« Le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob et le Dieu des philosophes est le même Dieu »

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Actes 17/16-34
16 Comme Paul les attendait à Athènes, il sentait au dedans de lui son esprit s’irriter, à la vue de cette ville pleine d’idoles.  17 Il s’entretenait donc dans la synagogue avec les Juifs et les hommes craignant Dieu, et sur la place publique chaque jour avec ceux qu’il rencontrait.  18 Quelques philosophes épicuriens et stoïciens se mirent à parler avec lui. Et les uns disaient: Que veut dire ce discoureur ? D’autres, l’entendant annoncer Jésus et la résurrection, disaient: Il semble qu’il annonce des divinités étrangères.  19 Alors ils le prirent, et le menèrent à l’Aréopage, en disant: Pourrions-nous savoir quelle est cette nouvelle doctrine que tu enseignes ?  20 Car tu nous fais entendre des choses étranges. Nous voudrions donc savoir ce que cela peut être.  21 Or, tous les Athéniens et les étrangers demeurant à Athènes ne passaient leur temps qu ‘à dire ou à écouter des nouvelles.  22 Paul, debout au milieu de l’Aréopage, dit : Hommes Athéniens, je vous trouve à tous égards très superstitieux.  23 En parcourant votre ville et en considérant les objets de votre dévotion, j’ai même découvert un autel avec cette inscription : À un dieu inconnu ! Ce que vous révérez sans le connaître, c’est ce que je vous annonce.  24 Le Dieu qui a fait le monde et tout ce qui s’y trouve, étant le Seigneur du ciel et de la terre, n’habite point dans des temples faits de main d’homme;  25 il n’est point servi par des mains humaines, comme s’il avait besoin de quoi que ce soit, lui qui donne à tous la vie, la respiration, et toutes choses.  26 Il a fait que tous les hommes, sortis d ‘un seul sang, habitassent sur toute la surface de la terre, ayant déterminé la durée des temps et les bornes de leur demeure;  27 il a voulu qu’ils cherchassent le Seigneur, et qu’ils s’efforçassent de le trouver en tâtonnant, bien qu’il ne soit pas loin de chacun de nous,  28 car en lui nous avons la vie, le mouvement, et l’être. C’est ce qu’ont dit aussi quelques-uns de vos poètes: De lui nous sommes la race…  29 Ainsi donc, étant la race de Dieu, nous ne devons pas croire que la divinité soit semblable à de l’or, à de l’argent, ou à de la pierre, sculptés par l’art et l’industrie de l’homme.  30 Dieu, sans tenir compte des temps d’ignorance, annonce maintenant à tous les hommes, en tous lieux, qu’ils aient à se repentir,  31 parce qu ‘il a fixé un jour où il jugera le monde selon la justice, par l’homme qu ‘il a désigné, ce dont il a donné à tous une preuve certaine en le ressuscitant des morts…  32 Lorsqu’ils entendirent parler de résurrection des morts, les uns se moquèrent, et les autres dirent: Nous t ‘entendrons là-dessus une autre fois.  33 Ainsi Paul se retira du milieu d’eux.  34 Quelques -uns néanmoins s’attachèrent à lui et crurent, Denys l’aréopagite, une femme nommée Damaris, et d’autres avec eux.

Chers frères et sœurs, y a-t-il plusieurs dieux uniques ? C’est la question que nous pouvons légitimement nous poser lorsque nous discutons avec d’autres croyants. Que ce soient des croyants d’autres religions, qu’il s’agisse de musulmans ou de juifs, ou qu’il s’agisse de personnes qui adhèrent à notre propre foi, les discussions montrent parfois que ces croyants proclament un dieu unique, mais que ce dieu a peu de choses en commun avec le nôtre, nous qui professons aussi un Dieu unique.

C’est l’expérience que fit l’apôtre Paul en se rendant à Athènes. Il y rencontre des philosophes avec lesquels il va s’entretenir, par un dialogue tendu qui a tout d’une confrontation. D’ailleurs, si nous suivons le texte grec, les premiers mots de l’apôtre Paul sont loin d’être un compliment adressé aux Athéniens. En effet, au verset 22, Paul leur dit : « Athéniens, je vois que vous êtes à tous égards extrêmement superstitieux » (quoi que les traducteurs français rendent souvent le terme deisidaimonesterous par « religieux »). Ceci étant, les grecs n’étaient pas en reste, eux qui disaient des chrétiens qu’ils étaient athées, puisqu’ils refusaient d’adorer les divinités ou d’ériger des statues qui, bien évidemment aux yeux des chrétiens, ne pouvaient être autre chose que des idoles. Que les chrétiens soient qualifiés d’athées n’est pas sans ironie. Toujours est-il que Paul a l’occasion de s’entretenir avec des philosophes qui l’interrogent sur son enseignement et le rédacteur des Actes des Apôtres nous restitue cette rencontre entre la philosophie grecque et la théologie chrétienne primitive. C’est la rencontre entre le Dieu des philosophes et le Dieu d’Abraham, d’Isaac, de Jacob et de Jésus. Qu’en ressort-il ? Il en ressort une discussion qui n’aboutit pas à un consensus ; et nous pourrions considérer que cette absence de consensus correspond à l’état  normal des relations entre la philosophie et la théologie. De façon générale, certains pourraient utiliser ce texte pour dire que cette absence de consensus correspond à l’état normal des relations entre le champ religieux et toutes les autres disciplines. Peut-être certains considéreraient-ils que c’est même l’état naturel des relations entre les chrétiens et les autres – non pas que nous n’ayons rien à nous dire, mais qu’il faut bien reconnaître qu’un écart nous sépare et que cet écart est irrémédiable, insurmontable. La situation entre la théologie chrétienne et le reste du monde serait irréconciliable : il y aurait une sorte de rupture radicale qui ferait que soit les autres deviennent chrétiens, soit les chrétiens deviennent autres, mais qu’il ne peut y avoir de communion. Nous pourrions, au sein du christianisme, approfondir la chose : se pourrait-il qu’au sein du christianisme les protestants soient vraiment en communion avec les catholiques et les orthodoxes ? Et nous pourrions même approfondir un peu plus les choses : les protestants pourraient-ils être en communion les uns avec les autres ?

Il en ressort surtout l’occasion de nous interroger nous-mêmes sur le rapport que nous entretenons non seulement avec les philosophes, mais aussi les scientifiques et, de manière plus large, toutes les personnes qui ne disent pas Dieu tel que nous le professons. C’est ce que j’aimerais examiner tout particulièrement avec vous, à partir de cette affirmation de Paul au sujet d’un autel portant l’inscription « A un dieu inconnu » : « Ce que vous vénérez sans le connaître, c’est ce que je vous annonce ». Au nom de quoi Paul peut-il dire qu’il est en pleine communion avec les Athéniens ?

  1. Nous sommes tous de même nature

Le premier élément est que tous les habitants de la terre sont de même nature. Nous sommes tous créés par le Dieu qui a fait le monde et, par conséquent, tout ce qui s’y trouve. Du point de vue de l’apôtre Paul, il n’y a donc qu’un seul Dieu, que l’on soit juif ou non, citoyen d’Athènes ou métèque, homme ou femme, esclave ou libre, philosophe ou astrophysicien.

Cet argument est assez peu convaincant, il faut bien le reconnaître. C’est l’argument de la doctrine chrétienne qui est plus une affirmation gratuite qu’un propos très argumenté. Dire que Dieu est le créateur de l’univers est une croyance qui se fonde sur l’enseignement des textes bibliques, mais qui ne va pas de soi, notamment pour les personnes qui seraient assez indifférentes à la question de Dieu. C’est un argument qui n’en est pas un et qui a l’inconvénient de poser la révélation chrétienne comme vérité transcendante à partir de laquelle il est possible de penser le reste. C’est un argument qui consiste à dire : « notre Dieu est le Dieu suprême qui inclut tout ce que vous pouvez imaginer et qui vous inclut également ». Dans un concours de Dieu, il est toujours préférable d’avoir celui qui a créé la plus grande part de l’univers, celui qui a le plus grand pouvoir sur l’histoire ou celui qui détient la majorité de la vérité. C’est ainsi que les populations s’affrontaient dans le Proche-Orient Ancien. La religion biblique a radicalisé ce concours de divinité en affirmant que son Dieu avait tout créé. A partir de là, la compétition était finie, plus personne ne pouvant rivaliser – du moins du point de vue des personnes adhérant à la religion biblique.

Mais, en se mettant à la place d’une personne qui n’adhère pas à la foi biblique, que penser de l’affirmation selon laquelle nous avons été créé par un Dieu en lequel on ne croit pas ou, pour le dire de manière encore plus radicale, que signifie avoir été créé par un Dieu qui n’existe pas ? C’est inaudible. Il n’est donc pas étonnant que les Athéniens écoutent Paul sans être finalement d’accord avec lui.

Cela ne retire rien au fait que Paul ait raison, mais cela n’est compréhensible que de l’intérieur de la foi chrétienne. On ne peut comprendre Paul en tenant compte du fait que l’affirmation du Dieu créateur de l’univers est une manière théologique de dire que nous sommes toutes et tous en communion les uns avec les autres car nous partageons toutes et tous la même condition. Nous sommes tous des créatures, créées face au même avenir. Le philosophe et le croyant, le chrétien et l’athée, tous partagent une condition unique et sont vraiment humains quand ils font face à la vie, une vie dans laquelle nous sommes foncièrement solidaires, la vie de chacun étant interdépendante de la vie de chaque autre humain. Pour le dire avec le poète que l’apôtre Paul convoque (v. 28) : nous sommes de la race de Dieu !

  1. Un même langage

Paul engage le dialogue avec les philosophes sur un autre terrain qui indique la communion qui existe entre les philosophes et lui, le théologien : celui du langage. Paul reprend le vocabulaire philosophique pour étayer son exposé théologique. Quand il dit qu’en Dieu nous avons la vie, le mouvement et l’être (v. 28), Paul utilise clairement les mots de la philosophie. En faisant cela, Paul est audacieux d’une audace qui ne ravirait pas tous les chrétiens de nos jours, en particulier ceux qui pensent que la théologie n’a pas à s’abaisser au niveau de la philosophie ou de n’importe quelle science d’ailleurs. Ce que fait Paul va même à l’encontre de ceux qui considèrent que nous avons tout dans la Bible, tout dans la théologie, pour dire la vérité de l’univers et qu’il est inutile d’emprunter quelque outil que ce soit à une autre discipline universitaire. A cela, le théologien Paul Tillich a apporté une réponse dans son étude sur le rapport entre la philosophie et la foi : « Le ministre fondamentaliste qui m’a dit : « pourquoi avons-nous besoin de la philosophie alors que nous possédons toute la vérité à travers la révélation », ne réalise pas qu’en utilisant les mots « vérité » et « révélation », il était déterminé par une longue histoire de la pensée philosophique[1] ». Les théologiens, même ceux qui ont à cœur d’être purement dans le champ biblique, utilisent des concepts philosophiques pour faire de la théologie, ce qui leur permet d’enrichir utilement leur langage.

En allant clairement sur le champ de la philosophie plus particulièrement avec les mots « mouvement » et « être », mais aussi avec le temps « kairos », Paul indique qu’il est possible de se comprendre. Le dialogue est possible et si les emprunts de vocabulaires sont fructueux, c’est parce que nous sommes bel et bien en communion les uns avec les autres. Etre en mesure de partager la parole est bien le signe d’une communion profonde dont tout le reste découle. C’est lorsque nous sommes en mesure de partager la parole que nous pouvons aussi partager le pain. C’est quand les mots peuvent avoir un sens commun que nous pouvons vivre ensemble, bâtir ensemble, espérer ensemble.

En utilisant ostensiblement le vocabulaire des philosophes, l’apôtre Paul donne à la philosophie ses lettres de noblesse, comme il aurait pu le faire pour toute autre discipline qui permet aux humains de mieux se connaître et de mieux connaître leur univers. Ce qui nous conduit au troisième aspect de la communion.

  1. Une perspective commune

En effet, le discours de Paul vers un objectif : souligner que nous avons tous en commun une même perspective. Quand il déclare que l’humanité cherche Dieu pour le trouver, si possible, en tâtonnant, il indique que les croyants adoptent la démarche qui est aussi celle des philosophes et des scientifiques en général : essayer, tester des hypothèses, retenir celles qui améliorent la compréhension de la vie, essayer encore, constater qu’une réponse qu’on jugeait excellente doit être remplacée par une autre encore meilleure etc.

Mais il ne suffit pas d’avoir une démarche commune pour être en communion avec le même Dieu. Encore faut-il que la perspective soit identique. Or c’est à cela que l’apôtre Paul nous conduit : découvrir que la perspective de la philosophie est aussi celle de la théologie. Pour cela, je reprends la définition que Paul Tillich donne de la philosophie, dans son étude : « la philosophie essaie de montrer la présence de l’être et de ses structures dans différents domaines : dans la nature et dans l’homme, dans l’histoire et dans les valeurs, dans la connaissance et dans la religion[2] ». N’est-ce pas, également, le projet de la Bible ? La Bible n’est-elle pas cette bibliothèque qui contient les récits auxquels nous accordons crédit, auxquels nous faisons foi, pour repérer l’être à l’œuvre dans notre monde, pour découvrir les traces laissées par Dieu dans l’histoire, c’est-à-dire les traces de ce que nous nommons Dieu et que la Bible hébraïque nomme « ce qui fait exister ». La Bible comme la collection des textes pour discerner ce qui nous permet d’être dans le tohu-bohu ambiant. Et lorsque nous lisons les évangiles pour y entendre les paroles de Jésus, n’y entendons-nous pas l’expression de son être qui est la plénitude de l’être ? Quand Pilate dit de Jésus « voici l’humain », n’est-ce pas l’indice qu’en se mettant à l’écoute des paroles attribuées à Jésus nous entendrons résonner les paroles qui nous permettent d’être, vraiment, comme ce fut le cas pour Jésus.

Et nous pourrions en dire tout autant avec le théâtre de Shakespeare, les contes de Grimm, la messe en ut mineur de Mozart et certaines fêtes et bien des poésies aussi. Il y a dans notre culture, dans l’histoire de notre humanité, bien des manières de repérer l’être, pour l’encourager, pour le favoriser, pour lui donner un peu plus d’ampleur.

Y a-t-il plusieurs dieux uniques ? L’apôtre Paul nous amène à penser qu’il y a une foi chez tous les humains, non pas une foi qui croit des vérités particulières, un catéchisme particulier, mais une foi qui consiste à être entièrement saisi par la quête de la vie en plénitude, être pleinement saisi par ce qui a une valeur ultime dans la vie, ce qui constitue la réalité ultime de notre monde, lorsque nous sommes totalement saisis par Dieu. Quels que soient notre situation, notre place, notre statut, quels que soient nos marqueurs identitaires, nos échecs et notre passé, nous sommes au bénéfice de la puissance créatrice du même Dieu pour le dire avec les mots de la foi. Pour le dire avec les mots de la philosophie, notre être personnel partage le même fondement de l’être que nos frères et sœurs en humanité ; et nous partageons les mêmes questionnements, les mêmes interrogations existentielles ; nous sommes affrontés aux mêmes questions existentielles. Et nous avons un patrimoine culturel qui nous permet d’y répondre à notre manière. D’autres personnes ont un autre patrimoine culturel et ils y répondent à leur manière. Mais en fin de compte, de manière ultime, nous sommes affrontés au même réel, à cette même espérance d’une vie portée à son incandescence. C’est ce qui explique que nous puissions partager la langue, la parole, autrement dit ce qui peut donner du sens à notre vie, ce qui peut l’orienter en direction de ce qui est véritablement décisif, que nous nommons Dieu, comme le faisaient les philosophes par le passé, avant que l’argument de superstition se retourne vers ceux qui utilisent désormais ce mot.

Alors, avec Paul Tillich, nous pouvons dire : « Le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob et le Dieu des philosophes est le même Dieu[3] ». Et nous pouvons nous mettre à l’écoute des uns et des autres, que nous soyons philosophes ou non, que nous soyons chrétiens ou non, pour découvrir de nouvelles facettes de l’existence qui nous échappaient jusque-là et mieux connaître le Dieu que nous célébrons sans le connaître vraiment.

Amen

[1] Paul Tillich, Religion biblique et recherche de la réalité ultime. Paris, Cerf, 2017, p.24.

[2] Paul Tillich, Religion biblique…, p. 21.

[3] Paul Tillich, Religion biblique…, p. 131

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