Résoudre l’énigme de la vie avec l’apôtre Paul


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1 Corinthiens 13/8-13

8 L’amour ne tombe jamais. Les prophéties prendront fin, les langues cesseront, le savoir disparaîtra. 9 Car nous savons en partie, et nous prophétisons en partie, 10 mais quand ce qui est parfait sera venu, ce qui est partiel disparaîtra. 11 Lorsque j’étais enfant, je parlais comme un enfant, je pensais comme un enfant, je raisonnais comme un enfant; lorsque je suis devenu homme, j’ai fait disparaître ce qui était de l’enfant. 12 Aujourd’hui nous voyons au moyen d’un miroir, d’une manière confuse, mais alors nous verrons face à face; aujourd’hui je sais en partie, mais alors je connaîtrai comme j’ai été connu. 13 Maintenant donc ces trois choses demeurent: la foi, l’espérance, l’amour ; mais la plus grande de ces choses, c’est l’amour.

Chers frères et sœurs, on idéalise souvent la jeunesse ; on en fait l’âge d’or de la vie. Dans l’Église, on fait souvent de la jeunesse un point capital, quasiment un objectif. L’apôtre Paul, lui, fait l’inverse. Il nous fait comprendre qu’il faut en finir avec la jeunesse. Il nous fait comprendre que la jeunesse n’est qu’un passage. Le but de la vie chrétienne, n’est pas de se maintenir dans l’état d’enfant, mais de progresser vers la situation d’adulte.

Aujourd’hui, dit Paul, nous voyons au moyen d’un miroir, d’une manière confuse, mais alors nous verrons face à face. Voilà le programme de la vie chrétienne selon Paul : passer d’une situation où nous avons du mal à comprendre ce qu’est la vie, à une situation où cela devient clair. À l’époque de Paul, les miroirs étaient des plaques métalliques qui étaient polies pour rendre la surface aussi lisse que possible de sorte qu’on puisse se voir dedans. Les procédés techniques ne permettaient pas de se voir aussi nettement que ce que permet aujourd’hui un téléphone mobile doté d’un capteur de 50 mégapixels. Le texte grec dit que le miroir ne nous permet de voir qu’en ainigma, c’est-à-dire comme une énigme, comme un message crypté. Le miroir, à l’époque de l’apôtre Paul, c’était une machine énigma, qui transmettait un message qu’il fallait décoder.

Cette image du miroir permet à Paul de dire que la vie est une énigme. Et notre vocation chrétienne est de décrypter cette énigme. La vocation chrétienne est de résoudre cette énigme. C’est cela sortir de la situation de l’enfant. C’est sortir de cette situation où tout est brouillé, flou, indistinct, pour entrer dans la terre promise d’une vie claire, compréhensible, une vie qui a un ou des sens précis.

Alors les jeunes gens me diront : « nous savons beaucoup de choses. » C’est vrai, vous savez beaucoup de choses, mais vous ne connaissez pas grand-chose. Voilà le constat que fait l’apôtre Paul. Nous sommes comme des jeunes gens, des lycéens ou des étudiants qui emmagasinent plein d’informations, beaucoup de savoirs, et qui, malgré cela, ne connaissent pas grand-chose à la vie.

  1. Nous ne sommes pas encyclopédiques

La foi chrétienne nous permet de résoudre l’énigme de la vie en faisant le lien entre ce que nous savons, ce qui se passe, et ce que nous pouvons faire advenir. La foi chrétienne, c’est ce qui nous permet de faire le lien entre l’histoire, notre présent, et ce qui peut advenir. Si nous en restons à ce que nous savons, nous n’avons qu’une vision partielle des choses. C’est ce que dit Paul : le savoir sera aboli, c’est-à-dire ce que nous avons appris du passé ; les langues seront abolies, c’est-à-dire notre manière d’être en relation avec le présent ; les prophéties seront abolies, c’est-à-dire ce que nous disons au sujet de l’impact de notre vie dans le futur.

Pour le dire plus clairement, si nous nous en tenons à ce que nous savons, nous avons une vision déformée du monde, de la vie. En réalité, le passé est bien plus vaste que ce que nous savons. Le présent est bien plus riche que ce que nous voyons. Le futur est bien plus vaste que ce que nous imaginons. Et, pour tout vous dire, ce sera toujours le cas. Même le plus instruit des hommes ne peut pas savoir tout sur tout. Depuis le XVIIIe nous avons compris qu’il n’était plus possible de posséder un savoir encyclopédique. Une personne, seule, ne sait pas qu’elle était la vie quotidienne des Corinthiens au premier siècle, comment on fabrique une centrale nucléaire, quelle est la recette du Kouign-Aman, quel est le taux de change actuel de l’euro face au dollar ni quel sera le montant de la correction que le PSG infligera mardi au Bayern de Munich. Notre savoir est nécessairement partiel. Si nous n’avons pas l’humilité de le reconnaître, nous faisons preuve d’orgueil, et l’orgueil est un problème car il déforme la réalité. Il nous fait croire que nous sommes au point pour tout affronter, alors que nous ne sommes qu’une petite chose, en réalité.

Dit autrement, nous ne sommes pas des encyclopédies sur pattes. Et pour Paul, ce n’est pas un problème, car résoudre l’énigme de la vie ne consiste pas à accumuler toutes les données sur la vie. Être chrétien, ce n’est pas être un ordinateur qui stockerait toutes les informations. Être chrétien, ce n’est pas savoir tout sur tout. Être chrétien, c’est connaître. On peut savoir beaucoup de choses, tant qu’on ne connaît pas, on n’a pas encore vécu. On est encore dans le stade de l’enfance.

  1. Passer du savoir à la connaissance

Dans le texte de Paul, ce passage du savoir à la connaissance se fait par un tout petit changement dans le verbe utilisé. Un petit changement qui change tout. Le savoir qui est partiel, le savoir qui sera aboli, c’est le mot gnosis, qui donne les mots gnose, gnostique ou encore agnostique. L’agnostique est celui qui ne sait pas. Et le verbe qui va avec est ginosko. Le verbe connaître, c’est le mot savoir, ginosko, avec un petit préfixe devant, épi, qui signifie au-dessus. Épiginosko, c’est savoir par-dessus. La connaissance est un savoir par le haut. C’est à savoir qui se confronte à un autre savoir que le mien. Contrairement à ce qui était écrit sur le temple de Delphes, le mot d’ordre de Paul n’est pas connais-toi toi-même, qui serait plutôt à traduire par sais toi-même gnothi seauton, mais « je connaitrai comme j’ai été connu » – Epignosomai kathos kai epegnosthen.

Comment fait-on pour savoir par le haut, et non au raz des pâquerettes ? Comment fait-on pour qu’un savoir devienne connaissance ? C’est ce que nous explique l’apôtre Paul. Il y a deux conditions pour que le savoir devienne une connaissance.

Le premier élément indispensable, c’est la perfection. Dans notre traduction, le verset 10 affirme : « quand ce qui est parfait sera venu, ce qui est partiel sera aboli. » La perfection dont il est question ici, c’est le téléios. C’est ce qui est accomplit, ce qui a atteint son but, son achèvement. Autrement dit, il faut que le savoir fasse sens, qu’il soit orienté vers une finalité. Il ne suffit pas de savoir que U=rI. Si vous ne savez pas que faire de cette formule de physique, vous serez le plus malheureux des êtres. Alors que vous éviterez de griller vos instruments électroniques si vous savez que c’est l’équation qui vous permet de savoir qu’elle est la résistance qu’il faut mettre dans un circuit électrique pour que la tension du courant soit en rapport avec l’intensité. Épiginosko, la connaissance, c’est le savoir qui a au-dessus de lui une finalité qui l’attire, qui lui donne du sens.

Le téléios permet de transformer le savoir en connaissance en mettant le savoir en relation avec les finalités de la vie. Par exemple, il y a une manière chrétienne de respecter la loi. Il ne s’agit pas d’obéir bêtement à la loi, mais de comprendre quel est la finalité de la loi pour que nous agissions dans le sens de la finalité de la loi. Il ne s’agit pas de se contenter d’appliquer la loi, il s’agit de vivre en s’inspirant de la perspective ouverte par la loi. Si la loi dit que les enfants ont un devoir d’obligation alimentaire[1] envers leurs vieux parents (quand ils ne sont pas en mesure de manger, s’habiller, se loger, se soigner…), il ne s’agit pas seulement de leur verser de l’argent de poche pour qu’ils puissent acheter du chocolat pour améliorer le goûter servi par l’EHPAD. Le téléios, la finalité de la vie telle que la Bible nous la révèle, nous incite à prodiguer tout ce qui est nécessaire à une personne, dans une situation donnée. Résoudre l’énigme de la vie, c’est élucider les finalités de la vie pour mettre notre existence en harmonie avec le sens que nous voulons donner à la vie. Si nous savons ce qui compte, si nous savons le sens que nous voulons donner à notre vie, alors nous donnerons du sens à notre argent en ajustant nos dépenses à ce qui a vraiment de la valeur, nous donnerons du sens à notre agenda en consacrant notre temps surtout à ce qui est notre téléios, nous orienterons notre vie professionnelle dans cette direction, nous choisirons nos amis en fonction de cette perspective.

Pour atteindre cette finalité, ce qui est nécessaire, c’est l’amour. L’agapè, l’amour qui donne et non pas l’amour qui échange ou l’amour qui prend ce qui lui fait plaisir. Notre passage biblique est encadré par la question de l’amour. C’est l’amour qui nous permet d’agir dans le sens de ce que nous jugeons être un bon accomplissement de la vie.

Attention, l’amour dont il est question dans la Bible c’est bien autre chose que d’avoir des papillons dans le ventre. Ca peut être lié, mais c’est bien supérieur à cela. L’amour, dans la Bible, ce n’est pas un bon sentiment. Ce n’est pas une émotion. C’est un engagement résolu en direction de ce qui est juste, profondément juste, de ce qui donne de la consistance aux finalités de la vie.

L’amour, c’est agir, c’est entreprendre, c’est faire des choses qui vont dans le sens de ce qu’on vise, du téléios. L’amour est plus grand que la foi et l’espérance, parce que c’est l’amour qui rend possible la foi et l’espérance. L’amour est la condition indispensable pour qu’il y ait de la foi et de l’espérance. Quelqu’un a demandé à Albert Schweitzer comment avoir la foi ? Il a répondu : « commence par faire quelque chose au nom de Jésus-Christ. » L’amour agapè donne de la chair à la foi. Qu’est-ce que pourrait bien signifier avoir foi en Dieu si on n’aime pas son prochain, qui est à l’image de Dieu, s’interrogeait Jean dans l’une de ses lettres (1 Jn 4,20) ? Que serait notre espérance si elle ne se concrétisait pas dans des actes, dans des choix de vie, dans une pratique quotidienne ?

Quelqu’un est-il vraiment musicien quand il ne pratique aucun instrument ? Quelqu’un est-il vraiment sportif quand il ne pratique aucun sport ? Quelqu’un est-il vraiment croyant quand il ne pratique aucun amour ? Paul nous dit qu’on n’est pas croyant si on n’est pas pratiquant. Les croyants non pratiquants, les personnes qui se disent croyantes et qui ne pratiquent pas l’amour agapè sont des personnes qui se racontent des histoires.

L’énigme de la vie, c’est ce que le philosophe Emmanuel Kant a décidé d’assumer dans sa réflexion en la formulant sous forme de question : « que puis-je connaître, que m’est-il permis d’espérer ? » et il en a ajouté une troisième : « que dois-je faire ? » Kant n’était pas qu’un pur esprit. Il était un être de chair. Il a aussi rédigé la critique de la raison pratique. Ce que nous pouvons connaître, c’est ce que nous pratiquons. Ce que nous pouvons connaître, c’est ce dans quoi nous nous impliquons, ce pour quoi nous faisons des efforts, ce pour quoi nous donnons de nous-mêmes. C’est cela aimer. Donner de soi. De l’énergie, du temps, de l’intelligence, de la sueur.

Résoudre l’énigme de la vie, c’est pratiquer la vie, c’est y pratiquer la charité, l’autre traduction courante du mot agapè. C’est s’engager de tout son être en direction du téléios – ce que nous estimons infiniment juste, ce qui a un caractère divin, sacré. Résoudre l’énigme de la vie, c’est s’impliquer totalement dans la marche du monde, dans l’écriture de l’histoire, dans un face-à-face magnifique avec la vie. Et c’est ainsi, qu’au soir de sa vie, il n’y a pas de regret, il n’y a pas d’aspect de la vie que nous aurions négligé. Notre connaissance de la vie cesse d’être partielle et donc insatisfaisante, à partir du moment où nous aimons la vie. Et rien n’interdit de l’aimer passionnément, avec des papillons dans le ventre.

Amen

[1] Code civil art. 203-211. Code pénal art. 227-3 – 227-41. Code de l’action sociale et des familles art. L132-1 – L132-12. Cour de cassation – chambre civile – n°09-16839.

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