Dieu est-il utile ?


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Jude 20-25

20 Pour vous, bien-aimés, vous édifiant vous-mêmes sur votre très sainte foi, et priant par le Saint -Esprit, 21 maintenez -vous dans l’amour de Dieu, en attendant la miséricorde de notre Seigneur Jésus -Christ pour la vie éternelle. 22 Reprenez les uns, ceux qui contestent; 23 sauvez -en d’autres en les arrachant du feu; et pour d’autres encore, ayez une pitié mêlée de crainte, haïssant jusqu’à la tunique souillée par la chair. 24 Or, à celui qui peut vous préserver de toute chute et vous faire paraître devant sa gloire irrépréhensibles et dans l’allégresse, 25 à Dieu seul, notre Sauveur, par Jésus -Christ notre Seigneur, soient gloire, majesté, force et puissance, dès avant tous les temps, et maintenant, et dans tous les siècles ! Amen !

Chers frères et sœurs, Pierre-Simon Laplace rédigea son Traité de mécanique céleste entre 1798 à 1825 –  cinq volumes qui complètent la mécanique newtonienne. Napoléon lui faisant remarquer qu’il n’y était fait nulle part mention de Dieu, Laplace lui aurait répondu : « Je n’ai pas eu besoin de cette hypothèse »[1].

Cette réponse de Laplace n’est pas la réponse d’un athée, mais d’un scientifique qui constate qu’il n’est pas nécessaire de se rapporter à Dieu pour expliquer le fonctionnement de l’univers. Cette réponse est intéressante car elle nous met en demeure, nous croyants, de nous interroger sur la place de Dieu dans notre monde, dans notre vie et, pour l’exprimer de manière aussi directe que possible, la réflexion de Laplace nous invite à nous demander si Dieu est utile ou non.

  1. l’utilité, un concept évangélique ?

Se demander si Dieu est utile pourrait sembler grotesque voire blasphématoire. L’utilité, c’est bon pour les choses, pas pour les personnes, encore moins pour Dieu. Toutefois, le sentiment d’inutilité est bien présent dans l’esprit de personnes qui n’en peuvent plus de vivre avec l’impression d’être inutile, c’est-à-dire d’avoir une vie qui n’a plus vraiment de sens. Avoir le sentiment d’être un poids pour la famille, pour les amis, pour la société – un poids mort en quelque sorte, qui ne sert à rien, qui ne produit rien.

Penser l’utilité de Dieu, c’est penser l’utilité de l’être humain, c’est penser notre utilité personnelle. Car si l’hypothèse Dieu n’est pas utile pour décrire le fonctionnement de l’univers, l’hypothèse « être humain » n’est pas plus nécessaire. La Terre tournerait tout aussi bien sans nous et, à la limite, elle ne se porterait pas plus mal en notre absence.

Penser l’utilité de Dieu, c’est penser notre utilité d’une manière absolue, ce qui est toujours précieux en prévision des moments difficiles, lorsque nous aurons le sentiment que notre existence est remise en cause, qu’elle est ébranlée dans ses fondements et que nous ne savons plus très bien ce que nous faisons là, pourquoi nous sommes sur cette terre.

J’irai plus loin sur cette question de l’utilité en faisant une petite escapade du côté de l’utilitarisme, cet aspect de la philosophie développé par Jeremy Bentham, un auteur à cheval sur les XVIIIè et XIXè. Le concept d’utilité peut nous sembler on ne peut plus contraire à notre religion, puisque la grâce est gratuite, sans espoir de retour sur investissement. Cependant, l’utilité est à distinguer du profit. L’utilité est plutôt à observer du côté de l’efficacité et, plus précisément encore, du côté de la finalité. Je dirais que l’utilité est une manière de parler des conséquences de nos choix, de nos paroles, de nos actes. À la suite du philosophe David Hume, nous pourrions convenir que l’utilité désigne ce « qui conduit à la fin qu’on s’est proposée ». Autrement dit, l’utilité exprime ce qui atteint ses objectifs.

Quand on se souvient que le péché, dans la Bible, désigne la distance entre ce que nous visons, et ce que nous atteignons, nous pouvons nous dire que l’utilité, de ce point de vue, désigne ce qui ne tombe pas sous le coup du péché, mais bien de la grâce – de la grâce efficace, de la grâce qui produit ses effets, de la grâce qui transforme les situations marquées par le péché en situations marquée par l’espérance de Dieu. Pour sa part, l’apôtre Paul écrira que tout m’est permis, mais tout n’est pas utile (1 Co 6/12 ; 10/23) parce que tout ne concourt pas au bien que Dieu désigne, tout n’édifie pas, pour reprendre le terme de Paul.

Au passage, cela nous permet de distinguer l’utilité de l’intérêt qui, lui peut être contraire à la grâce. En effet, l’intérêt cherche le gain personnel – c’est ce que j’ai appelé le profit il y a un instant, alors que l’utilité peut avoir une perspective universelle, comme la grâce. C’est ce qui fera dire à Jeremy Bentham que l’utilité « est le principe du plus grand bonheur pour le plus grand nombre »[2]

  1. Dieu édifie

Ce détour par l’utilité nous permet d’apercevoir plus facilement l’utilité de Dieu et nous permet de mieux comprendre l’objet de ce passage biblique. Jude écrit pour s’opposer à des impies qui défigurent la grâce divine. Jude écrit pour corriger la compréhension que ses lecteurs ont de la grâce divine. Et l’exhortation finale et l’aboutissement de cette correction : ici, Jude exprime ce qu’est, selon lui, la grâce de Dieu et, ce faisant, quelle est l’utilité de Dieu. Je résumerai cette utilité par le terme employé au verset 20, à savoir le verbe édifier. Dieu est utile pour édifier. Jude nous demande de nous édifier sur notre très sainte foi, parce que c’est Dieu nous permet de construire, d’élever notre maison intérieure pour être au plus proche du terme grec epoikodomeo. L’utilité de Dieu réside dans la possibilité d’édifier notre temple personnel et nous allons maintenant examiner de quelles manières cela se réalise.

2a l’amour divin

Le premier aspect, l’amour divin, est assez banal, mais c’est pourtant la réalité la plus importante qu’il nous soit donné d’éprouver et qui donne à notre être sa véritable consistance. L’amour divin est la plus grande manifestation de la grâce divine qui soit. L’amour divin est malheureusement assimilé à bien des aspects insignifiants de l’amour dont il est question dans notre vie quotidienne et qui n’ont rien à voir avec cet amour qui prend sa source en Dieu. L’amour de Dieu est véritablement l’incarnation la plus parfaite de la grâce, qu’il nous est donné d’accueil. Se savoir considéré même quand notre entourage nous déconsidère. Avoir du prix aux yeux de Dieu quand nous sommes devenus transparents aux yeux de la société des hommes ou haïs par certains. Ressentir la présence de Dieu quand on se sent seul au monde. Voilà l’utilité de l’amour de Dieu. Voilà l’utilité de Dieu.

Ces propos vous sembleront peut-être abstraits ou sans rapport avec la réalité. La présence de Dieu, n’est-ce pas une belle formule pour se consoler de la solitude, mais qui n’a aucune réalité ? Je reprendrai le témoignage du pasteur Martin Luther King Jr[3]. Il raconte ce moment où il s’apprête à se coucher après une journée particulièrement harassante. Le téléphone sonne et « une voix en colère dit : “Écoute, nègre, nous en avons assez de toi. Avant la semaine prochaine, tu regretteras d’être venu à Montgomery.” » La crainte le saisit et il reconnaît être prêt à tout abandonner et à essayer de trouver un moyen de disparaître sans passer pour un lâche. Il continue son récit ainsi : « Dans cet état d’épuisement, alors que mon courage était presque entièrement perdu, je décidai de remettre mon problème à Dieu. La tête dans les mains, je m’inclinai sur la table de la cuisine et je priai à haute voix. Ce que je dis à Dieu cette nuit-là est encore vivant dans ma mémoire : “je me suis dressé ici pour ce que je crois juste. Mais maintenant j’ai peur. Les gens se tournent vers moi pour être guidés et si je vais devant eux sans force et sans courage, eux aussi chancelleront. Je suis au bout de mes forces. Il ne me reste rien. J’en suis venu au point où seul je ne puis plus faire face.”

À ce moment même [continue le pasteur King], j’eus conscience de la présence divine comme jamais auparavant. C’était comme si je pouvais entendre la tranquille assurance d’une voix intérieure : “Debout pour la justice. Debout pour la vérité. Dieu sera toujours à tes côtés.” Presque aussitôt mes craintes commencèrent à me quitter. Mon incertitude disparut. J’étais prêt à tout affronter. La situation extérieur n’avait pas changé, mais Dieu m’avais donné le calme intérieur. »

Voilà l’utilité de Dieu : la persistance d’un amour inconditionnel qui nous évite le péché qu’est le désespoir.

2b Dieu nous sauve de nous-mêmes

Et de cela découle une deuxième utilité : Dieu, c’est ce qui nous sauve de nous-mêmes. Comme le dit le pasteur King, Dieu ne change pas les conditions extérieures. Dieu n’intervient pas sur la mécanique de l’univers. Dieu n’est pas doté de pouvoirs qui iraient à l’encontre des lois de la nature. En revanche Dieu peut nous changer. Dieu peut nous sauver de nous-mêmes. Dieu peut nous sauver de notre inclination au désespoir, il peut nous sauver de notre orgueil, de nos suffisances ; il peut nous sauver de toutes ces situations où notre vie brûle de n’être pas une belle vie, de n’être pas une vie bonne, de ne pas être cette vie empreinte du bonheur dont parlait le philosophe Bentham.

Quand Jude exhorte à avoir pitié de ceux qui hésitent, il demande qu’on les arrache du feu – qu’on les arrache de ce feu dévorant qui consume les jours sans offrir la moindre satisfaction, mais de l’amertume en abondance. Dieu est utile pour que nous ayons conscience de ces situations invivables auxquelles nous nous résignons parfois, souvent, parce que nous sommes un brin fatalistes par nature.

Dieu est utile parce qu’il nous sauve de notre nature fataliste, il nous sauve de notre inclination à nous soumettre au pouvoir du plus fort ou du mieux disant. Dieu nous sauve de notre penchant à préférer la facilité à la justice et de notre capacité innée à perdre de vue les sujets importants, ce qui est véritablement sacré, au profit des réalités secondaires, de ce qui est superficiel.

En rappelant que la gloire, la grandeur, la force et l’autorité sont à Dieu, Jude nous retient d’admirer tout homme, tout groupe humain qui voudrait incarner ces caractéristiques divines et il nous rappelle l’utilité de Dieu : en étant gloire, grandeur, force et autorité, Dieu est pour nous un facteur d’exigence. Dieu désigne l’impérieuse exigence de ne pas laisser notre vie s’affaisser, s’effondrer. Dieu désigne cette possibilité d’œuvrer contre l’anéantissement, de tenir contre le découragement, tout ce que Jude résume par la formule : « celui qui peut vous préserver de toute chute ». Dieu est utile parce qu’il ne permettra pas que notre pied chancelle (Psaume 91) ni que notre main tremble, quand il s’agit de faire face à l’avenir, quand il s’agit d’orienter notre histoire. L’Évangile, ce n’est pas uniquement une palette de belles couleurs pour égayer notre vie ; l’Évangile, c’est la proclamation que Dieu est utile et, par conséquent, que notre vie est utile, que nous sommes nous-mêmes utiles dans ce monde, que notre présence compte, que notre voix compte, qu’elle est déterminante pour le cours des événements.

Amen

[1] Anecdote rapportée par François Arago.

[2] Fragments sur le gouvernement, 1776.

[3] Martin Luther KING Jr, La force d’aimer, Empreinte, 2013 p. 197-198.

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