Noël : la métamorphose

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Luc 2/1-7

1 En ce temps-là parut un édit de César Auguste, ordonnant un recensement de toute la terre. 2 Ce premier recensement eut lieu pendant que Quirinius était gouverneur de Syrie. 3 Tous allaient se faire inscrire, chacun dans sa ville. 4 Joseph aussi monta de la Galilée, de la ville de Nazareth, pour se rendre en Judée, dans la ville de David, appelée Bethléhem, parce qu ‘il était de la maison et de la famille de David, 5 afin de se faire inscrire avec Marie, sa fiancée, qui était enceinte. 6 Pendant qu’ils étaient là, le temps où Marie devait accoucher arriva, 7 et elle enfanta son fils premier-né. Elle l ’emmaillota, et le coucha dans une crèche, parce qu ‘il n’y avait pas de place pour eux dans l’hôtellerie.

Chers frères et sœurs, il n’y avait donc pas de place pour le Messie. Il n’est pas à proprement parler question d’hôtellerie dans l’évangile de Luc, mais plutôt d’une pièce, la kataluma[1] en grec, probablement chez l’habitant, qui doit être quelqu’un de la famille de Joseph puisque Joseph est originaire de Bethléem. La pièce manquante est probablement déjà occupée par d’autres membres de la famille qui sont venus, eux-aussi, pour se faire recenser, ou pour une autre raison.

Toujours est-il qu’il n’y a pas de place pour le jeune couple en conséquence de quoi Marie va accoucher ailleurs. Elle va accoucher ailleurs que là où le couple aurait dû s’installer. C’est sur ce point que s’achève ce premier épisode de Noël selon l’évangéliste Luc. Jésus est placé dans une mangeoire parce qu’il n’y avait pas de place pour sa famille dans la kataluma, la pièce qui était prévue. L’évangéliste Luc nous invite à découvrir de quelle manière Noël opère une métamorphose de la vie, une métamorphose de notre monde. Et j’aimerais redécouvrir l’esprit de Noël qui règne dans ce passage de l’évangile selon Luc à partir d’une phrase de l’apôtre Paul dans sa lettre aux Romains (4/17) lorsqu’il écrit : « Dieu appel à l’existence ce qui n’existe pas. »

  1. métamorphose des lieux : donner un nouveau sens aux lieux

En mettant au monde Jésus ailleurs que dans le lieu où cela aurait dû se passer, Luc présente Noël comme la capacité que nous avons de métamorphoser les lieux et de les rendre habitables. A priori, Marie accouche dans un lieu qui n’était pas destiné à cela. Mais qu’importe. Doit-on sacraliser les lieux ? Doit-on déterminer un lieu à n’avoir qu’une seule utilité ? Devons-nous avoir des architectures monotones qui ne servent qu’à une seule chose ?

Ce n’est pas ainsi que les textes bibliques ont compris le rapport que nous pourrions entretenir avec les lieux. Ici comme en d’autres endroits, les lieux connaissent une subversion car, ce sont les lieux qui sont fait pour les personnes et non les personnes qui sont faites pour les lieux. Il n’y avait pas de place pour Joseph et Marie alors Dieu a appelé à l’existence ce qui n’existait pas. Il a excité l’intelligence de Joseph et Marie pour qu’ils s’adaptent à cet imprévu et qu’ils créent un nouvel espace, une nouvelle façon d’habiter la terre. Certainement y a-t-il des lieux plus adaptés que d’autres pour certains aspects de la vie, mais ce qui compte, c’est de ne jamais se bloquer au prétexte qu’un lieu aurait une fonction particulière et une seule.

Et je me plais à penser que, parfois, Noël surgit même dans les préfectures et que le préfet devient l’artisan de Noël en réquisitionnant des lieux pour y loger des personnes qui sont sans hébergement. Oui, il y a là une métamorphose possible : l’administration centrale qui convoque chacun pour le recensement ou quelqu’un qui représente l’administration centrale – dont on se dit qu’il est enfermé dans une posture administrative qui fait passer l’humain par les fourches caudines des lois de la République – peut être l’artisan de l’évangile et de la métamorphose en réquisitionnant des lieux pour que la vie l’emporte malgré tout.

Dans le domaine domestique, cette possibilité de la métamorphose nous la connaissons bien avec les fameuses pièces à vivre de certains logements qui sont tout à la fois salon, salle à manger, bureau, pièce pour jouer, pour lire, repriser, apprendre, regarder une émission etc. Tout se redéfinit au gré des besoins. Il n’y a pas d’espace sacré au sens de lieux qui ne devraient pas être employés à une autre tâche que celle pour laquelle il a été destiné au départ.

La liberté humaine consiste justement à pouvoir redéfinir le sens des lieux et à les employer en fonction des besoins nouveaux ou des désirs qui émergent. C’est vrai pour un lieu de culte, c’est vrai pour une pièce domestique, c’est vrai pour un établissement public. C’est vrai aussi pour une institution. Dans chaque circonstance, notre foi nous permet d’appeler à l’existence ce qui n’existe pas encore.

Noël nous révèle la grande liberté que nous avons à l’égard des lieux, des espaces, qui sont au service de la vie, qui sont au service de nos projets, qui sont au service d’une existence plus spirituelle.

  1. métamorphose des ustensiles : donner un nouveau sens aux choses, aux personnes

Cet aspect immobilier trouve d’autres prolongements et elle peut être généralisée. En métamorphosant un lieu en un autre lieu, Noël nous révèle qu’il est possible de faire advenir du neuf dans notre histoire. Une salle d’accouchement n’existait pas, et la voici qui surgit.

Cet aspect de Dieu est fondamental pour bien comprendre ce qu’est la foi chrétienne et ce que signifie Noël pour tout un chacun, qu’il soit croyant ou non : Dieu signifie la possibilité de faire surgir dans notre histoire ce qui n’est pas encore. Cela indique que la vie n’est pas un vaste sens giratoire, une grande boucle qui nous ferait retourner inexorablement au même point.

Notre histoire est susceptible d’évoluer. Nous-mêmes nous sommes susceptibles de changer et des aspects bien ancrés de notre personnalité peuvent faire place à de la nouveauté. Ainsi, une mangeoire peut devenir un berceau. Une mangeoire peut se métamorphoser et permettre à la vie d’advenir dans de meilleures conditions.

Mais cette mangeoire offre matière à penser plus encore. En effet, elle est certainement ici pour expliquer que Jésus est une nourriture, que Jésus va nourrir les personnes qu’il va rencontrer et que, nous-mêmes, nous pouvons nous nourrir de la personne de Jésus pour accroître notre capacité à avancer dans la vie. Il est possible de se nourrir de Jésus pour faire grandir notre humanité et notre fraternité avec les autres. Cette mise de Jésus dans la mangeoire, c’est une manière de faire advenir une nouvelle destinée pour Jésus qui ne sera pas seulement un petit enfant, mais aussi le pain de vie qui nait à Bethléem, en hébreu la maison du pain, et qui sera la nourriture du monde, lui qui est placé dans une mangeoire à sa naissance. Jésus ne vient pas au monde uniquement pour profiter de la vie, mais aussi pour servir la vie, pour la rendre plus savoureuse, plus gourmande.

Jésus incarne de nouvelles possibilités de vivre que Dieu injecte dans notre histoire : Dieu injecte de l’altérité, Dieu injecte autre chose que ce que nous avions jusque là. Dieu appelle à l’existence ce qui n’existe pas encore. Jésus est ce supplément de vie qui ajoute de la vie à notre propre vie. La mangeoire transformée en berceau est une image qui ouvre nos yeux sur la possibilité d’accueillir de la nouveauté et nous en nourrir. Ce n’est pas autre chose que le sens de l’éducation qui consiste à se nourrir de nouveaux savoirs, ce qui hissera notre existence à un niveau supérieur, ce qui lui permettra d’atteindre une nouvelle qualité. L’éducation est une manière appeler à l’existence ce qui n’existe pas encore.

  1. La grâce surabonde

Il n’y avait plus de place pour le Christ dans l’ordinaire de notre vie. Dieu appelle à l’existence ce qui n’existe pas encore en métamorphosant la partie consacrée aux bêtes en maternité. Il n’y avait pas de berceau dans la maison. Dieu appelle à l’existence ce qui n’existe pas encore en métamorphosant la mangeoire en berceau, ce qu’on appellera une crèche. Et cette mangeoire devient le berceau de l’humanité : cette mangeoire révèle le Dieu de Jésus-Christ qui appelle à l’existence ce qui n’existe pas encore. Noël, c’est la grâce qui surabonde. La grâce divine surabonde par delà nos insuffisances, par delà nos impossibilités, nos étroitesses, nos impréparations et nos manquements. Noël c’est la belle histoire de l’amour inconditionnel qui n’est pas mis en échec par les circonstances malheureuses de la vie. Certes, l’amour peut être contrarié. Certes, l’amour peut être empêché. Mais Noël révèle la capacité de l’amour à frayer son chemin en débordant par delà les obstacles, en métamorphosant les contraintes, en donnant un sens nouveau à ce que nous avons à notre disposition, parce que Dieu appelle à l’existence ce qui n’existe pas.

Noël, c’est la grâce divine qui fait droit à la vie et qui ne s’intéresse qu’à cela. La grâce surabonde par delà les obligations, par delà les contraintes.

Il y a deux obligations auxquelles Marie et Joseph ne peuvent pas se soustraire, dans ce texte. D’une part il y a le recensement décrété par César Auguste qui veut faire la liste de tous les habitants de la terre. Tous allaient se faire recenser, précise Luc (v. 3). Tous sans exception : c’est un devoir auquel on ne peut pas échapper. C’est la contrainte politique.

L’autre obligation concerne le terme de la grossesse : pendant qu’ils étaient à Bethléem, le temps où Marie devait accoucher arriva (v. 6). Cette fois, c’est la contrainte de la nature à laquelle on ne peut pas échapper. C’est inévitable.

L’histoire déborde largement du cadre politique puisque les deux personnages qui se sont fait recenser deviennent trois. L’histoire déborde aussi du cadre naturel puisque le petit d’homme est du côté du monde animal et qu’il est placé dans le lieu habituel pour le fourrage, ce qui indique qu’il s’inscrit dans le domaine de l’ensemble du vivant. La grâce surabonde par delà les contraintes et elle les métamorphose en points d’appuis pour la suite de l’histoire. La contrainte politique et la contrainte naturelle deviennent des moyens de donner une destinée à un jeune enfant semble à tous les enfants, partageant la même condition que tous les enfants du monde, n’ayant aucun privilège particulier.

Mais en répondant à l’appel de Dieu qui appelle à l’existence ce qui n’existe pas, les parents de Jésus ont métamorphosé une naissance somme toute assez banale en événement qui révèle qu’il est possible de créer un monde profondément humain où nous ne sommes pas un numéro sur une liste, mais un être libre, un monde profondément humain où nous ne vivons pas cloisonnés par règne, par ordre, par espèce. Noël métamorphose nos classifications pour donner une perspective humaine à un environnement si souvent inhumain.

Amen

 

[1] Il est fort probable qu’il y ait un lien à faire avec la kataluma dans laquelle Saül va se rendre en 1 S 9 pour y consommer le repas après lequel il sera oint messie.

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