veni, quaesivi, salvivi


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Luc 19/1-10

1 Jésus, étant entré dans Jéricho, traversait la ville. 2 Et voici, un homme riche, appelé Zachée, chef des publicains, 3 cherchait à voir qui était Jésus; mais il ne pouvait y parvenir, à cause de la foule, car il était de petite taille. 4 Il courut en avant, et monta sur un sycomore pour le voir, parce qu ‘il devait passer par là. 5 Lorsque Jésus fut arrivé à cet endroit, il leva les yeux et lui dit: Zachée, hâte-toi de descendre; car il faut que je demeure aujourd’hui dans ta maison. 6 Zachée se hâta de descendre, et le reçut avec joie. 7 Voyant cela, tous murmuraient, et disaient: Il est allé loger chez un homme pécheur. 8 Mais Zachée, se tenant devant le Seigneur, lui dit: Voici, Seigneur, je donne aux pauvres la moitié de mes biens, et, si j’ai fait tort de quelque chose à quelqu’un, je lui rends le quadruple. 9 Jésus lui dit: Le salut est entré aujourd’hui dans cette maison, parce que celui-ci est aussi un fils d’Abraham. 10 Car le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu.

Chers frères et sœurs, un séisme terrible ébranla Modène, une ville italienne, le 20 mai 2012. Parmi tous les dégâts causés par ce tremblement de terre, un producteur eut à déplorer 360.000 meules de parmesan endommagées, devenues impropres à la vente. La faillite était-elle inéluctable ?

  1. Le Fils de l’Homme vient

Le fils de l’Homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu. Ce verset résume à lui seul le sens de la vie de Jésus. Le temps de l’Avent, qui est le temps de l’advenue du Christ, nous oriente vers cette phrase qui exprime la vocation même de Jésus. Tout d’abord, ce verset nous apprend que le fils de l’Homme vient. Jésus se présente comme le fils de l’Homme, ce qui est une manière de dire l’humain. En hébreu, un fils d’Homme, un fils de l’Homme, c’est un humain, quelqu’un de profondément humain. Jésus se présente comme un être profondément humain. C’est d’ailleurs ce qui le caractérise le mieux. Être pleinement christ, c’est être pleinement humain, plus que nous ne le sommes. C’est d’ailleurs ce que reconnaîtra Ponce Pilate au moment du procès de Jésus quand il dira de lui : « voici l’Homme » idou o anthropos (Jean 19/5), non pas un homme, un homme parmi d’autres, mais « l’Homme », o anthropos, l’Homme dans toute sa splendeur, l’Homme véritable, l’humain que nous pouvons toutes et tous espérer devenir.

Le fils de l’Homme vient. Il vient à la rencontre de Zachée, il vient à notre rencontre, il nous rejoint. On pense souvent que c’est Zachée qui fait tous les efforts pour entrer en contact avec Jésus. On pense que c’est grâce aux efforts de Zachée que la rencontre avec Jésus devient possible. Il n’en est rien. Tous les scouts savent bien qu’on ne mont pas dans un arbre pour se faire voir, mais pour se cacher. Certainement Zachée aura-t-il un angle de vision parfait pour voir Jésus, lui qui est de petite taille, mais grimper dans un arbre est la meilleure manière de se cacher, car on ne pense jamais à regarder en l’air quand on cherche quelqu’un. Le rédacteur veut nous faire comprendre que c’est Jésus qui a l’initiative de la rencontre. C’est le Christ qui vient à nous, et pas l’inverse. C’est Dieu qui nous précède. La grâce est première.

L’humanité (le fils de l’Homme) nous rejoint, elle vient s’établir chez nous, elle vient demeurer dans notre intimité. Ce texte nous dit qu’il y a plus grand que notre sentiment d’isolement, de notre déréliction, ce sentiment d’abandon de Dieu : il y a la grâce divine qui vient à nous, en toutes circonstances ; elle vient nous provoquer.

  1. Il vient chercher

L’humanité vient à notre rencontre pour provoquer notre propre humanité, pour la solliciter, pour la réveiller, pour la ressusciter. Zachée n’invite pas Jésus, c’est Jésus qui invite Zachée chez lui, ce qui le remplit de joie – et Zachée répond positivement. Il fait bon accueil au Christ. Cela se produit parce que Jésus est venu le chercher. Nous pouvons même dire que Jésus l’a bien cherché, comme le berger qui part à la recherche de la brebis perdue. Dire que le fils de l’Homme est venu chercher, c’est expliquer que Dieu nous rejoint dans notre état véritable, dans notre misère humaine, jusque dans notre situation pécheresse. Ainsi en allait-il pour Zachée, un collecteur d’impôt qui se servait au passage pour s’enrichir. Cet homme était riche, il était grand d’un point de vue financier, mais en réalité, il était petit. Cela n’est pas un obstacle à la venue de Dieu.

Dire que le fils de l’Homme est venu chercher ce qui était perdu, c’est dire que Jésus est venu pour des gens comme Zachée et sa petitesse. La cupidité de Zachée n’empêche pas la venue active de Dieu pour nous chercher quand nous sommes perdus, quand nous avons perdu de vue ce qui fait la valeur de la vie, ce qui constitue véritablement notre humanité. Dieu vient nous chercher là où nous en sommes de notre vie ou de notre absence de vie. Nous n’avons pas à redouter d’être privé d’une vie spirituelle, d’une intimité avec Dieu au prétexte que notre vie ne serait pas exemplaire en tous points, au prétexte que nous serions pécheurs, pour reprendre la catégorie théologique qui pose que nous ne sommes pas pleinement humains, que nous sommes éloignés de notre divine vocation.

Ce mouvement de Dieu qui consiste à venir chercher ce qui est perdu, c’est ce que le Notre Père exprime quand il est question de « ne pas nous emporter dans l’épreuve », une traduction bien plus juste que « ne nous laisse pas entrer dans la tentation ». En effet, le mouvement de Dieu consiste à venir nous chercher dans nos situations malheureuses voire impossibles à nos propres yeux. Or la spiritualité chrétienne ne devrait pas consister à demander à Dieu de nous accompagner dans nos difficultés, mais à venir nous chercher, à nous emporter dans l’épreuve, et à nous arracher au malheur, à nous délivrer du mal. Dieu vient nous chercher pour que nous ne nous habituions jamais à la misère, au malheur, à la vie en sous-régime, à notre petitesse, à notre péché. Il vient nous chercher parce que nous ne sommes pas forcément conscients de notre situation. Nous ne sommes pas forcément conscients que nous avons besoin d’aide, que notre existence est loin d’être à la hauteur de ce qu’elle pourrait être.

  1. Le Fils de l’Homme vient nous sauver

Le Fils de l’Homme vient pour nous chercher quelle que soit notre condition, et pour nous sauver. Il vient pour nous sauver de nos impasses, de nos difficultés à vivre comme des humains. Il vient nous chercher pour sauver notre humanité perdue.

Quand on regarde ce qui se passe pour Zachée, nous comprenons que le Fils de l’Homme nous sauve en sauvant notre humanité, en nous rendant plus humain, en retissant les liens de fraternité et de solidarité avec tous ceux qui partagent cette humanité à laquelle nous sommes appelés. Zachée avait perdu de vue l’humanité, la voilà à nouveau dans son horizon personnel. C’est cela que le fils de l’Homme provoque. Dieu, c’est ce qui nous rend plus humain, c’est ce qui met en évidence notre responsabilité à l’égard de nos frères et sœurs en humanité, aussi bien ceux qui sont pauvres, que ceux auxquels j’ai pu faire du tort. Dieu donne une nouvelle orientation à nos actes, Dieu qui vient nous chercher, nous provoque, il nous sort de nos habitudes, il nous arrache à une vision définitive des situations et des personnes. En conséquence, Dieu nous sauve en faisant venir de l’humanité dans notre manière de voir, notre manière d’appréhender ce qui nous entoure.

Si le fait que Dieu fasse venir l’humanité dans notre existence pour nous sauver de notre petitesse, cela a aussi un retentissement au niveau de la société. En effet, cela permet de refonder le pacte social en changeant le regard qu’on porte sur les personnes et donc l’estime qu’on leur porte. Ainsi, les relations s’en trouvent profondément transformées. Avec le vocabulaire de Jésus, cela consiste à prendre conscience que celui qui était considéré comme un paria (Zachée) est bel et bien un fils d’Abraham. Dieu vient sauver ceux qui étaient perdus. Il ne vient pas les punir, il ne vient pas les effacer de la surface de la terre : il vient les sauver en leur donnant une nouvelle estime d’eux de sorte qu’ils seront capable de développer une éthique de la solidarité.

Ce n’est pas parce que nous nous mettons à faire de bonnes œuvres que nous reprenons notre place dans le peuple de Dieu. C’est parce que nous prenons conscience que nous faisons partie du peuple de Dieu, que nous sommes dignes de Dieu, que nous accomplissons des œuvres de justice.

La foi, le fait d’accueillir la grâce de Dieu, nous permet d’avoir des relations de tout ordre avec les autres qui ne se font à leurs dépens, notamment des relations où il est question d’argent. Le fils de l’Homme nous révèle que l’autre peut cesser d’être celui qui nous dépossède d’une part de nous-mêmes, celui qui nous pompe l’air. L’autre peut nous révéler à nous-mêmes et nous permettre d’atteindre un plus haut degré d’humanité et d’accomplissement de notre vie.

Est-ce que cette théologie aurait pu sauver le parmesan de Modène ?

Quand il apprit ce qui était arrivé, un chef cuisinier, Massimo Bottura, eut l’idée d’élaborer une recette de risotto « Cacio e Pepe » qui utiliserait ce parmesan. Quelqu’un eut l’idée de faire cuisiner cette recette à travers le monde pour vendre ce parmesan. Les 360.000 meules furent vendues dans des « kits risotto ». Personne ne perdit son emploi, pas un seul fromager ne ferma ses portes. Cette recette fut un geste de solidarité à travers le monde qui commua un drame en épopée.

Nous avons, dans cette communauté, la capacité spirituelle de commuer bien des drames en épopée – pas sur le plan intellectuel, pas en faisant des plans pour la société française, mais dans notre bassin de vie, dans notre métropole. Collectivement, ensemble, nous avons la capacité de métamorphoser des drames en épopée – encore faut-il que nous allions à la rencontre des personnes, en allant les chercher là où elles sont, là où elles en sont de leur vie, en allant dans leur intimité, pour les sauver de situations qui sont vraiment invivables, des situations que nous n’aimerions pas vivre.

Ce qui était perdu à Modène fut recherché, et sauvé. Et nous, nous valons infiniment plus qu’une meule de parmesan.

Amen

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