La résurrection, deux regards de théologiens

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Les débuts de la résurrection

Par James Woody

Daniel 12/1-3

1 En ce temps-là se dressera Michel, le grand Prince, lui qui se tient auprès des fils de ton peuple. Ce sera un temps d’angoisse tel qu’il n’en est pas advenu depuis qu’il existe une nation jusqu’à ce temps-là. En ce temps-là, ton peuple en réchappera, quiconque se trouvera inscrit dans le Livre. 2 Beaucoup de ceux qui dorment dans le sol poussiéreux se réveilleront, ceux-ci pour la vie éternelle, ceux-là pour l’opprobre, pour l’horreur éternelle. 3 Et les gens réfléchis resplendiront, comme la splendeur du firmament, eux qui ont rendu la multitude juste, comme les étoiles à tout jamais.


2 Maccabées 12/38-45

38 Ayant rallié son armée, Judas la conduisit à la ville d’Odollam; mais le septième jour de la semaine survenant, ils se purifièrent selon la coutume et célébrèrent le sabbat en ce lieu. 39 Le lendemain, on vint trouver Judas – au temps où la nécessité s’en imposait – pour relever les corps de ceux qui étaient tombés et les inhumer avec leurs proches dans le tombeau de leurs pères. 40 Or ils trouvèrent sous la tunique de chacun des morts des objets consacrés aux idoles de Jamnia, que la Loi interdit aux Juifs. Il fut ainsi évident pour tous que c’était là la raison pour laquelle ces soldats étaient tombés. 41 Tous donc, bénissant la conduite du Seigneur, juge équitable qui rend manifestes les choses cachées, 42 se mirent en prière en demandant que la faute commise fût entièrement effacée, et le valeureux Judas exhorta la troupe à se garder pure de tout péché, ayant sous les yeux ce qui était arrivé à cause de la faute de ceux qui étaient tombés peu avant. 43 Ayant fait une collecte par tête, il envoya jusqu’à deux mille drachmes à Jérusalem, afin qu’on offrît un sacrifice pour le péché, agissant fort bien et noblement dans la pensée de la résurrection. 44 Si, en effet, il n’avait pas espéré que les soldats tombés ressusciteraient, il eût été superflu et sot de prier pour des morts; 45 s’il envisageait qu’une très belle récompense est réservée à ceux qui s’endorment dans la piété, c’était là une pensée sainte et pieuse: voilà pourquoi il fit faire pour les morts ce sacrifice expiatoire, afin qu’ils fussent absous de leur péché.

Daniel 12/1-3 et 2 Maccabées 12/38-45 sont deux textes contemporains. Ce sont deux textes qui parlent d’Israël à des époques différentes, mais qui ont été composés au même moment, c’est-à-dire au IIè BCE, au temps d’Antiochus Épiphane (175-164). Dans les deux textes il est question de faire face à l’empire qui entend exercer une domination politique, culturelle, religieuse. Le livre des Maccabées est le moins connu car il ne fait pas partie de la Bible hébraïque, raison pour laquelle il n’est pas dans les éditions protestantes de la Bible. Le premier livre des Maccabées raconte la révolte juive contre la conquête entreprise par Alexandre (330 BCE) et 2 Maccabées raconte la révolte de Judas en réaction aux persécutions du roi Antiochus Épiphane. Cette guerre fit des milliers de morts. Son but était la libération du peuple.

Dans le Premier Testament, ces deux textes sont les deux seules véritables mentions de la résurrection telle qu’elle est classiquement envisagée, c’est-à-dire une mort physique suivie d’un réveil et d’un relèvement du défunt. À vrai dire, la Bible hébraïque est assez discrète sur la question de ce qui survient après la mort physique. Une fois elle fait parler un mort – le prophète Samuel – mais pour lui faire dire ce qu’il avait déjà dit de son vivant, autrement dit pour faire comprendre que les morts ne sont pas porteurs d’un message particulier.

Dans les deux passages que nous avons entendus, la résurrection et la vie après la mort sont évoquées comme des réalités tangibles, dans un contexte qui est le même : la guerre contre une force d’occupation, une guerre pour laquelle on veut mobiliser fortement alors que les morts s’accumulent, ce qui auraient de quoi décourager les plus téméraires.

Je m’interroge pour savoir si ces deux textes ne seraient pas témoins d’une propagande qui consiste à développer la thématique de la résurrection pour rassurer les familles et pour encourager les futurs combattants à s’engager dans la bataille. N’y aurait-il pas là une promesse gratuite, qui n’engagerait que ceux qui y croient, pour favoriser l’enrôlement. Les promesses sur l’après-mort, qu’il s’agisse du paradis ou d’autres plaisirs à venir, est manifestement un ressort efficace pour passer outre l’effroi que la mort constitue aux yeux de toute personne susceptible de s’engager dans une cause armée.

Développer le principe de la résurrection pour encourager la conscription, peut-être le martyr. La résurrection comme lot de consolation pour peser sur le comportement, pour inciter à agir dans un sens. La résurrection non comme libération de la mort, mais comme coercition en vue de la mort.

La résurrection est pour ainsi dire inexistante dans la Bible hébraïque, selon la forme commune qu’on lui connaît. Cela peut nous interroger sur cette forme classique, sur ce que la résurrection telle qu’elle a été développée dans le christianisme peut bien signifier. Nous nous interrogerons dans quelques instants avec deux enseignants de la faculté de théologie.

Revenons à ce que la Bible hébraïque exprime au sujet de la mort, à savoir très peu de chose. Quand on pense à la civilisation voisine de l’Égypte, on ne peut être que saisi par l’écart immense entre l’Égypte qui est hantée par la mort, qui développe des rituels, des mythes, des monuments funéraires grandioses qu’il est encore possible de visiter, d’une part, et entre Israël qui est attirée par la vie comme le moustique est attiré par la lumière. C’est la vie qui attire Israël, c’est la vie qui anime Israël. Les prophètes secouent les souverains et le peuple dès que la vie est malmenée, à commencer prioritairement pour ce qui concerne les plus faibles : la veuve, l’orphelin et le résident étranger. Les rédacteurs bibliques font si peu cas de la mort que le plus grand des prophètes, Moïse, sera enterré par Dieu dans un lieu que nul ne connaît, contrairement aux pharaons qui seront déposés dans des pyramides avec le faste que nous avons découvert par l’archéologie.

Les textes bibliques dévoilent un Dieu qui est le Dieu des vivants, comme le dira l’évangéliste Matthieu au sujet du Dieu d’Abraham, du Dieu d’Isaac et du Dieu de Jacob (Mt 22/31) pour aborder la question de la résurrection. Et, pour en rester à la Bible hébraïque, la Pâque juive qui célèbre la sortie d’Égypte en Exode 13 et l’entrée en terre promise, en Josué 5, a lieu à l’amorce du printemps, cette saison qui rend visible qu’il y a bien des situations où la nature qui semblait comme morte reprend vie. Cette synchronicité du printemps et de la Pâque nous invite à observer l’histoire de l’humanité à la lumière de ces réveils possibles de l’humanité, de ces relèvements individuels et collectifs qu’on ne pensait plus possible. Dans cette épopée de l’Exode, Dieu se révèle comme celui qui libère avant la mort.

Au regard de cette puissance de résurrection à l’œuvre dans la nature et que les rédacteurs bibliques constateront également dans l’histoire humaine, il me semble possible de comprendre les deux passages de Daniel et des Maccabées comme des commentaires visant à ressusciter l’enthousiasme et l’espérance d’une population qui avait de quoi sombrer dans un certain fatalisme.

La question qui se pose à chacun de nous est de savoir jusqu’à quel point, jusqu’à quel moment il est possible de considérer qu’un mouvement de l’histoire correspond à ce que nous appelons la résurrection. Jusqu’à quel point est-il possible d’attribuer à Dieu la cause, la responsabilité, d’un phénomène historique ? C’est là que notre responsabilité d’interprétation intervient. C’est pourquoi il importe de s’interroger personnellement sur ce que signifie la résurrection.

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