Puisqu’on ne peut plus voir Jésus, anangélisons !

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Jean 16/5-15

5 Mais maintenant je vais à celui qui m’a envoyé, et aucun d’entre vous ne me pose la question: ‹Où vas-tu?› 6 Mais parce que je vous ai dit cela, l’affliction a rempli votre cœur. 7 Cependant je vous ai dit la vérité: c’est votre avantage que je m’en aille; en effet, si je ne pars pas, le Paraclet ne viendra pas à vous; si, au contraire, je pars, je vous l’enverrai. 8 Et lui, par sa venue, il confondra le monde en matière de péché, de justice et de jugement; 9 en matière de péché: ils ne croient pas en moi; 10 en matière de justice: je vais au Père et vous ne me verrez plus; 11 en matière de jugement: le prince de ce monde a été jugé. 12 J’ai encore bien des choses à vous dire mais vous ne pouvez les porter maintenant; 13 lorsque viendra l’Esprit de vérité, il vous fera accéder à la vérité tout entière. Car il ne parlera pas de son propre chef, mais il dira ce qu’il entendra et il vous communiquera tout ce qui doit venir. 14 Il me glorifiera car il recevra de ce qui est à moi, et il vous le communiquera. 15 Tout ce que possède mon Père est à moi; c’est pourquoi j’ai dit qu’il vous communiquera ce qu’il reçoit de moi.

Chers frères et sœurs, le temps de l’Avent, qui est le temps de l’advenue, pourrait être l’occasion d’un malentendu fâcheux. En effet, se préparer à l’advenue du Christ, se préparer à la célébration de Noël, pourrait nous laisser penser que nous pouvons dans quelques jours repartir à zéro avec un Jésus tout beau tout neuf. Le temps liturgique qui a une forme cyclique, pourrait nous donner l’impression que la vie est un vaste sens giratoire qui dure une année, à la manière de la révolution de la Terre qui fait un tour du soleil en un an. Du point de vue de la foi chrétienne, le malentendu serait le suivant : il nous sera possible de voir Jésus comme nous nous voyons, là, présentement. Le malentendu consiste à croire que Jésus peut être parmi nous de la même manière qu’il l’avait été parmi ses disciples. Et de là vient, non plus un malentendu, mais ce que je qualifierais un terrorisme spirituel : l’obligation d’avoir vu Jésus pour être reconnu comme véritable chrétien.

  1. on ne verra plus Jésus

Jean 16 fait partie du discours d’adieu de Jésus à ses disciples. Ces paroles sont prononcées à l’occasion du dernier repas de Jésus avant son arrestation, sa condamnation et sa mise à mort. Comme il le dira par la suite, encore un peu de temps vous ne me verrez plus et puis vous me verrez et je m’en irai vers le père (16/17), ce qui correspond à son ensevelissement puis à l’événement de Pâques, après quoi il quittera le monde et ira vers le Père (Jean 16/17,28). L’ascension dit que Jésus échappe désormais à la vue des disciples (Actes 1/9), qu’il s’agisse des disciples de l’époque de Jésus ou de nous-mêmes.

Et pourtant, il arrive que des chrétiens veuillent vérifier l’authenticité de la foi d’autres chrétiens en leur demandant s’ils ont vu Jésus, s’ils ont eu une rencontre personnelle avec Jésus. L’assurance avec laquelle ils interrogent ceux dont ils doutent du bien fondé de la foi fait perdre les moyens à bien des gens qui se trouvent soudainement mis en accusation de mécréance, des gens qui doivent soudainement justifier de leur identité chrétienne – par les mêmes qui se plaignent que la société contemporaine se déchristianise.

Ce qui est frappant, c’est que les censeurs du christianisme le font sur des critères non bibliques. Cela ressemble furieusement aux islamistes qui ont une vision du monde et de la séparation entre les croyants et les mécréants, qui ne se fonde pas sur des critères coraniques. Les tyrans sont d’abord des tyrans parce qu’ils imposent à la société des critères personnels qui ne sont pas communément partagés, qui n’ont même pas été discutés, et qui sont tout simplement contraire au patrimoine que ces tyrans entendent officiellement défendre de toutes leurs forces.

En fait, les récits bibliques nous indiquent que nous ne sommes pas en mesure de voir Jésus, que nous ne pouvons pas le croiser dans notre vie quotidienne. Jésus a même précisé qu’il était avantageux pour nous qu’il s’en aille pour que vienne le paraclet. Jésus n’est plus là. Il n’y a donc pas à culpabiliser de ne pas avoir eu une expérience personnelle de rencontre avec Jésus, que ce soit sous forme de dialogue ou de visu[1]. Si le rédacteur biblique a inscrit ces paroles dans son évangile, c’est justement pour couper court aux intimidations de ceux qui voulaient se targuer d’expériences spirituelles personnelles pour prendre l’ascendant sur les autres et les dominer.

  1. Le paraclet pour nous anangéliser

C’est donc le paraclet que nous avons à notre disposition, et non le Jésus qui a vécu il y a deux mille ans. Le paraclet… « Paraclet », c’est une translittération du mot grec paraclétos qui désigne celui qui plaide la cause de quelqu’un devant le juge. Nous pourrions parler d’intercesseur ou d’avocat. Que fait le paraclet ? il nous annonce ce qui arrive, ce qui vient. Il nous annonce… pour être au plus près du texte grec, il nous « anangélise ». Il ne nous évangélise pas (euaggello c’est annoncer une bonne nouvelle), il nous anangélise (anaggello c’est annoncer de bas en haut, c’est-à-dire remonter le fil de la conversation). Le paraclet ne racontera pas ce qui l’arrange comme le fait le tyran religieux qui profère des paroles qui viennent de lui-même. Le paraclet dira ce qu’il a entendu (v.13) en remontant le fil des paroles pour les rendre disponibles de manière intelligible. Le préfixe ana- est celui que nous trouvons dans le verbe « analyser ».

Pas de Jésus sous la main, mais l’action du paraclet qui consiste à se mettre à l’écoute des autres, et à remonter le fil des discours pour comprendre ce que nous ne pouvons pas comprendre tout de suite (v. 12). Le croyant, c’est celui qui est anangélisé. Il entend des paroles qui font sens parce qu’elles ont été triées et mise en ordre. Il est ici question de l’intelligence de la foi. Cette intelligence de la foi, c’est le travail du croyant en l’absence de Jésus qui n’est plus là pour réfléchir à la place des gens. L’avent ne saurait donc être un chemin vers une rencontre personnelle avec Jésus semblable aux rencontres auxquelles nous sommes habitués. L’avent, c’est ce travail d’anangélisation qui consiste à découvrir ce qui arrive, ce qu’il m’est permis d’espérer, à partir d’un travail de réinterprétation des paroles qui ont été prononcées, écrites, reprises, dans le but de nous révéler ce que vivre veut dire. C’est un travail incessant, dont les résultats changent à mesure que la vie change. Voilà pourquoi il est impossible d’être arc-bouté sur des formules pluriséculaires. Certainement ont-elles eu leur part de vérité à un moment de l’histoire, mais le paraclet désigne le fait que nous n’en finissons jamais de réinterpréter notre vie en fonction du présent qui est riche de nouveaux défis, de nouvelles configurations, de nouvelles connaissances, et donc de nouvelles anangélisations.

  1. L’anangélisation, concrètement

L’anangélisation, voilà un nouveau concept que je vous propose, et vous pouvez en être heureux. Ce pourrait être votre plus beau cadeau spirituel de Noël. Encore faut-il le déballer car je conçois que, pour l’instant, cela reste assez vague. Je reprendrai donc les trois éléments présentés dans ce texte pour dire aussi concrètement que possible ce qu’est l’anangélisation.

Tout d’abord, le paraclet révèle le péché. Ce n’est pas pour nous accabler, mais pour nous prémunir contre un travers de la religion qui consiste à fantasmer sur la pureté et sur la perfection. Reconnaître notre situation de pécheur comme nous le faisons chaque dimanche pendant le culte, ce n’est pas par goût de la mortification ou par masochisme. C’est pour avoir bien conscience de la distance qui nous sépare d’une vie idéale, qui nous sépare de Dieu. Cela nous prémunit, du même coup, de la tentation de disqualifier les êtres que nous côtoyons au prétexte qu’ils ne seraient pas parfaits. Être malade n’est pas réservé aux mécréant, ni le fait de rater un examen, ou de ne plus savoir où on a mis ses clefs, pour prendre un exemple plus léger. Rapporté à la vie quotidienne, le travail du paraclet nous prémunit de considérer qu’il y aurait des citoyens de seconde zone, qu’il y aurait des sous-hommes, qu’il serait possible de se dépréoccuper de certaines catégories de personnes au prétexte qu’elles ne correspondraient pas à notre critères personnels. Pour se prémunir de ce travers, la foi est la confiance que nous accordons aux paroles évangéliques qui nous ouvrent les yeux sur la vérité de la condition humaine.

Ensuite, il est question de justice, au sens du droit, dikaisunè en grec. Oui, nous sommes pécheurs, mais nous avons des droits. C’est justement le sens de la grâce qui est proclamée après la confession du péché. Notre condition humaine est misérable à bien des égards, mais elle est aussi au bénéfice de l’amour de Dieu. Concrètement, cela signifie que nous avons des droits inaliénables, ce que les philosophes appelaient des droits naturels, mais qui n’ont rien à voir avec la nature physique. Nous avons des droits qui ne dépendent ni de notre attitude, ni du pouvoir politique, des droits qui dépassent largement l’autorité des législateurs. C’est de ces droits dont il est question dans la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789. En l’absence de Jésus qui défendait les plus fragiles, les plus vulnérables de la société – Jésus qui disait être venu pour les malades et non pour les bien-portant – le paraclet nous permet de remonter le fil de l’évangile pour y retrouver les paroles de grâce qui ressusciteront notre dignité. Porter un regard juste sur nous-mêmes et sur autrui, un regard éclairé par l’évangile plutôt que par nos peurs ou nos frustrations, voilà le deuxième aspect de l’anangélisation.

Enfin, notre traduction parle de jugement, mais nous pouvons, là aussi, retrouver la puissance du terme grec krisis pour entendre qu’il s’agit d’exercer un esprit critique en toutes situations. Le paraclet, c’est bien avant Emmanuel Kant et la philosophie des Lumières, cet appel à ce que chacun soit une instance de jugement. Rien ni personne ne saurait prendre le pouvoir sur nous au point que nous devions abdiquer notre capacité d’exercer notre esprit critique. Ici, c’est le principe (archon) même du monde qui est soumis à la critique du paraclet. Selon le principe de « qui peut le plus, peut le moins », si le paraclet effectue une critique du principe même du monde, de ce qui préside à la destinée du monde, alors tout ce qui fait notre monde peut-être passé au crible de la critique. Le paraclet nous indique qu’en l’absence de Jésus, désormais, notre esprit critique est requis en toute circonstance.

Ainsi, frères et sœurs, le temps de l’Avent nous conduit-il vers le temps de Noël qui nous rappelle la grâce qui nous a été faite à travers Jésus en qui les chrétiens ont reconnu le Christ. Mais, concrètement, de nos jours, l’Avent est vécu en étant au bénéfice du paraclet qui nous rappelle notre situation pécheresse pour que nous fassions bon accueil à la grâce divine, ce qui vaut mieux que vivre en ne comptant que sur nous pour juger ce qui est vivable et ce qui ne l’est pas. Notre sens critique, construit à partir des promesses de l’Évangile, voilà la meilleure manière de rendre le monde plus humain, notamment en résistant à ce qui tyrannise l’humanité sous couvert de fidélité à la vraie religion. L’esprit critique, si cher aux protestants, il ne s’use que si on ne s’en sert pas. Faisons-en bon usage pour qu’advienne dans notre existence le Christ de l’évangile et non pas le christ de nos caprices.

Amen

[1] Saul de Tarse, sur le chemin de Damas, au cours de l’expérience spirituelle qui le conduira à sa conversion, « voit rien » (Actes 9/8).

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