La fête des Rameaux, célébrée le dimanche qui précède Pâques, rappelle l’entrée triomphale de Jésus à Jérusalem, avec deux ânes qu’il a fait chercher par ses disciples. Cet événement plonge ses racines dans un épisode biblique qui est raconté en 1 Samuel 9-10.
L’entrée de Jésus qui est fêté comme un roi reprend des éléments de cet épisode énigmatique qui raconte comment Saül est devenu le premier messie d’Israël et le premier roi. Tout commence par l’ordre donné à Saül par son père : aller chercher deux ânesses qui se sont perdues. Pour l’aider dans sa quête, il le fait accompagner d’un jeune homme.
Ces deux personnages se mettent à traverser des territoires (Schalischa, Schaalim, Tsuph) dont on n’a jamais entendu parler jusque là et dont il ne sera plus question par la suite : nous sommes dans un conte. Un conte est destiné à sortir le lecteur du monde de l’enfance et de le faire accéder au monde des adultes où la responsabilité prend le pas sur la pensée magique.
Un conte pour rendre adulte
Pour ne pointer que quelques éléments qui confirment que ce texte a pour fonction d’amener le lecteur à devenir un être responsable, et donc libre, notons que Saül est accompagné d’un serviteur qui en sait manifestement plus que lui sur la vie. C’est le serviteur qui l’incitera à poursuivre la quête au moment où Saül sera sur le point d’abandonner (1 S 9/5-6). Le cheminement de Saül est, au sens strict du terme, une pédagogie qui l’amène d’une situation de manque (les ânesses 1 S 9/3 et le pain 1 S 9/7) à une situation où ces besoins sont satisfaits (1 S 10,2-4). La rencontre de femmes qui sont près d’un puits et qui vont pouvoir le renseigner sur la direction à prendre, (1 S 9/11) est l’indication d’autres points d’appui pour trouver son chemin personnel. Par ailleurs, les indications reçues par Samuel (1 S 9,15-16, et le programme des jours à venir de 1 S 10,2sq.) sont une autre indication du caractère révélateur de ce texte qui donne l’occasion à Saül de mieux s’orienter, et de se préparer à ce qui est à venir. Ce conte permet de mettre en scène des éléments essentiels qui aideront les lecteurs, quel que soit leur résidence, quelle que soit leur époque, à partir eux-aussi en quête des ânesses.
Il faut savoir que les ânes, dans la Bible, ont un statut très particulier. Outre le fait que ce soit une monture royale, l’âne partage avec l’être humain le fait d’être racheté à la naissance. Alors que tout premier-né doit être sacrifié parce qu’il appartient à Dieu, le petit de l’Homme et le petit de l’âne seront rachetés (Exode 13/13). Partir en quête des ânesses, c’est donc partir en quête de son humanité qui est interrogée sur la question de la filiation. Qui est véritablement mon père ? Il faudra bien trois jours à Saül pour mourir à une compréhension de son identité qui n’était pas la bonne et ressusciter en tant que fils de Dieu, ce qui sera manifesté par l’onction d’huile qui en fera le premier messie d’une longue série.
Cela, la foule qui acclame Jésus ne le comprend pas. Elle n’a pas l’arrière plan biblique qui donne de la profondeur à ce qui est en train de se jouer à la porte de Jérusalem. Elle en reste à la surface des choses, prise dans l’effervescence du moment. Quand le vent tournera, la foule elle-même tournera, car elle est toujours dans le sens du vent, capable de réclamer la mort de celui qu’elle acclamait une semaine plus tôt, sans savoir vraiment qui est celui qui sera mis à mort.
Le pèlerinage de la vie
Le chemin initiatique de Saül éclaire le parcours de Jésus et nous révèle ce que pourrait être notre propre chemin d’humanisation. Outre les points d’appuis qui permettent à Saül d’avancer, nous avons évoqué la filiation qui s’explore aussi sur le tombeau des ancêtres, celui de Rachel dans le cas présent, figure qui avait été convoquée pour ouvrir l’histoire de Jésus (Matthieu 2/18). Selon le commentaire de Philippe Lefebvre, « le pèlerinage de Saül à la tombe de Rachel lui rappelle que depuis les origines de sa tribu il en est ainsi : la vie y vient in extremis, la mort y rôde sans cesse, mais cette vie s’instaure cependant. Une méditation semble proposée à Saül : s’il est là aujourd’hui, comme homme vivant, mystérieusement choisi par Dieu, c’est que ce même Dieu veille à la vie des siens depuis leurs commencements[1]. » Cela se vérifiera dans le cas de Jésus dont les apôtres proclameront à Pâques que la mort n’a pas été capable de mettre un terme à la puissance de vie incarnée par lui.
Saül, sur la tombe de Rachel, remonte le cours des événements, y lit les liens qui les ont tissés, comprend les ressorts de l’histoire, y découvre possiblement des promesses enfouies afin de les réactiver, se plairait à dire le professeur Olivier Abel[2].
Ce rite d’initiation accomplit son œuvre, comme nous le constatons par le fait que Saül est désormais capable de prophétiser et que plus personne ne le reconnaît (1 S 10/11-12). Ces trois jours l’ont changé. Dorénavant, il sera en mesure de porter une parole divine, c’est-à-dire une parole qui n’est pas seulement l’expression de son plaisir personnel, mais une parole ayant un caractère universel qui permet à chacun de prendre pied dans sa propre histoire. Il n’est plus le même. L’entourage de Saül s’étonne comme celui de Jésus, qui s’étonnera de ce qu’il accomplit, lui qui était réputé être le fils de Joseph, lui qui venait de Nazareth (quelque chose de bon peut-il sortir de Nazareth ? Jean 1/46). On se demande qui est le père de Saül alors qu’il avait été clairement identifié au tout début de l’épisode, ce qui traduit bien le fait que Saül a découvert qu’il a un Père qui transcende le lien biologique, au même titre que Jésus fera la leçon à sa mère qui l’a cherché après l’avoir perdu pendant trois jours : « Ne saviez-vous pas qu’il faut que je m’occupe des affaires de mon Père ? (Luc 2/49) »
Ce chemin de Saül est un chemin d’humanisation, au sens théologique qui considère que l’homme n’est vraiment lui-même que lorsqu’il se tient devant Dieu, coram deo, de manière à articuler ses capacités personnelles à une espérance divine, autrement dit faire valoir ses talents personnels sur un mode qui transcende le principe de plaisir.
Devenir un être moral
Ce parcours initiatique permet de mettre Saül dans la disposition d’un être moral qui, pour éprouver la sympathie qui le caractérise, doit être en mesure de pouvoir imaginer ce qu’un autre est susceptible de ressentir[3]. Le chemin de Saül peut être envisagé comme une expérience personnelle qui lui permettra d’aller au-delà de sa seule personne et de se mettre à la place des personnes dont il aura la responsabilité, non pour les dominer de toute sa hauteur, mais pour se mettre à leur service – étant capable d’être affecté par leurs besoins comme lui-même a ressenti des besoins personnels provoqués par les différents manques qu’il a connus. Saül sera ainsi un être moral capable de ressentir la peine – et même la détresse – d’une personne, qu’il aura pu éprouver sur la tombe de Rachel ; capable de ressentir la nécessité d’intervenir sur une situation qui prive un être de ce qui lui est essentiel pour exister, ce qui est symbolisé par les aliments qui lui sont offerts ; et donc capable de s’émouvoir d’une injustice. C’est ainsi que Saül quitte le monde de l’enfance qui « ne connaît que le malaise de l’instant présent, qui ne peut jamais être très grand ; il est d’une parfaite tranquillité quant à l’avenir, et trouve dans son imprévoyance un remède contre la crainte et l’inquiétude, ces grands tourmenteurs du cœur humain[4]. » Saül a été préparé pour être conséquent, pour mesurer les conséquences de ses décisions et l’importance qu’il y a à agir pour permettre au futur que nous désirons d’advenir. Face à la mort, il a pu prendre conscience de l’impérieuse nécessité de vivre et, pour cela, de mettre en œuvre les moyens nécessaires pour que la vie envisagée selon l’exigence signifiée par Dieu soit possible.
C’est cela que porte Jésus en entrant à Jérusalem. La foule est alors porteuse d’une vérité dont le sens profond lui échappe : « Hosannah ! » (sauve donc !) crie-t-elle, ignorant que c’est qu’il fait déjà et ne cessera de faire jusque dans ses derniers instants, car le salut est son jugement dernier.
[1] Philippe LEFEBVRE, Livres de Samuel et récits de résurrection, Paris, Cerf, 2004, p. 158.
[2] Évoquant la pensée de Paul Ricœur, Olivier Abel dit : « On peut rouvrir dans le passé des promesses enfouies, des promesses non advenues », « L’actualité de Paul Ricœur », Conférence donnée au temple de la rue de Maguelone, Montpellier, le 19 juin 2017.
[3] Adam SMITH, Théorie des sentiments moraux, Paris, Payot et rivages, 2016, p. 44.
[4] A. SMITH, Théorie des sentiments moraux, p. 51.
Toujours heureux d’apprendre et de redécouvrir cette histoire de Saül enfouie depuis des « temps bibliques »,mais je vous arrête, pas si loin cependant.Je corrigerai en précisant: d’école biblique du dimanche.Avec à l’époque pas d’écran,mais un tableau permettant de créer une animation avec des personnages en feutrine.
Autre élément révélateur de ce texte aprés stimulation de nos arcs limbiques,c’est de prendre conscience, avec toutes les histoires de puits que la bible peut resceller, de l’existence d’un réseau interpuits…
(internet primitif) mais efficace au moyen-orient depuis la nuit des temps.
Quand à Saül et son accession au statut de roi, elle me fait paraphraser Nietzsche, en disant que finalement, entre Saül et Jésus,Jonas est un pont sur l’abîme.Il l’est d’autant plus qu’il est un prophète des trois religions monothéistes.Trois religions,trois personnages…trois jours…trois licornes qui voguent de concert.
Merci à James woody et tous les autres pasteurs qui a force de travailler la bible,nous font chaque fois découvrir qu’un trésor est caché dedans.