La grâce en actes

De même que l’Évangile n’a pas à être confiné dans les Églises, la grâce n’est pas condamnée à rester un concept. La grâce est d’abord un aspect concret de la vie quotidienne : la possibilité de vivre autrement que dans une logique de l’échange, de la rivalité ou de l’humiliation. Si la grâce est au cœur de la théologie protestante elle est, à plus forte raison, au cœur de l’existence, comme une manière d’être, une manière de vivre, une manière de vivre avec les autres. On peut théoriser la grâce, il est préférable d’en vivre. C’est ce qui se passe à Montpellier, au sein de l’association Gammes créée à l’initiative de l’Association Familiale Protestante locale.

Au commencement était le Centre Social Protestant, association s’appuyant sur le travail de bénévoles désireux de rendre service, notamment par l’accompagnement scolaire. Mais aider la scolarité, c’est aussi favoriser un environnement familial propice et, par conséquent, trouver des solutions de logement, d’insertion économique, accès aux droits, de soins etc. Dans tous ces domaines, la seule bonne volonté n’est pas suffisante. Le professionnalisme est nécessaire aussi bien en matière de temps consacré que pour la connaissance des bonnes pratiques ou encore des aspects techniques indispensables à une aide efficace. C’est la raison pour laquelle le Centre Social Protestant a engagé une montée en puissance des salariés et qu’il est devenu Gammes : de multiples gammes de compétences au service d’une multitude de gammes de services auprès des plus fragiles.

Aujourd’hui, Gammes c’est 1000 salariés sur l’année (600 salariés toujours présents, 450 temps pleins rémunérés), 150 bénévoles et 10.000 personnes bénéficiaires de l’un des services.

4 secteurs d’activité

Services à la personne

Pour les personnes âgées, les personnes handicapées, le maintien à domicile est le plus souvent une manière d’améliorer leur quotidien. Mais il ne suffit pas de permettre à la personne de choisir son mode de soin à domicile, encore faut-il exercer un accompagnement qui permette à chacun de gérer les actes de vie quotidienne et, de façon plus générale, reconstituer l’autonomie des personnes au moins en leur laissant l’initiative de la gestion. Par ailleurs, le soutien aux aidants est primordial – et pourtant souvent négligé. Les aidants (famille, proches, amis…) doivent accepter le fait qu’il faut aussi s’occuper de soi. Comment aimer autrui si on ne s’aime pas soi ? Cela consiste à passer le relais de temps en temps, de pouvoir parler avec d’autres aidants – ce qui est rendu possible par « le café des aidants ».

Gammes propose des interventions coordonnées d’aide et de soins à domicile qui incluent des soins infirmiers, et dispose d’une équipe spécialisée Alzheimer.

Ainsi se développe une éthique de la responsabilité qui prend à son compte la question posée dans le livre de la Genèse (4/10) : qu’as-tu fais de ton frère ? Ne laisser personne au bord du chemin, encore moins quand il est fragilisé, isolé, abandonné, c’est bien sûr le geste fraternel du samaritain qui est pris aux entrailles dans l’Évangile selon Luc (10/33), c’est l’attitude de toute personne qui se reconnaît le prochain de celui qu’il aperçoit. La grâce prend soin, sans limite.

Accueil des personnes sans solution de logement

Qui ignore la difficulté à se loger lorsqu’on a un faible salaire et, a fortiori, quand on ne travaille pas ? Gammes réalise une veille sociale qui consiste à offrir un accueil de jour qui permet d’orienter les personnes sans hébergement, de leur offrir une bagagerie, une douche, une laverie (avec la possibilité d’échanger des vêtements vétustes), une domiciliation postale (3500 domiciliés reçoivent 100.000 plis postaux par an). À la boisson chaude qui peut être le premier geste d’accueil, s’ajoute l’accompagnement du « parcours résidentiel » pour permettre l’accès à un logement stable. Il faut bien être conscient que c’est à partir de l’habitat stable qu’il est possible de définir son projet de vie, aussi bien professionnel que familial. Pour l’urgence, Gammes a investi dans différentes structures d’hébergement sous forme de trois résidences sociales et d’une pension de famille auxquelles s’ajoutent 300 appartements répartis dans Montpellier.

L’accueil de jour a une habilitation pour 18.000 passages par an. Dans les faits, il y a 75.000 passages – ce qui est rendu possible par un engagement fort des professionnels et un apport massif des bénévoles.

L’accueil est inconditionnel, tout comme pour les demandeurs d’asile. Bien entendu, l’hébergement concerne aussi les réfugiés et les demandeurs d’asile. Les Centres d’Accueil pour Demandeurs d’Asile (CADA) ont vu le jour avec l’arrivée de demandeurs d’asile issus d’Afghanistan, de Syrie… ainsi que les Accueils Temporaires Service Asile (ATSA). C’est dans ce contexte que Gammes a pris la responsabilité d’un CADA de 120 places et d’un ATSA de 70 places. C’est l’Office français d’intégration et d’immigration qui adresse les personnes. Il s’agit alors d’aider à accomplir les démarches administratives auprès de l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides, sachant qu’il y a entre un jour et deux ans de procédure pour pouvoir accéder à un CADA.

Une fois dans un CADA, les personnes peuvent y rester jusqu’à une réponse administrative définitive. En 2017 la durée moyenne était de 8 mois, en 2018 elle est de 6 mois. En cas de réponse positive, un délai de six mois permet d’obtenir une solution d’hébergement. Une cinquantaine de bénévoles vient épauler le Directeur général adjoint et l’équipe de travailleurs sociaux pour l’accompagnement administratif, l’accompagnement médico-social, la préparation à l’entretien avec l’OFPRA, notamment pour l’écriture du récit de vie. D’autres aides sont prodiguées pour la scolarité, la parentalité, l’apprentissage du français. Un atelier de réparation de vélo a été mis en place, des rencontres avec les lycéens voisins sont organisées, certains participent même au culte dominical de manière très assidue.

Comme dans l’ensemble du champ social, la fragmentation est un problème : à chaque problème à traiter, l’État crée un nouveau dispositif (CAO, PAADA, PRAHDA…). Or le Directeur Général adjoint ne manque pas de rappeler que « l’être humain n’est pas une boîte de conserve. »

A ceux qui considèrent que la pauvreté matérielle est nécessairement un choix, qu’on ne se retrouve pas à la rue sans l’avoir cherché d’une manière ou d’une, autrement dit sans l’avoir mérité, nous préférons considérer que toute personne à la rue est digne de retrouver un habitat et capable de pouvoir se relancer dans une vie qu’ils ne subiront plus.

Insertion par l’activité économique

Dans un bassin de vie qui connaît 15% de chômage, trouver un emploi est difficile pour tous, à peu près impossible pour ceux qui n’ont pas ou peu de qualifications, qui ne connaissent pas les codes du monde du travail et qui n’ont aucune estime d’eux-mêmes. Ce sont les personnes les plus éloignées de l’emploi que Gammes a à cœur de réinsérer dans la vie professionnelle. Le mieux, pour atteindre cet objectif, est de travailler, précisément. Soyons clairs, mettre les personnes en situation de travail ne consiste pas à les occuper et, si possible, à faire baisser le taux de chômage (artificiellement). Il s’agit de leur donner les moyens de devenir employables, tout en contribuant à l’intérêt général et à l’intérêt environnemental.

En mettant les personnes au travail dans des entreprises intermédiaires, Gammes leur permet de s’inscrire dans les contraintes du monde du travail en n’étant pas livrées à elles-mêmes. L’accompagnement se fait aussi pour la recherche des formations adéquates puis la recherche d’emploi. Les secteurs d’activité développés par Gammes sont le service à la personne ou à l’entreprise, le second œuvre, le déménagement, le réemploi d’objet dans le cadre de « ressourceries ». Dans chaque domaine il s’agit d’élaborer une économie circulaire et de réduire les déchets.

Prenons le cas de la « ressourcerie » ARTEX, 9 rue de la Raffinerie. Elle accueille 30 à 32 personnes en permanence pour une moyenne de 4 à 5 mois : 5 à 6 personnes qui trient le linge déposé, 5 à 6 repasseuses, 5 vendeuses. Chacun découvre les différents métiers et les savoir-faire des autres personnes. Le partage des compétences, sous la direction de responsables de Gammes permet aussi l’innovation, à l’exemple des tawashi, tissages réalisé selon la technique des éponges japonaises.

Une boutique vient de s’ouvrir, 16 avenue Georges Clémenceau. C’est le lieu parfait pour participer à une économie particulièrement solidaire.

Non, les personnes au chômage ne sont ni forcément des parasites, ni forcément des assistés. Pour peu qu’on restaure leur confiance en eux, pour peu qu’on leur fasse confiance aussi, autrement dit que la foi ne soit pas reléguée au loin, les personnes sans travail peuvent montrer qu’elles sont effectivement capables de certains accomplissements. La foi est une grâce qui ressuscite non seulement le désir de vivre, mais qui permet une rédemption personnelle lorsqu’on nous a mis dans la tête que nous ne valions plus rien.

Animation de la vie sociale

Le soutien scolaire a été le point de départ de l’aventure « Gammes ». Cette action existe toujours, au sein du centre social qui se préoccupe d’apporter également un soutien à la parentalité et qui effectue un travail d’animation du quartier, là encore en direction des personnes les plus vulnérables, qui peuvent avoir déjà une assise sociale, mais qui sont isolées, ou alors qu’ils ont un déficit de représentation de soi et, par conséquent, qui n’ont guère confiance en elles-mêmes.

Réalisations domestiques par les bénéficiaires du Centre social

L’accompagnement passe notamment par le suivi des bénéficiaires du Revenu de Solidarité Active (RSA), prestation qui dure 24 mois. Cet accompagnement vise la stabilisation de chaque personne, l’accès au droit commun, l’accès au logement, la formation pour apprendre à gérer un budget et, bien entendu, l’aide pour l’accès à l’emploi. La formation passe aussi par la cuisine, l’informatique et le théâtre, par exemple. Aux 9 salariés se joignent environ 25 bénévoles, qui font vivre ce lieu où les habitants du quartier se retrouvent, échangent, coopèrent. En direction des plus faibles, les actions sont organisées pour répondre d’abord aux besoins conscients, établir la confiance qui permettra, ensuite, aux besoins plus profonds d’émerger, besoins qui sont souvent des sujets très sensibles car très intimes, liés à la parentalité, à la violence familiale etc. Il y a en permanence 25 personnes qui participent à des projets qui vont faciliter la vie des autres, qui vont rendre chacun décisionnaire, acteur et certainement pas consommateur.

Sans l’apport des bénévoles, il n’y aurait pas la même qualité de service, aussi bien dans les quatre centres sociaux que dans les autres secteurs.

La grâce surabonde là où le péché abonde, écrivait l’apôtre Paul (Romains 5/20). Une vie en plénitude peut jaillir au milieu de personnes pourtant marquées par les épreuves et qui n’ont connu jusque là qu’une succession d’échecs ou de difficultés. Ne pas réussir à s’orienter convenablement, ne pas être capable de faire les bons choix, rater sa vie – ce que la Bible nomme le péché qui désigne la distance qu’il y a entre ce que nous pourrions être et ce que nous sommes effectivement –n’est pas une fatalité. Le travail de l’Esprit, l’autre nom de l’intelligence collective, peut métamorphoser les situations et donner à espérer ensemble bien plus que ce que chacun pouvait imaginer de son côté.

Quelques besoins

Pour désengorger l’accueil, un nouveau lieu devrait être créé. A cette fin, un local de 400m² est recherché.

Nous l’avons constaté, l’insertion par l’activité économique est une excellente voie. Cependant le nombre d’emplois est limité à 300 à temps partiels actuellement – ce qui représente 1/3 des emplois d’insertion dans le département.

Ayant la capacité de maître d’ouvrage de logements sociaux, Gammes envisage de passer de la création de 30 logements chaque année à la création de 250 logements dans les 3-4 ans à venir.

La croissance du nombre de familles touchées par la maladie d’Alzheimer exige la création d’accueil de jour pour libérer les familles. Les appels d’offre sont en veille depuis 3 ans.

L’accueil des personnes qui demandent l’asile serait d’autant plus efficace que des personnes parlant des langues étrangères seraient engagées dans cette action.

Conduire les personnes pour les démarches administratives, pour leurs démarches de soin est un engagement bénévole précieux.

Les étudiants seraient les bienvenus pour les différentes missions menées par Gammes, ce qui permettrait de diversifier les vis-à-vis et, ce faisant, d’augmenter les découvertes et donc le degré d’apprentissage – pour les étudiants ce sont des expériences qui peuvent être valorisées sur un CV.

L’accès à l’eau, durant l’été, n’est pas toujours facile. Des initiatives seraient les bienvenues.

Vous avez repéré un besoin non couvert, vous avez une idée d’action à mener, vous souhaitez avoir plus d’informations pour vous engager personnellement ? Rien de plus simple : benevolat@gammes.org 04 67 92 90 76

C’est de chacun de nous qu’il dépend que la grâce ne soit pas seulement une belle parole, mais continue à devenir une réalité.

Un commentaire

  1. Merci James de nous avoir fait connaître Gammes, cette ruche humaine si dynamique et si novatrice.
    Une question, quels sont les liens actuels de Gammes avec l’Association Familiale Protestante locale?
    Gammes publie-t-elle une revue?
    Merci encore et déjà sans doute, une nouvelle cohorte de bénévoles se prépare à répondre à l’appel!
    Françoise Majal

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