Repenser l’Eglise

Pierre Brugidou, prêtre du diocèse de Montpellier, était au micro de RCF pour répondre aux auditeurs en cette période où le ministère des prêtres a été réduit à sa plus simple expression. Comment l’Église gère-t-elle la crise du covid-19 et les phénomènes de crise plus largement ? « À partir de la crise, penser une Eglise durable ».

Ce sujet a été abordé sous de nombreux angles durant l’émission qui fut aussi l’occasion d’un clin d’œil sympathique – merci pour la complicité. Je propose d’autres éléments pour compléter sa réflexion au sens de la prolonger et non de la corriger.

Ce que la situation révèle de l’état de l’Église

Sans rassemblement, sans possibilité d’administrer les sacrements, l’Église est-elle encore l’Église ? Il semble que cela ne soit pas le cas du point de vue de prêtres et d’évêques qui se sont manifestés auprès du gouvernement français début mai pour que les lieux de culte soient autorisés sans délai à recevoir du publique lors de célébrations.

Évidemment, si la tâche de l’Église est de rassembler l’Église, la communauté des fidèles, la situation est contrariante. De même, si la tâche de l’Église se résume à distribuer des hosties et à faire de l’animation communautaire, la situation est fâcheuse. Et l’Église se trouve alors dans la même situation que les hôtels, les bars, les salles de concerts, les cinémas et les théâtres, les salles de sport et tous ces lieux qui sont fermés et qui se retrouvent donc en cessation d’activité – en cessation totale d’activité. L’analogie n’est pas sans intérêt, car elle place l’Église dans la situation d’organisation de divertissement et de distribution de biens de consommation.

De fait, la situation sanitaire a révélé que bien des communautés étaient des lieux de convivialité et que bien des pasteurs étaient des animateurs et des pourvoyeurs de biens de consommation qui se trouvèrent  bien dépourvus lorsque le coronavirus fut venu. Cela explique que, dans bien des endroits, la réaction fut de mettre entre parenthèse la vie ecclésiale en espérant (au sens de l’espoir et non de l’espérance) des jours meilleurs. En pareil cas, on ne peut qu’attendre fébrilement la réouverture de tous les établissements recevant du public.

L’Église qui transcende

À côté de cette Église dont a si bien parlé Olivier Roy dans une tribune du 8 mai parue dans le Nouvel Obs, où le croyant est un consommateur comme un autre, il y a une autre Église. C’est l’Eglise où il est question du Dieu d’Abraham, d’Isaac, de Jacob, du Dieu de David, du Dieu de Jésus, de Paul. C’est une Église qui se fonde sur des récits qui parlent de transcendance, d’alliances qui sont malmenées et qui reprennent de la force souvent contre le cours de l’histoire, d’histoires qui auraient dû s’interrompre et qui retrouve un élan supérieur. C’est une Église qui se fonde sur des récits qui ne font jamais l’impasse sur le malheur, la souffrance, la mort, les vilenies, les fautes, les bassesses, les luttes de pouvoir, les intrigues menées pour valoriser un orgueil mal placé. C’est une Église qui se fonde sur des récits qui parle d’un Dieu qui insiste, qui appelle inlassablement à la responsabilité que provoque la liberté offerte sans condition, qui désigne notre capacité à trouver des points d’appui dans la vie pour retisser les sociétés qui se défont, pour réconcilier des contraires qui ont pourtant un horizon commun, pour transcender les clivages, les conditions initiales, les haines ancestrales, les incompréhensions, les fatigues, le désespoir.

Cette Église-là ne manque pas de célébrer la vie portée à son incandescence lors de solennités religieuses qui disent la valeur profonde de l’existence, lors d’office où les sacrements, ces signes visibles de la grâce invisible, sont des prédications pratiques de l’amour inconditionnel. Cette Église ne manque pas d’organiser de multiples activités pour réjouir le cœur de l’Homme et pour accroitre ses connaissances qui lui permettront de mieux comprendre ce qui lui arrive et, ce faisant, de mieux s’orienter dans la vie. Et tout cela se vit dans une perspective théologique, cette discipline universitaire qui s’efforce de dire Dieu aujourd’hui, c’est-à-dire de discerner dans notre quotidien ce qui a un caractère sacré, ce qui est secondaire, ce qui n’est qu’idole ou péché, pour reprendre le vocabulaire biblique.

Le cœur de l’Église est l’Évangile, toute parole qui ressuscite le désir personnel de vivre et rend profondément libre, ce que le Christ Jésus a incarné durant son existence. Ce cœur, la pandémie ne l’a nullement atteint, ne l’a nullement remis en question. Ce cœur n’a pas non plus été terrassé par les mesures prises par le gouvernement pour sauver les vies et, notamment, la vie des plus faibles, des plus vulnérables. Cette Église qui se fonde sur la prédication vivante du Christ Jésus est celle qui a appris que l’homme n’est fait ni pour le sabbat, ni pour la finance, ni pour une croissance économique, ni pour un planning d’activités, car ce sont toutes ces choses qui sont à son service. C’est la raison pour laquelle elle vit pour se mettre au service de l’humanité, et non pour mettre l’humanité à son service.

La religion comme relecture

Pierre Brugidou a rappelé que « religion » est un mot qui pouvait s’expliquer à partir du terme religare – relier. C’est la raison pour laquelle le temps actuel est difficile pour la religion, car les relations ne sont pas aussi évidentes que quelques mois en arrière. Mais nous avons aussi des moyens d’information et d e communication que les générations précédentes n’avaient pas à leur disposition pour compenser le confinement et l’isolement – sachant que la théologie de l’incarnation dit à quel point le corps, le charnel compte, comme le rappelait très justement Pierre Brugidou.

Mais « religion » est un terme qui se fonde plutôt sur religere – relire. Sans exclure le bonheur des relations interpersonnelles que la religion suscite, ne perdons pas de vue que la tâche de l’Eglise est d’interpréter les signes des temps, de donner du sens à ce qui nous arrive et aux projets que nous concevons. Elle le fait comme le font les religions, en relisant ses textes symboliques, son histoire, son présent, avec un regard critique, sans parti pris, sans esprit de chapelle, car c’est la vérité qui l’intéresse et non la défense d’une idéologie partisane.

Alors le moment est propice pour relire nos discours passés sur l’action de Dieu dans le monde, sur le sens de la prière, sur ce qu’est l’exaucement, afin de les passer au crible de notre présent, au crible du réel, de ce que nous endurons, de ce qu’endurent nos voisins, nos lointains bref, notre prochain. Il est indispensable de réformer les théologies toxiques qui se fondent sur des métaphysiques, c’est-à-dire sur des représentations du monde, de l’univers et de son cours, qui n’ont aucun rapport avec le réel.  Il est temps de réformer les discours qui emploient des mots théologiques dépourvus de sens et qu’on enfile comme des perles sur un collier. Cela s’est fait à chaque époque ; c’est ce que les protestants nomment le principe de réforme qui n’est pas à entreprendre une fois pour toutes car cet ouvrage est toujours à remettre sur le métier. C’est le travail des ecclésiastiques, c’est un travail particulièrement urgent à l’heure actuelle : débarrasser la religion de tout ce qui est faux, de ce qui est inexact et qui ne pose pas seulement des problèmes de logique dont on peut se gausser entre gens de bonne compagnie comme on se moquerait d’un vêtement mal coupé. Car la théologie n’est pas un divertissement ; ce n’est pas une discipline accessoire de l’activité humaine.

La décision du confinement est une décision prise sur des bases théologiques – en l’occurrence une théologie qui considère qu’on ne vient pas à bout d’un virus par des prières qui demanderaient à un être surnaturel de le faire disparaître. Ce n’est pas une absence de théologie qui est à l’origine de cette décision ; c’est une théologie qui se distingue d’une autre théologie qui, elle, met l’individu au service d’un système politique dans les pays autoritaires, d’un système économique dans des sociétés où les yeux sont rivés sur les indices boursiers, d’un système de pouvoir là où les gouvernants ont peur de perdre leur position (sachant qu’une théologie peut conduire à plusieurs choix politiques qui diffèrent les uns des autres). Dis-moi comment tu réagis à la pandémie, et je te dirai quel est ton Dieu, même si tu ne te rends jamais dans un lieu de culte.

Pierre Brugidou remarquait que l’Église souffre d’un anticléricalisme et d’un traitement défavorable des médias. Que l’Église fasse de la théologie, et l’anticléricalisme disparaîtra comme la cire fond au feu, et les médias sauront eux aussi en tirer profit pour mettre les informations en perspective.

3 commentaires

  1. Un grand merci pour vos réflexions, surtout les dernières ;
    je vous « suis » depuis des années, avec bonheur, pour nourrir ma foi, sur ce site et avec votre livre « vivre la liberté »
    J’ai 77 ans, suis catholique, mais depuis bien longtemps « sur le parvis » …
    bonne continuation,
    et surtout ne vous découragez pas !
    merci encore christiane

  2. Ce n’est pas l’Eglise (fut-elle d’une confession ou d’une autre), c’est notre rapport à Dieu qui importe. De tout temps les luttes de pouvoir y ont sévi (La réforme, Vatican II, le schisme) nous avons en commun la bible mais pas son interprétation!.

    1. Nous avons en commun l’interprétation non pas dans son contenu (d’ailleurs les interprétations sont plurielles au sein d’une même confession), mais dans sa nécessité pour que la Bible ne reste pas lettre morte.

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