Bâtir un temple

C’est en 1850 que la communauté protestante ressent le besoin d’un lieu de culte plus grand que la chapelle occupée jusque là rue de l’Observance, qui est aujourd’hui le Rockstore rue de Verdun.

Le conseil de l’Église lance un concours d’architecte en 1862 pour construire un temple sur une parcelle acquise sur le nouvel axe de la vie, la rue de Maguelone, qui relie l’embarcadère (la gare SNCF) à la place de la Comédie. C’est le néerlandais William Bouwen qui remporte le concours auquel 42 architectes ont répondu. Mais son projet dépasse le budget fixé. Ce sera finalement le montpelliérain Louis Corvetto qui suivra gracieusement les travaux de construction du temple qui dureront trois ans. C’est en 1870 que le premier culte y sera célébré.

C’est grâce à ceux qui nous ont précédés que nous pouvons, 150 ans après, continuer à nous saluer comme on se salue dans l’Église, en disant que la grâce et la paix nous sont données en abondance de la part de l’Éternel notre Dieu, ainsi que Jésus l’a incarné.

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Exode 31/1-11
1 L’Éternel parla à Moïse, et dit: 2 Sache que j’ai choisi Betsaleel, fils d’Uri, fils de Hur, de la tribu de Juda. 3 Je l’ai rempli de l’Esprit de Dieu, de sagesse, d’intelligence, et de savoir pour toutes sortes d’ouvrages, 4 je l’ai rendu capable de concevoir des plans, de travailler l’or, l’argent et l’airain, 5 de graver les pierres à enchâsser, de travailler le bois, et d’exécuter toutes sortes d’ouvrages. 6 Et voici, je lui ai donné pour aide Oholiab, fils d’Ahisamac, de la tribu de Dan. J’ai mis de l’intelligence dans l’esprit de tous ceux qui sont habiles, pour qu’ils fassent tout ce que je t’ai ordonné: 7 la tente d’assignation, l’arche du témoignage, le propitiatoire qui sera dessus, et tous les ustensiles de la tente; 8 la table et ses ustensiles, le chandelier d’or pur et tous ses ustensiles, l’autel des parfums; 9 l’autel des holocaustes et tous ses ustensiles, la cuve avec sa base; 10 les vêtements d’office, les vêtements sacrés pour le sacrificateur Aaron, les vêtements de ses fils pour les fonctions du sacerdoce; 11 l’huile d’onction, et le parfum odoriférant pour le sanctuaire. Ils se conformeront à tous les ordres que j’ai donnés.

Chers frères et sœurs, il est traditionnel de dire qu’il y a trois tabous dans notre religion, trois sujets dont il ne faut pas parler en chaire, trois sujets dont on ne parle pas : le sexe, la politique et l’argent. C’est très inexact. Le vrai tabou dans le protestantisme français, le sujet qu’il ne faut aborder ni en chaire, ni pendant les repas de famille, c’est le sujet des temples ! Les temples sont le véritable tabou de notre Église. C’est un véritable tabou avec tout ce qu’il faut de paradoxe puisque nous sommes capables de dire qu’un temple n’est pas un lieu sacré, tout en refusant d’en faire un lieu comme un autre. Un temple n’est pas un lieu sacré et, pourtant, lorsque la question se pose de vendre un temple parce qu’il n’est plus utilisé, on se découvre des passions pour un endroit que plus personne ne fréquentait et qu’il faut absolument garder parce que c’est un temple.

C’est donc de temple qu’il nous faut parler maintenant, car il n’est pas question que des tabous empoisonnent notre vie. Et pour parler de temple, je vous propose de remonter au fondement du geste qui consiste à bâtir le lieu de culte pour l’Éternel, dans ce passage du livre de l’Exode où il est question de bâtir le premier lieu de culte à l’Éternel, le premier temple. Je souhaite que nous remontions à cette fondation pour que nous retrouvions ensemble le sens biblique du lieu de culte et l’esprit dans lequel cela fut pensé. À l’heure où nous pensons à ce temple de la rue de Maguelone qui a 150 ans, j’aimerais que nous élargissions notre réflexion à ce qu’est un lieu de culte dans la perspective biblique. Nous le ferons avec ce passage fondateur et plus spécifiquement avec les deux personnages qui sont au cœur de ce texte, Betsaleel et Oholiab. Je dirais qu’il n’y a que ces deux personnages qui comptent. Ils sont le cœur de ce texte puisque c’est eux qui sont appelés par l’Éternel, le texte biblique précisant qu’ils ont été appelés par leur nom, autrement dit leur nom est divinement significatif.

1. Betsaleel

Le premier personnage nommé est Betsaleel, un mot qui signifie « dans l’ombre de Dieu ». L’architecte du temple est réputé être « dans l’ombre de Dieu ». De cela nous pouvons tirer deux enseignements.

a. un temple pour tendre vers Dieu

Tout d’abord, être dans l’ombre de Dieu, c’est être avoir quelque chose en rapport avec Dieu, comme l’est tout être humain créé à l’image et à la ressemblance de Dieu. Que l’architecte soit appelé par Dieu lui-même « dans l’ombre de Dieu » indique que son travail ne consistera pas seulement à construire un lieu capable de rassembler des personnes. Il faudra que ce lieu soit, lui-même, l’ombre de Dieu ou, pour reprendre l’expression de Jacob dans le livre de la Genèse au sujet de Béthel, la maison de Dieu, il faudra que ce lieu soit la porte des cieux. Un lieu de culte transpire Dieu. Un lieu de culte n’est pas un bâtiment qui protège des intempéries, ou des bruits extérieurs, un lieu de culte est un lieu qui favorise la relation à Dieu, qui permet à chacun d’être lui-même dans l’ombre de Dieu.

Si l’architecte est à la hauteur de sa vocation, alors il bâtira un lieu qui transcende largement l’aspect fonctionnel d’un lieu qui permet de réunir des personnes. L’architecte, dans l’ombre de Dieu, bâtira un édifice, il permettra qu’existe sur terre un lieu où des gens peuvent se tenir devant l’Éternel.

Dans ce passage biblique, il n’est pas question de plan divin comme cela pourra être le cas dans d’autres livres bibliques, plus loin dans la narration. Ce dont il est question, c’est de confier la tâche de bâtir le temple à quelqu’un qui sera capable de concevoir un lieu qui permette à chacun de se tenir devant Dieu, de placer sa vie devant Dieu, de se tenir devant Dieu. Et il y a plusieurs manières de s’y prendre. Chaque architecte, avec son génie propre, avec le contexte dans lequel le temple devra être édifié, répondra à ce défi d’une manière singulière qui n’a pas de raison d’être reproduite à l’identique ailleurs. Seule compte l’exigence que son travail soit accompli de telle manière que puisse être vécu ce qui a un caractère fondamental dans la vie.

C’est pour cela que c’est si dur de quitter un temple et plus encore de le voir démoli. Si nous avons en tête ce passage biblique et ce qu’il nous fait comprendre du sens d’un lieu de culte, il n’est pas difficile de comprendre la peine immense ressentie par celles et ceux qui ont fréquenté le temple de la rue Brueys et qui y ont vécu des moments si importants de leur existence. Car un temple est un lieu pour vivre des moments décisifs, tout ce qui scande les grandes étapes de la vie : la naissance avec les baptêmes, le passage à la vie adulte avec les confirmations, la fraternité avec la cène. C’est un lieu pour rendre grâce à l’occasion des mariages. C’est un lieu pour consoler les endeuillés. C’est un lieu où, dimanche après dimanche, nous nous efforçons de comprendre ce que vivre peut bien signifier.

Ce texte biblique, en nous rappelant qu’un lieu de culte est destiné à donner à notre vie l’orientation de l’espérance de Dieu, nous permet de comprendre l’attachement que nous pouvons avoir dans un lieu qui nous a permis de nous construire, de forger notre caractère, de nouer des amitiés, peut-être de rencontrer notre conjoint, d’élaborer des projets, de connaître aussi des déceptions, de vivre, quoi !

b. distinguer le temple de Dieu.

C’est alors qu’il est nécessaire de réaliser que le nom de l’architecte qui est significatif de sa mission et du sens du lieu qu’il bâtit, implique que, s’il est dans l’ombre de Dieu, il n’est pas Dieu lui-même. Même en ce qui concerne Rudy Ricciotti. Être dans l’ombre de Dieu signifie bien qu’il y a un écart avec Dieu – sans quoi il n’y aurait pas d’ombre. En effet, un lieu de culte n’est pas sacré. Et lorsqu’un temple n’est plus ce qu’il était, cela ne signifie ni la fin de Dieu, ni la mort de ce qui a été vécu dans cette maison de Dieu.

La foi chrétienne, dès ses commencements, autrement dit dès la prédication de Jésus qui nous est rapportée dans les évangiles, est un travail de relativisation des institutions et donc de ses bâtiments. Jésus est celui qui est capable de faire le ménage dans le temple de Jérusalem pour qu’il reste la maison du père céleste, et celui qui révèle qu’il est possible de passer d’un temple à un autre temple. Nous sommes d’accord avec cela et pourtant, nous avons du mal à le vivre. C’est pourtant ce que nous déclarons être notre idéal. Nous devrions rester calmes avec les temples, car ce sont des bâtiments qui doivent élever l’âme, mais ce ne sont que des bâtiments : ils ne sont ni l’âme, ni Dieu vers qui l’âme est tendue. Il convient de faire la distinction entre le temple et Dieu. De même qu’il convient de faire la distinction entre le temple et l’Église, ce qu’avait fort bien compris le réformateur Jean Calvin qui appelait de bâtiment « temple » parce que templum désigne le bâtiment en latin et qui appelait la communauté « église » parce que le terme ecclesia désigne l’assemblée du peuple en grec.

Cette distance n’est pas du tout une manière de dévaloriser les lieux de culte, bien au contraire. Cela leur donne une dimension symbolique qui rend ce genre de lieu proprement extraordinaire. Outre les noms de l’architecte et de son ingénieur structure, il est question des éléments qui constitueront le lieu de culte. Dans le livre de l’Exode, il est question d’un mobilier spécifique, de parures, d’ornements, toutes choses qui ont une fonction symbolique, c’est-à-dire d’éveiller l’esprit des hommes à d’autres réalités que celles auxquelles il est habitué dans son quotidien. Les ustensiles dont il est question ne sont pas destinés à accomplir des rituels qui permettraient d’obtenir mécaniquement les faveurs d’un dieu qui serait un être surnaturel muni de pouvoirs surnaturels que nous pourrions utiliser en prononçant les bonnes formules dans le bon lieu. L’intérieur d’un lieu de culte est rempli de ce qui est nécessaire pour conduire les pensées des humains vers les réalités ultimes auxquelles la religion doit leur donner accès. La centralité de la parole manifestée par la centralité de la chaire ; les points d’appuis que constituent les récits des douze tribus, des douze disciples qui sont autant de piliers de ce temple ; l’appel à nous laisser nous élever vers cette colombe placée au sommet d’une voûte qui nous pose bien des problèmes sur le plan de l’acoustique, mais qui exprime si bien que notre vie n’est pas destinée à être repliée sur elle-même, mais qu’elle est appelée à se déployer largement et à prendre de la hauteur.

2. Restons mobiles

De la hauteur, mais sans nous ficher en terre. C’est ce que nous rappelle l’autre personnage dont le nom signifie « tente du père ». Car c’est bien l’esprit nomade qui anime le rédacteur. La transcendance est radicalisée par le fait qu’il ne faut pas s’en tenir à un lieu sur lequel toute notre vie serait contenue, sans quoi nous deviendrions semblables à des détenus, confinés à un espace qui deviendrait notre cellule. L’homme biblique est appelé à être animé d’un esprit nomade, à ne pas se laisser confisquer sa mobilité, à n’être l’esclave d’aucun lieu, d’aucune chapelle.

Cela est d’autant plus manifeste lorsqu’on s’intéresse à l’origine des deux personnages. Beltsaleel est un homme de Juda, une tribu du sud. Oholiab, lui, est de la tribu de Dan, située au Nord d’Israël. Les deux représentent le royaume du Nord et le royaume du Sud, réunis dans un projet qui transcende largement leur horizon et qui fait voler en éclat l’éventuel esprit de chapelle qu’ils pourraient nourrir. L’homme de Juda et l’homme de Dan disent l’esprit de communion qui doit présider à la construction d’un lieu de culte qui n’est jamais à concevoir pour une communauté particulière, mais pour l’ensemble de l’humanité.

Ce duo exprime qu’un lieu devient un lieu de Dieu quand il transcende les frontières, quand il transcende les identités particulières, lorsqu’il réunit par delà les divisions. C’est alors qu’un temple nous connecte véritablement à l’au-delà. Ainsi, un temple protestant est véritablement un temple quand il n’est pas le temple des protestants. Un temple protestant est véritablement un temple quand il ne s’arrête pas à la limite de son fichier paroissial, ni à la limite des confessions de foi chrétiennes. Parce qu’il est un lieu de Dieu, il est un lieu pour tous. Il est mobile comme l’est « la tente du père », comme l’est la « tente de la rencontre », le nom donné à ce tabernacle ; le temple est un lieu dynamique, qui ne se fige pas dans une pose.

Voilà pourquoi la métamorphose d’un lieu de culte peut-être une fidélité bien plus grande à son origine que le maintien en l’état, coûte que coûte. Cela tient à la méfiance des rédacteurs bibliques à l’égard de l’espace, à ce qui est borné. C’est ce qu’a récusé le prophétisme biblique, et ce qu’a récusé ensuite le protestantisme, comme le relève le théologien Paul Tillich dans la Théologie de la culture où il écrit que « la protestation protestante reprend le combat prophétique contre les dieux de l’espace. »[1]

La protestation protestante reprend l’exigence de l’idéal nomade, d’une vie portée vers l’au-delà de ce qui a été jusque là et au-delà de celles et ceux qui étaient nos sœurs et nos frères jusque là. Bâtir un temple, dans cette perspective biblique, c’est bâtir un édifice où nous faisons l’apprentissage d’une vie portée au-delà de notre horizon personnel, au-delà de nos habitudes, au-delà de nos inclinations naturelles. Bâtir un temple, c’est édifier un lieu qui nous apprend à nous défaire de notre désir de posséder, d’avoir la mainmise, de fixer, de déterminer. Bâtir un temple, c’est enfoncer un coin dans le déterminisme qui assigne à chacun une place et un rôle définitifs. Bâtir un temple, c’est désacraliser l’espace pour réinvestir le temps, l’histoire, les relations humaines et donner du sens, de la profondeur à tous ces aspects de la vie. Bâtir un temple, c’est se doter d’un outil pour placer l’ensemble de notre vie dans l’ombre de Dieu [Betsaleel], sur un mode dynamique [Oholiab], de telle manière que l’ensemble de notre vie, non seulement sur le plan spirituel, mais aussi familial, social, professionnel, associatif, l’ensemble de notre vie soit portée à son incandescence et qu’elle devienne une célébration du quotidien qui passe alors de l’ordinaire au sublime.

Amen

 

Paul Tillich écrivait dans sa Théologie de la culture : « Le pouvoir de l’espace est immense (…). Il est à l’origine du désir de toute communauté humaine de posséder son propre espace, un lieu qui lui garantisse une existence réelle, un présent, une possibilité de vie (…).C’est la raison pour laquelle l’homme vénère la terre et le sol, non pas le sol en général, mais tel sol en particulier, non pas la terre en général, mais les puissances divines liées à tel morceau particulier de terre. »[2]

Programme des rendez-vous pour les 150 ans du temple de la rue de Maguelone

[1] Théologie de la culture, Paris, Denoël, 1968, p. 47.

[2] Théologie de la culture, Paris, Denoël, 1968, p. 42.

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