Brandir des serpents pour soigner

Durant son long voyage en direction de la terre promise, le peuple hébreu est attaqué par des serpents venimeux. Le livre des Nombres, au chapitre 21, raconte comment Moïse suivit les consignes divines pour mettre en place un stratagème capable de sauver les Hébreux des morsures fatales : il fit un serpent en bronze, qu’il fixa sur une perche. Pour être sauvé, il suffisait de regarder en direction de ce serpent brandi bien haut.

J’aime bien cette façon de guérir. Le seul problème c’est que ça ne fonctionne pas. Ce n’est pas de la mauvaise volonté de la part des médecins, mais brandir le virus de la grippe, du SIDA, le bacille de Koch ou le coronavirus au bout d’une perche, cela ne soigne pas les maladies en questions. Brandir la peste ou le choléra ça ne soigne pas. Brandir la bêtise, en revanche…

Le fait d’élever des serpents, symbole de la science, ce n’est pas de la médecine, c’est de l’éducation. Montrer clairement quelque chose, c’est de la communication, c’est pédagogique, c’est éducatif, pas médical. Pourquoi communiquer ? Pour faire comme Moïse au désert : pour soigner. Pour soigner des poisons lorsqu’ils  ne sont pas des substances physiques, mais des mots, des paroles, des phrases, des idées qui blessent, qui mettent à mort.

Sébastien Bourdon, Moïse et le serpent d’airain, 1654.

Brandir des serpents, c’est dire très haut, très fort, la vérité. C’est dire les faits dans toute leur clarté. Seule la vérité peut prémunir des poisons qui sont susceptibles de se répandre dans les esprits et dans les cœurs. Si quelqu’un veut faire avaler des couleuvres à un autre, mais que vous brandissiez bien haut des serpents, alors celui-là sera sauvé parce qu’il saura ce qui lui arrive et il sera en mesure de réagir en conséquence. Brandir des serpents (qui sont une métaphore du mal qui nous accable), c’est garder présent à l’esprit que ce qui est salutaire est de privilégier l’enseignement aussi bien des disciplines classiques que des humanités qui nous permettent d’apprendre les ressorts de la psychologie humaine, les mécanismes à l’œuvre dans les relations humaines.

À titre d’exemple nous avons un besoin impérieux de relire Shakespeare et d’y entendre à nouveaux frais l’interrogation existentielle qui a fait la notoriété de Hamlet : « To be or not to be ». Elle a souvent été comprise comme une hésitation entre vivre et ne plus vivre, vivre ou se suicider. Au regard du début de la pièce, lorsque Hamlet discute avec sa mère sur la question du « semblant », il apparaît qu’il ne s’agit pas tant de choisir entre être et ne pas exister, mais entre être et sembler, faire semblant. Être ce qu’il y a de plus profond en soi (le deuil dans le cas de Hamlet) ou ne pas être cela, faire semblant et prendre les habits, le costume, le masque du vengeur que l’entourage attend – ce qui revient à endosser un rôle de composition, devenir acteur d’une vie qui n’est pas la nôtre ?

Nous avons besoin de relire les textes bibliques qui fixent par écrit les grandes expériences humaines en révélant les mécanismes qui grandissent l’humanité ou, au contraire, qui la dégradent, ce qui est divin, ce qui est odieux.

La caricature comme pédagogie salutaire

Brandir les caricatures est un impératif catégorique. Par exemple, lorsqu’un pouvoir  s’institue comme un pouvoir absolu, alors que toute responsabilité devrait être envisagée dans un esprit de service, il devient une caricature. Il faut alors le brandir pour s’en prémunir. Ce qui se hisse au rang de sacré à la place de Dieu, est une caricature. Il faut alors le brandir pour s’en préserver. La liberté d’exprimer des convictions ne doit connaître aucune réserve, aucune censure, sous peine de s’aliéner au pouvoir du plus fort, du plus nombreux. Dans le domaine religieux, c’est la laïcité qui garantit cette liberté.

Au nom du sacerdoce universel, nous serions mal inspirés de laisser à quelques uns le soin de porter en dérision ce qui s’estime de droit divin ou ce qui perd le sens de l’humilité et devient tyrannique. Nous ne sommes pas tous doués de la même manière, certains ont un talent particulier pour croquer les défauts à corriger d’un trait de crayon, d’autres d’un trait de plume, d’autres encore par des harmoniques ou des mots qui soulignent ce qui pose problème, ce qui aliène, ce qui abaisse notre humanité. Brandir des objets culturels, porter haut des exigences en matière d’éducation, éveiller les consciences, ouvrir les yeux, dévoiler les forces à l’œuvre dans notre histoire, est indispensable pour nous arracher à toutes les formes d’obscurantisme.

La culture met en lumière ce qui nous emprisonne et ce qui nous libère. Elle lutte contre l’ignorance en dispensant largement la connaissance.

 

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