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Culte de Noël 2020 célébré au temple de la rue de Maguelone (Montpellier)
Luc 2/1-7
En ce temps-là parut un édit de César Auguste, ordonnant un recensement de toute la terre. Ce premier recensement eut lieu pendant que Quirinius était gouverneur de Syrie. Tous allaient se faire inscrire, chacun dans sa ville.Joseph aussi monta de la Galilée, de la ville de Nazareth, pour se rendre en Judée, dans la ville de David, appelée Bethléhem, parce qu’il était de la maison et de la famille de David,afin de se faire inscrire avec Marie, sa fiancée, qui était enceinte. Pendant qu’ils étaient là, le temps où Marie devait accoucher arriva, et elle enfanta son fils premier-né. Elle l’emmaillota, et le coucha dans une mangeoire, parce qu’il n’y avait pas de place pour eux dans l’hôtellerie.
Chers frères et sœurs, si nous sommes ici, c’est bien parce que nous espérons, une fois de plus, qu’il se passe quelque chose dans notre vie. Nous attendons qu’il y ait une sorte de surgissement, une sorte de rupture avec ce que nous vivons depuis des semaines et des mois. Noël, n’est-ce pas le surgissement de quelque chose qui change la donne, véritablement ? Seulement voilà, les versets de Luc que nous avons lus disent que Noël, ce n’est qu’un enfant qui nait. Ce qui se passe à Noël est manifestement bien faible pour changer le monde. Que peut bien faire un nouveau-né ? Un nouveau-né ne peut rien au sens où il n’a aucune force, aucune intelligence pour mettre en place des stratégies capables de rendre le monde infiniment bon ou, du moins, assez supportable. Le nouveau-né n’a aucun pouvoir pour contraindre qui que ce soit à faire quoi que ce soit. Alors, Noël peut-il nous sauver du coronavirus et de ses mutations ? Noël peut-il vraiment nous sauver de la crise économique, de la morosité ambiante et de la lassitude qui gagne même les bonnes âmes ?
Oui ! Bien sûr mes amis. Non seulement Noël peut nous sauver aujourd’hui, mais c’est précisément de Noël dont nous avons besoin pour ressusciter, pour nous sortir de cette nasse dans laquelle nous nous épuisons lentement. Et pour cela, songeons précisément à Noël tel qu’il nous est raconté dans l’Évangile selon Luc, cet évangile qui ne semble pas être du tout à la hauteur de la situation : un nouveau-né qui n’avait pas de place pour venir au monde est placé dans une mangeoire. Quand on y pense, c’est vraiment dérisoire. Quand on pense à tous les moyens que nous déployons de nos jours pour essayer de nous en sortir, un nouveau-né ne pèse pas lourd. Mais c’est l’éclat d’Évangile que j’aimerais que nous retenions pour cette année – un bout d’Évangile qui fait l’éloge de la faiblesse, du manque, du trois fois rien. C’est l’évangile des démunis, c’est l’évangile sans munition, l’évangile sans le pouvoir d’exercer la moindre contrainte.
Et pourtant. Et pourtant tout se met en mouvement grâce à Noël. Des savants se mettront en route de l’autre côté de l’horizon pour adorer celui qui n’a strictement rien fait pour cela. Des bergers vont accourir et traverser l’espace, les territoires qui les séparent de ce nouveau-né qui n’a rien demandé, rien exigé, rien fait pour cela. Ce nouveau-né est sans pouvoir, sans moyens financiers, il est on ne peut plus faible, fragile, comme le sont tous les nouveau-nés. Mais il n’est pas sans puissance, comme le sont tous les nouveau-nés.
Jésus, dans cet épisode, annonce la vérité dont l’apôtre Paul sera porteur : « Quand je suis faible, c’est alors que je suis puissant (2 Co 12/10). » La faiblesse, la fragilité, la vulnérabilité, sont des choses précieuses car elles laissent de la place aux autres et, mieux que cela, la vulnérabilité crée une sorte d’appel d’air qui attire la bienveillance et la créativité qui sont capables de prendre soin de la situation qui est dans un état particulièrement précaire.
Noël nous sauve, aujourd’hui encore, car Noël nous sensibilise à la fragilité de l’existence tout en nous révélant la puissance d’amour dont nous sommes rendus capables, par grâce seule. C’est cela que j’aimerais développer en deux points qui me semblent exprimer l’esprit de Noël qui est susceptible de venir à notre secours pour le temps présent.
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Place au désir
Le premier point est celui du besoin et du désir. Le nouveau-né a tous les besoins du monde. C’est bien simple, il n’a aucune autonomie, il n’est capable de rien, seul. Laissez seul un nouveau-né et cela lui sera fatal. Un nouveau-né a besoin de tout. Et cela dit quelque chose de notre condition humaine, même une fois que nous sommes devenus adultes. Ce serait une illusion de penser que nous n’avons plus besoin de qui que ce soit, que nous sommes auto-fondés et auto-suffisants. La vérité que nous ont rappelés les mesures de confinement, c’est le besoin du regard de l’autre, ce regard qui nous permet de nous sentir exister. Ce nouveau-né mis dans une mangeoire nous rappelle quelques besoins fondamentaux qui sont aussi les nôtres. Certains ont besoin d’être rassurés sur notre avenir, qui avons besoin d’affection, de relation interpersonnelles. Certains ont besoin d’être à nouveau autorisés à travailler. Nous avons besoin que s’arrête cette pandémie, nous avons besoin de légèreté, de retrouver le goût de l’insouciance, et que se lève le voile de l’inquiétude qui s’épaissit un peu plus chaque jour en dépit des efforts nombreux qui sont accomplis.
Dans la Bible, les besoins ne sont pas systématiquement couverts. Lorsque le psalmiste crie vers Dieu parce qu’il se sent oppressé ou au contraire parce qu’il se sent abandonné, ses ennemis ne disparaissent pas ou, au contraire, une foule d’amis ne surgit pas de terre spontanément. Pour autant il ne se passe pas rien dans la vie de cet homme. Ce que nous révèlent les psaume, c’est que la prière permet au psalmiste de passer du besoin au désir. Passer d’une situation passive où nous sommes curieux de savoir comment ça va s’arranger à une situation active où nous prenons les choses en main. Ainsi en va-t-il du nouveau-né Jésus qui a besoin d’être nourri, abondamment nourri, mais qui est déposé dans une mangeoire, signe que celui qui devrait être nourri s’avère être celui qui est capable de nourrir. Le besoin est métamorphosé en désir.
Ainsi, la puissance de l’Évangile consiste à métamorphoser notre besoin d’être protégés de la violence en un désir de paix. L’Évangile convertit notre besoin d’entendre une voix affectueuse en un désir d’aimer. L’Évangile nous rend acteur de notre vie au lieu de tout attendre. Même le petit d’homme est rendu capable, dès ses premières minutes, d’être acteur dans l’histoire humaine en prodiguant au monde une part de ce dont il a besoin pour vivre, lui qui est d’ores et déjà considéré comme la nourriture pour l’humanité. Nous voyons dans la trame des évangiles tous ces adultes qui se mettent en route, qui s’animent, qui ont eux-mêmes un désir qui les pousse à rejoindre de nouveaux horizons. Et nous pourrions, bien entendu, reprendre le poème de Victor Hugo qui écrit ce qui se passe lorsque l’enfant paraît. Ce que je constate, dans ce récit de Noël, c’est qu’il aurait pu être rempli de plaintes et de lamentations. Il n’en est rien, parce que même quand il n’y a plus de place pour une vie heureuse, Dieu fait de la place pour autre chose que la plainte ; Dieu fait place au désir de trouver des solutions. Dieu nous aide à repérer dans le creux de notre prière, dans le creux de notre demande, le désir d’un autre ordre du monde et s’attacher à cela, en faire notre horizon. Et Dieu nous aide à prendre la route, en direction de cela, comme le font les mages, comme le font les bergers. Oui, la prière de lamentation comme la prière de réclamation sont légitimes. Mais la prière a ceci d’intéressant qu’elle évangélise notre demande et lui offre un véritable objectif, une destination.
Quand il n’y a plus de place pour l’avenir car le présent est entièrement saturé par le manque, par le besoin, par la fragilité, Dieu fait de la place pour le désir. Dieu fait de la place pour qu’advienne encore de la vie, et pas seulement la vie sur le plan physiologique avec une activité cardiaque et une activité cérébrale, mais la vie au sens de l’existence : la vie dont on peut dire qu’elle est vraiment jouissive.
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Place à l’imagination
Cette mangeoire transformée en berceau indique le chemin du salut que l’Évangile révèle. Ce chemin est celui de l’imagination, de la créativité, du système D. C’est quelque chose de vraiment français : on n’a pas de pétrole, mais on a des idées. C’est cela Noël. C’est le deuxième point que j’aimerais aborder, sachant que cette créativité s’exprime dans deux directions. La première forme de créativité consiste à recycler, à transformer ce dont nous disposons pour le rendre plus adapté à nos besoins, ces besoins qui ont fait place au désir. C’est en procédant ainsi que le monde n’a cessé d’évoluer et que ses habitants ont toujours réussi à répondre aux défis qui se présentaient.
Dans la Bible, il n’y a pas de création ex nihilo, à partir de rien. Au commencement, dit Genèse 1, il y a le tohu-bohu, une sorte de grand bazar en forme de chaos, qui rend la vie difficile sinon impossible. Et c’est à partir de ce bazar que des paroles divines vont faire quelque chose d’un peu vivable en le recyclant. Les paroles divines vont donner une nouvelle fonction à tout ce qui fait l’univers et c’est ainsi que cet univers va devenir bien vivable. C’est cela qui se passe pendant tout le récit de la création. Et c’est ainsi que nous agissons à chaque fois que nous nous en sortons. Nous reconfigurons l’existant, nous lui donnons une nouvelle allure, une nouvelle fonction, nous effectuons les métamorphoses nécessaires pour rendre notre vie encore plus vivable. Le calcaire est métamorphosé en bâtiments. Le vent ou un cours d’eau devient de l’électricité. De l’argile devient un vase. Une bouteille d’eau devient un gilet, etc.
Le deuxième aspect de la créativité, c’est que nous faisons mieux que d’utiliser l’existant, qu’il s’agisse des éléments naturels ou de produits manufacturés. Nous utilisons aussi les contraintes. Dans notre récit, il y a des contraintes, qui n’empêche pas le récit d’avancer, au contraire : elles lui donnent de l’épaisseur, un supplément de sens. Il y a la contrainte du recensement organisé par César Auguste. L’évangéliste Luc en profite pour donner au nouveau-né Jésus une naissance à Bethléem, la ville de David, ce grand messie. Et puis Bethléem… en hébreu, c’est la maison du pain, autrement dit la boulangerie – Jésus est vraiment là pour nourrir notre humanité. Faire en sorte que nous ne dépérissions pas. Cette histoire est l’histoire de la métamorphose du dépérissement en une vie infiniment vivable.
Pensons à notre gestion des contraintes. L’humanité se dresse sur la surface de la terre, ce qui est déjà une victoire sur les contraintes physiques quand on sait que le squelette était plutôt adapté à la posture à quatre pattes. Le génie humain s’exprime dans l’utilisation des contraintes qui pourraient apparaître comme des entraves à notre liberté dans un premier temps. Par exemple, faire flotter les 40.000 tonnes du porte-avion Charles de Gaulle quand on sait qu’une pièce de 2 euros coule à pic, c’est le trait de l’imagination au pouvoir. Nous pourrions tout aussi bien penser à la science qui a été mise à profit pour l’élaboration des avions qui prennent appui sur l’air. Pensons aussi au fonctionnement d’une voiture, qui se déplace parce que la translation d’un piston du moteur devient une rotation de roues. Une translation transformée en rotation, c’est l’imagination au pouvoir.
Ce récit de Noël indique que Dieu fait de la place quand il n’y a plus de place pour la moindre espérance, pour la moindre alternative, pour la moindre personne. Quand il n’y a plus de place dans les lieux habituels, dans les formes communes, Dieu nous rend capables de métamorphoser l’existant et de trouver de nouveaux lieux, de nouvelles places, d’envisager l’espace autrement, de donner de nouvelles fonctions, de nouveaux destins à ce à quoi nous nous étions habitués. Dieu nous aide à sortir des ornières de l’histoire et nous aide à ouvrir de nouvelles voies, à faire de la place pour de nouveaux paradigmes.
Relisons et relisons encore ces récits de Noël pour sortir de notre fatigue, de notre lassitude, de notre absence de désir, de notre charge mentale qui nous empêche toute forme de créativité. Ne cherchons pas le salut du côté de la force, mais retrouvons le chemin de la fragilité, de la vulnérabilité où nous pourrons accueillir la grâce qui s’y exprime et qui nous incitera à prendre nos responsabilité, à nous interroger à nouveau frais sur ce que nous avons à notre disposition et sur la manière la plus évangélique qui soit d’en faire usage. En lisant les évangiles de Noël, nous pouvons découvrir notre responsabilité de faire de la place pour injecter du désir, de la joie, de la grâce, dans tous les paramètres qui font notre quotidien.
Amen