Un Dieu qui divise l’adversité et qui fait échapper à la haine


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Nombres 10/35-36

35 Et il arrivait qu’au départ de l’arche, Moïse disait: Lève-toi, Éternel! et que tes ennemis soient dispersés, et que ceux qui te haïssent s’enfuient devant toi! 36 Et quand elle se reposait, il disait: Reviens, Éternel, aux dix mille milliers d’Israël!

Chers frères et sœurs, toute une vie de prédicateur ne suffirait pas à traiter sérieusement le thème de l’utilité de Dieu. J’en ai esquissé un aspect la semaine dernière, j’aimerais faire un pas de plus aujourd’hui. Un pas de plus, c’est bien ce dont il est question dans ces deux versets assez anecdotiques, qui ne paient pas de mine, mais qui ont une importance considérable pour notre compréhension de ce qu’est la vie avec Dieu.

  1. Dieu nous permet de faire face à l’adversité

Intéressons-nous d’abord au contenu de ces versets pour y découvrir que Dieu nous permet de faire face à l’adversité. Le premier verset raconte le départ de l’arche et le deuxième verset raconte le retour de l’arche. Cette arche, c’est l’arche d’alliance qui sert de trône à l’Éternel et qui contient les tablettes sur lesquelles ont été gravées les dix paroles divines transmises au peuple après la sortie d’Égypte. C’est cette arche qui sera posée dans le temple, à Jérusalem, dans la partie la plus sainte : le saint des saints. C’est cette arche qui sera l’objet de la quête d’Indiana Jones dans le film Les aventuriers de l’arche perdue.

Le verset 35 qui décrit le départ de l’arche, mentionne que Moïse prit la parole pour ordonner à Dieu de se lever, ce qui est suivi par deux conséquences : d’une part les ennemis sont dispersés, d’autre part les haineux s’enfuient. Cela signifie que la mise en mouvement de Dieu a des conséquences sur les adversaires et sur les haineux. Convenons qu’il y a là, une autre utilité divine pour notre vie.

Cela rejoint ce qui est dit dans le psaume 23 lorsque le croyant exprime le fait qu’il est en mesure de se mettre à table, en face de ses adversaires. C’est l’expérience que la foi permet de ne pas craindre l’adversité. La foi permet de ne pas succomber à l’adversité et, comme cela est précisé dans le passage du livre des Nombres, la foi permet de ne pas succomber à la haine. Cela est loin d’être anecdotique, finalement.

Cette action divine me fait penser à l’attitude du philosophe René Descartes face aux problèmes, face aux grands problèmes. Dans la deuxième partie du Discours de la méthode (1637), Descartes expose les quatre règles pour agir, pour penser avec méthode. La première est de ne fonder son raisonnement que sur des évidences et non sur des probabilités. La deuxième règle est celle de la division des problèmes. La troisième règle est l’ordre, l’organisation de la pensée. Et la quatrième règle est le dénombrement, c’est-à-dire tenir compte de l’ensemble des paramètres.

C’est la deuxième règle, celle de la division, qui me semble faire écho à ce passage biblique. Pour Descartes, il s’agit de diviser chacune des difficultés auxquelles nous sommes confrontés en autant de parcelles qu’il se peut. En divisant les problèmes, ils deviennent plus faciles à résoudre. De même qu’il est plus facile de porter 100 fois 1 kg plutôt qu’une fois 100 kg, il est plus facile de faire face à plusieurs petits problèmes plutôt qu’à un seul gros problème.

Voilà ce que Dieu nous permet d’accomplir au quotidien : il divise l’adversité et, de surcroît, il fait fuir la haine. Cette règle de la division sera formulée Philippe de Macédoine, le père d’Alexandre le Grand, auquel on prête la formule « diviser et régner ». Certains diront : « diviser pour mieux régner ».

La parole de Dieu n’est pas faite d’un seul bloc, elle n’est pas monolithique. Elle se répartit en deux tables de pierres qui la distribuent en 10 paroles à tout le moins. Ces dix paroles permettent d’identifier la vie en ses multiples facettes, en différentes parcelles pour reprendre le terme de Descartes. La parole de Dieu nous enseigne à appréhender les sujets non pas seulement de manière globale, mais en identifiant les différentes parties, les différentes composantes.

Dieu, c’est ce qui nous permet d’appréhender la vie en ses multiples composantes, ce qui permet de ne pas être dans un état d’impuissance face à quelque chose qui nous semblerait trop grand, impénétrable, surdimensionné par rapport à nous.

Comme pour un projet d’ampleur qui sera mené à bien en étant réparti en plusieurs sous-projets et donc entre plusieurs personnes ou plusieurs équipes, chaque événement, chaque situation, chaque problème, chaque difficulté peut être divisé en problèmes plus modestes et donc plus facilement solubles.

Dieu ne règle pas les problèmes à notre place. Dieu relativise nos problèmes en nous permettant de diviser les problèmes en problèmes dimensionnées selon nos capacités.

  1. l’idéal nomade nous préserve de la haine

Intéressons-nous maintenant à la forme de ces versets en nous plongeons dans le texte hébreu. Ce texte contient une particularité qu’on ne retrouve nulle par ailleurs : il est encadré par deux lettres de l’alphabet hébreu qui sont écrites à l’envers. Ce sont deux fois la même lettre, « Noun », disons que c’est l’équivalent de notre « N ». Ces deux lettres à l’envers ne peuvent que susciter notre curiosité, ce qui fut le cas des rabbins, comme vous pouvez l’imaginer. Dans le Talmud, au traité Shabbat 115-116, cette question est abordée et, comme vous pouvez le supposer, elle apporte des réponses variées. La réponse de Rabbi Yehouda Hanassi est que ces signes nous enseignent que ce passage constitue un livre lui-même, ce qui est compris de deux manières différentes : soit ces versets doivent être considérés comme un livre à part entière, ce qui impliquerait que la Torah soit en fait composée de 7 livres et non de 5, puisque le livre des Nombres serait fractionné en trois livres ; soit ces versets donnent la règle de ce qui fait un livre, à savoir qu’un texte qui contient au moins 85 lettres, comme ces deux versets, peut être considéré comme un livre à part entière[1].

Une autre réponse est proposée : ces signes sont la trace de points qui étaient autrefois écrits sur chaque lettre de ce passage bibliques et qui ont été symbolisés par l’initiale du mot points « nequoudot » qui a été écrite à l’envers pour bien distinguer ce symbole des lettres du texte biblique. Pourquoi ces versets auraient-ils été agrémentés de points ? Pour dire que ce passage biblique n’est pas à sa place. Ce passage biblique ne serait pas à sa place.

C’est par ces détails que nous constatons que la forme de la Bible hébraïque est au service du contenu. En effet, ce passage biblique qui décrit le mouvement de l’arche est lui-même un texte en mouvement. C’est une manière de dire que ce texte est non seulement un texte qui fait la promotion du mouvement, mais aussi un texte qui est lui-même le mouvement. C’est un texte qui porte le nomadisme au sommet de sa réflexion en liant la résolution des problèmes et la gestion de la haine par le nomadisme, par le mouvement de l’Éternel.

Ici le nomadisme devient un idéal qui nous permet de ne pas succomber à l’adversité, ni à la haine. C’est la guerre de mouvement plutôt que la guerre de tranchée ou la ligne Maginot qui est recommandée, en quelque sorte. C’est la légèreté de David contre la pesanteur de Goliath.

Cela est particulièrement précieux pour ne pas succomber à la haine, car elle permet de repérer que la haine ne nous concerne pas. La haine ne concerne que ce qui est arrêté, ce qui est figé. Quand une parole haine nous est adressée, nous ne sommes déjà plus la personne dont parle cette haine. La haine s’enfuit des faces de l’Éternel parce que l’Éternel est en mouvement alors que la haine se développe chez ceux qui sont fichés en terre, ceux qui ne sont rassurés que parce qui est semblable, ce qui ne bouge pas, ce qui n’évolue pas. Les plus haineux sont les plus nostalgiques de la période de leur enfance et qui, d’une certaine manière, n’ont pas voulu grandir, n’ont pas voulu évoluer, n’ont pas voulu accueillir cette vérité fondamentale qui est que le vivant est dynamique, qu’il bouge, qu’il se métamorphose, ou alors ce n’est pas le vivant. Et cela vaut dans tous les domaines de la vie.

L’arche d’alliance, elle-même, est par nature nomade, non seulement parce qu’elle a été conçue pour être transportée, mais parce qu’il est stipulé que les barres qui sont juste glissées dans des anneaux, ne devront jamais être retirées. Même quand elle sera installée dans le temple de Jérusalem, l’arche devra conserver ses barres, pour être prête au départ. Cette disposition est tellement importante que c’est un des 613 commandements de la Bible hébraïque (Ex 25/15). Cela indique bien le caractère nomade de la vie voulue par Dieu puisque les tables sur lesquelles sont inscrites les paroles divines, sont déposées dans un coffre qui est, par essence, nomade. La parole de Dieu est par essence nomade, dynamique, mobile. Cette parole qui nous fonde fait donc de nous des êtres nomades, mobiles, jamais arrivés, jamais arrêtés, toujours en évolution, en réforme permanente.

Pour développer une image, nous pourrions dire que celui qui s’arrête, celui qui veut conserver tout à l’identique, est semblable à celui qui s’arrête sur un sable mouvant : il s’enfonce petit à petit jusqu’à cesser de vivre. En revanche, celui qui marche sur un sable mouvant ne périt pas ; il est en mesure de poursuivre sa route, de mener sa vie.

Quand nous nous arrêtons, nous risquons fort de nous enliser, de nous enfoncer totalement dans le marasme et de finir asphyxiés par les problèmes, par la haine qui font toujours du sur place.

D’un point de vue théologique, notre identité est cachée en Dieu (Col 3/3), donc elle est dynamique comme l’est Dieu. Par conséquent la haine ne peut que nous rater, car elle ne peut toucher qu’une image de nous, une image figée dans le passé. La haine ne peut pas nous toucher véritablement dans la mesure où notre identité, notre vie, est en mouvement avec Dieu, comme l’est l’arche d’alliance qui symbolise le dynamisme de Dieu.

Non, frères et sœurs, ce texte n’a rien d’anecdotique. Il dit l’importance de la théologie dans notre vie quotidienne. La théologie que nous adoptons impacte notre rapport à la vie, notre rapport à ce qui vient, notre rapport à ce que les autres veulent faire avec nous ou contre nous. Dieu change la vie en changeant notre regard sur les ressorts de la vie, sur les potentialités de la vie. Dieu change la vie en en changeant notre regard sur les difficultés, en nous permettant d’avoir un regard plus pénétrant qui identifie les mécanismes de la vie et, ainsi, ne pas être subjugué par l’énormité de ce qu’il y a à gérer. Dieu change la vie en relativisant les problèmes, en remettant les haineux à leur juste place, ce qui nous libère pour une vie autrement pleinement épanouie.

Amen

[1] Cela peut nourrir la réflexion sur les textes qu’il faut sauver en cas d’incendie… Cf. Marc-Alain Ouaknin, Le livre brûlé, dont je tire les éléments relatifs aux commentaires rabbiniques.

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