La résurrection dans le domaine social, par l’activité économique

Daniel Constantin, Lève-toi et marche. Un sens à l’engagement social.

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La résurrection dans le domaine économique

par James Woody

Deutéronome 16/13-15

13 Tu célébreras la fête des tabernacles pendant sept jours, quand tu recueilleras le produit de ton aire et de ton pressoir. 14 Tu te réjouiras à cette fête, toi, ton fils et ta fille, ton serviteur et ta servante, et le Lévite, l’étranger, l’orphelin et la veuve qui seront dans tes portes. 15 Tu célébreras la fête pendant sept jours en l’honneur de l’Éternel, ton Dieu, dans le lieu que choisira l’Éternel; car l’Éternel, ton Dieu, te bénira dans toutes tes récoltes et dans tout le travail de tes mains, et tu te livreras entièrement à la joie.

Célébrer le travail

Les indications relatives à la fête des huttes, Sukkhot, se trouvent dans ce chapitre qui commence par la fête de la Pâque qui célèbre la sortie d’Égypte opérée par Dieu. La fête des huttes peut être comprise comme la célébration de ce que la Pâque a rendu possible. La Pâque célèbre la sortie de la maison de servitude, la libération du peuple opprimé, la fin de cette situation où le peuple était en train de mourir. Souvenons-nous que le pharaon, estimant qu’il y avait trop d’Hébreux en Égypte, avait ordonné le meurtre de tous les nouveau-nés mâles. Moïse avait réchappé à ce massacre de masse par un clin d’œil de l’histoire en étant recueilli par la fille du pharaon. La Pâque célèbre donc la sortie d’Égypte et la libération du peuple. Toutefois, la liberté, ce n’est pas s’affranchir de toutes les contraintes. La liberté, ce n’est pas le fait de ne pas être réduit en esclavage. La liberté, c’est la faculté de pouvoir agir, d’être l’auteur de ses actes, de pouvoir donner du sens à ses journées, à sa vie, de pouvoir décider de ses adhésions.

Il ne suffisait donc pas de sortir d’Égypte pour être libre. Encore fallait-il avoir un horizon vers lequel se diriger. C’est ce que la fête des huttes célèbre. Il s’agit de recueillir le produit de son terrain. En compagnie de la famille, des personnes avec lesquelles nous travaillons, du Lévite qui n’a pas de terrain lui appartenant, et des personnes les plus fragiles de la société, à savoir l’immigrant, l’orphelin et la veuve, il s’agira de recevoir la bénédiction de Dieu dans toutes nos récoltes et dans toute l’œuvre de nos mains, ce qui conduira à une joie véritable. C’est une fête qui marque à la fois la précarité de la condition humaine en logeant sous des huttes et non dans le confort douillet d’une maison digne du troisième petit cochon de la fable, et qui marque la grandeur de l’homme capable de certains accomplissements. C’est le travail qui est célébré ultimement dans ce passage biblique. Je ne dirais pas que le travail rend libre car l’ambiance de cette fin de semaine est trop à la crucifixion pour faire le malin, mais le travail peut être compris comme la conséquence immédiate de la liberté, ce qui est rendu possible par la liberté, ce qui donne à la liberté tout son sens.

Si le travail ne rend pas libre, à tout le moins rend-il joyeux, dans ce texte, ce qui n’est pas sans nous interroger quand le travail est l’objet de débat sur sa pénibilité voire sur la fin du travail. Le travail personnel, ce que notre main a fait, pour être au plus proche du texte hébreu, voilà ce qui est célébré. Si nous suivons le fil de la narration, en Égypte la corvée était terriblement lourde et ne doutons pas que le Hébreux travaillaient. Pour autant il n’y avait pas lieu de célébrer quoi que ce soit. Désormais, le travail est célébré, parce qu’il accomplit la liberté de chaque Hébreu qui ne subit plus ce qui lui arrive, mais qui imprime à son histoire le sens qu’il estime le plus juste pour lui. En Égypte le peuple était mort, en ce sens qu’il n’était plus maître de ses actes. Désormais, il est ressuscité : on peut lui imputer une responsabilité individuelle.

La cène, fête du travail au sein de la création

Il y a un autre élément que je trouve particulièrement intéressant dans cette célébration, c’est l’alliance du travail de la nature et du travail de l’homme. Être béni dans toutes nos récoltes et dans toute l’œuvre de nos mains, concerne ce que nous faisons, mais aussi ce qui échappe à notre mainmise, à savoir le travail de la nature, qui fait aussi son œuvre lorsque nous dormons, nous rappelle l’Évangile par ailleurs.

Cette double célébration, c’est ce qui est au cœur d’une autre célébration, que tous les chrétiens ont en tête en ce jeudi, puisque la cène, le dernier repas de Jésus, met en scène cette réalité à laquelle nous sommes rarement sensibles dans nos assemblées. C’est le pasteur Wilfred Monod qui en a le mieux parlé et je vais donc le citer dans ce passage qui pourrait tenir lieu de préface à toute célébration de la cène :

« Le repas du Seigneur que nous allons partager est la préfiguration du Règne de Dieu.

Quel rêveur, quel réformateur, quel anarchiste a jamais proposé d’inviter le patron et le manœuvre au même repas, pour les faire boire à la même coupe ?

Et pourtant, la sainte cène opère ce miracle ; l’éboueur y porte la coupe à ses lèvres et la passe au député, qui boit après lui.

Dans la simplicité de cet acte sans phrase, il y a quelque chose de surnaturel, et qui nous dépasse au point de nous troubler étrangement.

L’Evangile y apparaît comme l’énergie égalitaire par excellence. Jusque là, seule la mort pouvait prétendre nous rendre tous égaux face à elle. Toutefois, la mort crée, brutalement, une égalité involontaire entre les personnes, tandis que l’Evangile suscite, harmonieusement, une égalité des vivants consciente et volontaire.

Cette communion que nous célébrons tous autour de cette table est un bouleversement de l’humanité future, le germe de la nouvelle terre où la justice habitera.

Ce pain a une histoire.

Pour faire la bouchée de pain qui nous est offerte à la table sainte, il a fallu presque un an d’efforts et de collaboration obstinée avec la pluie et avec les rayons de soleil, et tout le travail des hommes, du grainetier à l’agriculteur, du semeur au moissonneur, du transporteur au distributeur, du grossiste au meunier, du meunier au boulanger, du boulanger à cette table.

Ce pain est la nourriture la plus noble qui existe ; c’est le sacrement de la communion avec la nature généreuse et c’est le sacrement de la solidarité avec l’humanité au travail, qui a permis que cette nourriture soit sur cette table.

Le morceau de pain est au centre du monde ; le jour où toute l’humanité sera pleinement assurée d’en manger, marquera l’avènement du genre humain à la dignité humaine ; c’est alors qu’il se dégagera, définitivement de l’animalité. »[1]

Je reprendrai juste cette dernière phrase en la formulant de la manière suivante : Nous pouvons entendre cette dernière phrase de la manière suivante : c’est lorsque l’humanité entière sera en mesure de pouvoir célébrer cette alliance du travail de la nature et du travail des hommes, que la dignité humaine sera pleinement ressuscitée.

[1] Wilfred MONOD, Pour communier, Fischbacher, p.54

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