement parce que c’est un acte qui ne respecte pas les personnes. Il ne s’agit pas non plus de choisir une manière d’être et d’aligner tout le monde dessus. Cela s’explique notamment par le fait que nous n’en sommes pas tous au même endroit d’un parcours de vie. Nous n’en sommes pas tous en même niveau de notre découverte de la foi qui grandit en nous et de ses implications dans la vie de tous les jours. De même qu’on ne va pas demander à quelqu’un qui vient de commencer à faire du sport de courir un marathon, on ne va pas demander à quelqu’un qui découvre la foi de vivre tout ce qui lui arrive avec la même agilité que quelqu’un qui a la foi chevillée au corps depuis un moment et qui a pris le temps de penser sa foi, au sens d’identifier sur quoi repose sa confiance et ce que cela l’invite à vivre.
Il y a donc une raison théologique au fait que nous considérons qu’une société est toujours multiculturelle : nous avons toutes et tous une relation singulière à Dieu, en conséquence de quoi notre vie, notre manière d’être, est unique en son genre.
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Nul de nous ne vit pour lui-même
Paul explique cela avec une phrase qui peut être le verset à retenir de ce passage (mais chacun choisira bien son verset de référence, nous n’allons pas commencer à suivre aveuglément les choix préférentiels du prédicateur). Au verset 7 Paul écrit : « nul de nous ne vit pour lui-même, et nul ne meurt pour lui-même. » Après le fait qu’une société chrétienne est pluraliste, le deuxième aspect caractéristique est la finalité extérieure de la vie – et de la mort.
Il n’y a pas de principe égoïste dans la perspective chrétienne. On ne vit pas pour soi. On ne fait pas des enfants pour se survivre. On ne fixe pas les règles, les lois, pour se faire plaisir. Nous vivons pour le Seigneur, ajoute Paul. Cela signifie que notre raison d’être est extérieure à nous. La finalité de notre vie est extérieure à nous. Tout le monde ne partage pas ce point de vue, bien des personnes considérant que nous vivons pour nous et rien que pour nous. En christianisme le paradigme est que nous vivons pour le Seigneur. C’est une manière de dire que notre vie n’est pas le seul critère à partir duquel nous allons faire des choix dans la vie. Dans la mesure où le Seigneur, l’Éternel, et le Seigneur de tous, qu’il est le Seigneur de la veuve, de l’orphelin et de l’étranger, qu’il est le Dieu qui libère de tous les esclavage, qu’il est le Dieu qui appelle les êtres humains à répondre aux défis de la vie, vivre pour le Seigneur… c’est avoir une vie bien remplie par le souci des autres. Disons-le avec une formule de philosophie politique : le chrétien se préoccupe de l’intérêt général. Le chrétien ne se préoccupe pas seulement de sa pomme, mais aussi de l’intérêt général, de ses prochains, qu’ils soient de glorieux croyants ou qu’ils soient faibles dans la foi, qu’ils confessent leur foi de manière tonitruante ou qu’ils n’aient pas les lèvres particulièrement circoncises à ce sujet.
Nul ne vit pour lui-même. Notre finalité est hors de nous. Ce qui signifie que nous ne sommes pas notre propre mesure. L’homme n’est pas la mesure de l’homme. Nous ne pouvons pas nous contenter d’une vie qui consisterait à satisfaire nos envies, nos élans. Il y a un projet infiniment supérieur qui nous anime et que Paul énonce en ces termes aux versets 17,19 : « Le royaume de Dieu, c’est non pas le manger ni le boire, mais la justice, la paix et la joie, par le Saint-Esprit. (…) Recherchons ce qui contribue à la paix et à l’édification mutuelle. » Autrement dit l’apôtre Paul récuse que le christianisme soit une philosophie du plaisir individuel, ce qu’on pourrait appeler l’hédonisme : boire, manger et de manière plus large les plaisirs de notre corps, l’hédonisme étant non seulement la recherche du plaisir, mais aussi l’évitement de la souffrance. Or l’autre, le prochain, est une cause de souffrance. C’est en ce sens que le credo affirme que Jésus a souffert (et pas que sous Ponce Pilate). Intégrer l’autre dans notre équation personnelle demande du travail, des efforts, parfois de la sueur. Mais c’est à cette condition de porter haute l’humanité de mon prochain que j’éloigne la société de la barbarie.
Paul, en indiquant que nul ne vit pour soi, oriente notre compréhension de la vie en direction de l’intérêt général qui se construit par la paix entre tous, par l’édification mutuelle, et la justice. Cette finalité, extérieure à nous, est décisive, car c’est elle qui donne le sens de nos actes, de nos manières de vivre. En effet, comme le dit Paul, un acte est neutre en soi – rien n’est impur en soi (v. 14). Une chose n’est ni bonne ni mauvaise. C’est la finalité qui va lui donner du sens. Sans finalité, il n’y a pas de sens à ce que nous faisons et nous sommes les plus malheureux des hommes. Sans finalité, une société devient dépressive. Elle ne peut que s’effondrer. Si la seule raison d’être est de vivre pour soi, alors nous ne faisons que lutter contre la mort, contre la disparition. Quand l’Eglise s’évertue à ne pas disparaître, qu’elle oriente toutes ses actions pour sauver sa peau, elle se vide de sa substance et ensuite elle se vide de ses paroissiens. Ainsi en va-t-il de toute société humaine.
De plus, si nous n’avons pas une finalité extérieure qui nous attire, nous et nos contemporains, la vie devient une guerre des ego. Si nous nous ne vivons qu’en fonction de nos instincts individuels, nous entrons en conflit permanent les uns avec les autres. C’est comme conduire en ville sans la finalité qui est de fluidifier la circulation de tous les habitants, quel que soit leur mode de locomotion, d’ailleurs. Si nous ne sommes pas animés par des finalités communes (qui nous sont donc extérieures), la vie en commun n’est pas autre chose qu’un rapport de force permanent. Et cela provoque de la fatigue, de la lassitude, sans parler des morts et des blessés qu’on laisse sur le bord de ce chemin du conflit permanent.
Cette dialectique des forts et des faibles permet à Paul de développer une proposition théologique pour donner un avenir à toutes nos sociétés humaines, d’une part en insistant sur le respect nécessaire de la pluralité des mœurs qui correspondent à des parcours de vie propres à chaque personnalité, en raison du fait que Dieu valorise les personnalités. Le christianisme doit donc, lui aussi, valoriser la personnalité. Et, d’autre part, Paul révèle que notre foi nous relie à des finalités extérieures qui, au lieu de nous jeter tous dans la fosse commune, permettent la vie en commun. Comme l’a rappelé le professeur Oscar Cullmann en son temps, la société chrétienne se forge dans la pluralité. Nous ne sommes pas une société en supprimant tout ce qui diverge, tout ce qui est hérétique, tout ce qui dépasse, tout ce qui n’est pas conforme à une règle, ce qui reviendrait à créer une unicité. C’est l’association de toutes les parties qui forge une société : l’unité plutôt que l’unicité, une unité qui se forge dans la pluralité – e pluribus unum. Selon la formule consacrée : au boulot !
Amen
[1] Ceci n’est pas une remarque historico-critique, mais une boutade anachronique qui peut donner matière à penser.
Prédication éclairante, comme d’habitude, et toujours aussi agréable à lire et à méditer.
Très utile!!!!
Merci.