L’Éternel n’est pas le dieu que nous voudrions


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Exode 20/3-6

3 Tu n’auras point d’autres dieux devant ma face. 4 Tu ne te feras point d’image taillée, ni aucune ressemblance de ce qui est dans les cieux en haut, et de ce qui est sur la terre en bas, et de ce qui est dans les eaux au-dessous de la terre. 5 Tu ne t’inclineras point devant elles, et tu ne les serviras point; car moi, l’Éternel, ton Dieu, je suis un Dieu jaloux, qui visite l’iniquité des pères sur les fils, sur la troisième et sur la quatrième génération de ceux qui me haïssent, 6 et qui use de bonté envers des milliers de ceux qui m’aiment et qui gardent mes commandements.

Chers frères et sœurs, l’Éternel n’est pas le dieu que nous voudrions. Le Dieu que nous révèle la Bible n’est pas le dieu de nos rêves. Loin de là. C’est la raison pour laquelle ce passage du décalogue nous parle de la non-représentation de Dieu et même de ce qu’il y a dans notre monde. Si des textes bibliques ont intégré cet interdit de l’image de Dieu, c’est justement parce nous avons une forte propension à nous faire un dieu à notre image. Nous avons une forte propension à nous construire un Dieu sur mesure, un dieu qui nous ressemble et cela ne date pas d’hier.

  1. Les images de Dieu à l’époque biblique

L’utilisation d’images divines était une chose courante à l’époque biblique. Si nous nous en tenons aux textes bibliques vous avez peut-être entendu parler du veau d’or lors de la sortie d’Égypte, un veau destiné à montrer Dieu (Exode 32). Ce sont aussi des veaux d’or que le roi Jéroboam est réputé avoir installé à Dan et à Béthel, après la mort de Salomon (1 R 12). L’intérieur du temple de Jérusalem, toujours selon le texte biblique, contenait un poteau d’Achéra que le roi Josias fera détruire (2 R 23/6).

Comme le rappelait Thomas Römer dans un séminaire à la faculté de théologie cette semaine, l’archéologie a révélé qu’il existait bien d’autres représentations. Par exemple, le prisme de Nimrud (722 BCE) indique la déportation des dieux après la victoire assyrienne. Des sceaux ont été retrouvés avec des représentations de Dieu sous forme lunaire ainsi que des pièces de monnaie.

Nous pourrions ajouter que les textes bibliques eux-mêmes développent des images de Dieu, puisqu’on parle de la main de Dieu, par exemple, ce qui est une image anthropomorphique, c’est-à-dire qu’on projette sur Dieu une image construire à partir de l’être humaine. Et lorsque le livre des Nombres rapporte que Dieu fait sortir le peuple d’Égypte et qu’il est pour lui comme la puissance du rhinocéros (Nombres 24/8), c’est une image zoomorphique, c’est-à-dire qu’on applique à Dieu une image d’animal pour le décrire.

Ayons bien conscience que les images peuvent être aussi des images mentales qui nous permettent d’imaginer Dieu, de lui donner une forme. Si nous faisons cela, c’est pour le faire ressembler à ce que nous connaissons ; c’est pour le faire ressembler à ce qui nous est familier. Et quand nous faisons cela, Dieu nous ressemble plus qu’il ne se ressemble lui-même. Or l’Éternel n’est pas le dieu que nous voudrions ; il n’est pas le dieu de nos fantasmes.

  1. Approcher Dieu par approximations successives

Nous le voyons bien avec ce tour d’horizon des images de Dieu à l’époque de la Bible hébraïque, nous le constatons également en réfléchissant à la manière dont nous parlons de Dieu, en réfléchissant à la manière dont nous pensons Dieu, nous n’avons pas une connaissance de Dieu sans recourir à des images plus ou moins nettes, plus ou moins conscientes.

Certes, nous n’avons pas d’image peinte ou d’image taillée de Dieu dans notre temple, mais notre esprit est rempli d’images de Dieu. Quand nous parlons de Dieu, quand nous prions, des images de Dieu se dessinent. Et par image il faut aller au-delà de l’aspect artistique. Car tout discours sur Dieu développe des images qui ne sont peut-être pas anthropomorphiques, qui ne sont peut-être pas zoomorphiques, mais qui peuvent se rapporter à bien d’autres domaines de la vie. Dieu peut être imaginé comme un médecin parce qu’il guérit. Dieu peut être envisagé comme un guerrier qui mène nos combats, comme un juge qui punit et récompense etc.

Quand nous parlons de Dieu, quand nous parlons à Dieu, nous créons de nombreuses images de Dieu, sans nous en rendre forcément compte. Cela ne constitue pas un problème pour autant que nous ne sommes pas dupes de ces images. Le problème, ce serait de produire toutes ces images et de nous incliner devant elles et de les servir religieusement.

Produire des images de Dieu ne pose pas de problème si ces images sont à notre service et au service de Dieu. Quand ces images deviennent des images que l’on se met à servir, alors il y a, au sens strict du terme, une servitude qui est contraire à tout le mouvement du texte qui consiste à nous maintenir hors d’Égypte, hors de la maison de servitude et non à favoriser notre asservissement. Toutes ces images que nous produisons ne sont pas un problème tant qu’elles sont un moyen pour nous de découvrir Dieu par approximations successives. Comme un scientifique qui essaie de découvrir la vérité d’un aspect de la vie, le croyant émet des hypothèses sur Dieu et il les vérifie. Quand il constate que son hypothèse n’est pas vraie, il la corrige ou il l’abandonne et il passe à une autre hypothèse pour s’approcher un peu plus de la vérité de Dieu.

C’est ainsi qu’on travaillé les rédacteurs bibliques qui, au fil des siècles, ont amélioré la compréhension de Dieu en corrigeant ce que leurs prédécesseurs avaient imaginé et qui ne s’avérait pas tout à fait exact à l’usage. Nous le constatons sur cette question de la représentation de Dieu qui était monnaie courante dans le Proche Orient Ancien et même dans le bassin méditerranéen, et qui a été par la suite critiqué aussi bien par les Grecs (Xenophane [570-475], Fragments 168-169, sur la question des anthropomorphismes) que par les Hébreux. La critique est devenue nécessaire quand la recherche de la vérité s’est arrêtée et qu’on s’est contenté des résultats obtenus à un moment donné. Quand l’image a été prise pour la vérité, alors l’image est devenue une idole – c’est d’ailleurs ce mot grec qui est employé dans la traduction du verset biblique, eidolon signifiant image.

Quand une image est considérée comme une représentation du réel, une représentation exacte de la vérité, que cette image soit sculptée, peinte, ou que ce soit une image mentale, une idée, en quelque sorte, alors cette image devient une idole. On se met à la vénérer. On en devient l’esclave. On devient esclave de ce qui n’est qu’une expression de la vérité, de ce qui n’est qu’une approximation de la vérité.

  1. Dieu nous travaille en profondeur

Quand nous nous crispons sur une image de la vérité, c’est alors que Dieu intervient comme un pédagogue (attention à ne pas faire de Dieu un pédagogue pour autant). Dieu nous travaille en profondeur pour que nous ne devenions pas l’esclave d’une image fixe, d’une définition définitive, d’une théorie inscrite dans le marbre de la connaissance, ce qu’en théologie nous appelons un dogme. La doctrine, c’est le discours sur Dieu, un discours qui utilise des images que les théologiens essaient de renouveler en fonction des découvertes qu’ils font, au fur et à mesure de leurs recherches. Quand ils arrêtent leurs recherches et prennent une doctrine pour une vérité ultime, alors cela devient un dogme. Et c’est problématique.

Dieu intervient pour remédier à cela car si nous restons bloqués devant une image fixe, alors que la vie progresse, alors nous nous éloignons de plus en plus de la vérité en question. C’est alors que Dieu intervient. Là où le traducteur de la version Segond, comme bien d’autres, a traduit : « Dieu punit la faute des pères sur leurs fils », le texte hébreu déclare que « Dieu visite la faute des pères sur les fils ». Visiter, c’est bien autre chose que punir. Dieu vient à la rencontre de ceux qui haïssent Dieu, c’est-à-dire de ceux qui sont hostiles à la vérité que Dieu désigne, contrairement aux autres qui aiment Dieu en gardant ses commandements.

Dieu vient à la rencontre de ceux qui sont bloqués dans leur recherche de la vérité, ceux qui s’en tiennent à un état de la recherche et qui s’éloignent de plus en plus de ce que nous savons de la vérité au fur et à mesure que nous la mettons à jour. Dieu vient à notre rencontre lorsque nous nous barricadons dans des certitudes et que nous sacrifions notre esprit critique, notre intelligence et notre vie, à ces certitudes. Ces certitudes sont des idoles qui nous tiennent à distance de ce qu’est la vie. C’est tout le problème des intégristes qui veulent absolument que leurs certitudes soient la vérité universelle ultime auxquelles tout le monde devrait se soumettre. C’est tout le problème des intégristes qui veulent que leur vérité se transmette d’une manière identique de génération en génération. C’est le problème des intégristes qui veillent jalousement sur l’intégrité de ce qu’ils tiennent pour vrai et qui ne font qu’une chose : copier et recopier à l’identique ce qui s’est dit jusque là. À ceux là, Victor Hugo disait : « n’imitez rien, ni personne : un lion qui copie un lion devient un singe. »

Dieu n’est pas ce qui nous caresse dans le sens du poil pour nous éviter de devenir un singe. Dieu n’est pas ce qui nous fait plaisir. Dieu, c’est ce qui nous aide à ne pas devenir les esclaves des idoles, des images, des discours qu’on répète en toutes circonstances sans se demander s’ils sont encore pertinents. La mauvaise traduction du verset 5 est un bon exemple de cela. On aimerait un Dieu justicier, un Dieu qui punit les méchants et un Dieu qui récompense les justes. On aimerait aussi que les enfants des mauvaises gens soient eux aussi punis. Mais Dieu n’est pas un Dieu justicier ou un Dieu vengeur. Dieu n’est pas un tueur sur gages. Le texte biblique nous dit que Dieu est un Dieu jaloux (à ne pas confondre avec un Dieu envieux des autres). Que Dieu soit jaloux signifie qu’il veille jalousement sur les êtres humains, qu’il n’a pas du tout envie qu’un seul se perdre. Alors Dieu va à la rencontre de ceux qui ont de la peine à suivre les évolutions du monde pour les aider à changer leur regard sur la vie et pour développer leur foi, c’est-à-dire leur confiance dans la vision du monde que la Bible propose.

Quant à ceux dont la foi leur permet d’être libres, l’Éternel leur prodigue une miséricorde infinie pour les encourager dans leur voie, pour donner encore plus d’intensité à leur capacité d’aimer.

Tout cela nous aide à mieux comprendre le tout premier verset qui est, lui aussi, souvent mal traduit. Le texte ne dit pas : « tu n’auras pas d’autres dieux », mais « il n’y a pas, il n’y aura pas, pour toi, d’autres dieux devant mes faces ». Autrement dit il n’y a pas de plan B. Il n’y a pas des dieux plus ou moins sympa, il n’y a pas des dieux plus ou moins agréables, des dieux qui nous conviendraient mieux que d’autres. Que Dieu soit un, tel que cela est affirmé ici et dans quelques autres textes, fait partie de ces découvertes qui se sont faites au fur et à mesure. La pensée biblique n’a pas toujours été monothéiste. C’est une révélation progressive qui a eu lieu à ce sujet.

Il y a un Dieu, l’Éternel, et il n’y a pas d’alternative.

Ne pas se faire d’image de Dieu, c’est laisser à l’Éternel la possibilité de transcender nos représentations, nos idées toutes faites. Ne pas se faire d’image de l’Éternel, c’est éviter de devenir fanatique d’un dieu à notre mesure, c’est éviter de s’enfermer dans un dogmatisme aux allures d’Égypte, la maison de servitude. Ne pas se faire d’image de Dieu, c’est laisser à l’Éternel la liberté de nous surprendre et de rendre notre vie infiniment supérieure à nos rêves.

Amen


Texte d’Eva Nocquet sur la mission de l’Église dans le cadre de l’aumônerie pénitentiaire – une collecte était organisée en ce sens à la fin du culte.

Il y a dans les prisons, braves paroissiens,
des hommes qui, comme vous,
chaque matin se lèvent en remerciant leur Créateur.
Et chaque soir se couchent en lui confiant leurs soucis,
leurs proches, leurs ennemis, leurs ennuis…

 

Il y a dans les prisons
des hommes rongés par la culpabilité
qui découvrent le pardon
pour le pauvre pécheur qu’ils sont.
Et qui comme nous, braves paroissiens,
sont accueillis par grâce

 

Nous, les aumôniers,
ne pouvons que témoigner de cette grâce
qui, un jour, nous a touché, nous a ressuscité, nous a mis débout
Cette grâce inconditionnelle que nous avons accueillie,
que nous partageons, sans laquelle nous ne sommes rien.

 

Il y a dans les prisons
des hommes qui souffrent, qui se repentent, qui implorent pardon
Des hommes qui ont blessé, trahi, meurtri
Des hommes qui sont blessés, trahis, meurtris
Des hommes qui dépendent de l’accueil de Dieu,
qui se fient à lui, comme nous, braves paroissiens

 

Il y a dans les prisons des salauds,
Il y a dans les prisons des pervers,
Il y a dans les prisons des méchants,
… comme dehors aussi

 

Et il y a des solidarités fabuleuses
De l’attention au vulnérable, au déstabilisé, à l’éprouvé
Des partages loyaux, une entraide active
… comme dehors aussi.

 

Ne les jugez pas trop vite,
ceux qui sont passés par la prison
Ils ont payé leur infraction, leur crime, leur égarement,
leur dépendance au stupéfiants ou l’alcool,
Tout n’est pas réparable, certes,
mais si nous voulons guérir ensemble,
sortir de la spirale de mort, il faut laisser circuler la grâce d’abord.

 

Ne rajoutez pas une peine à la peine,
faites circuler la grâce dont vous bénéficiez aussi,
accueillez les parmi vous, braves paroissiens,
comme des pécheurs pardonnés… comme vous.
Ainsi nous rendons grâce à Dieu, ensemble.
A lui soit la gloire – Amen
Eva Nocquet

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