Il y a plus de bonheur à donner qu’à recevoir

Actes 20:32-37
32 Et maintenant je vous recommande à Dieu et à la parole de sa grâce, à celui qui peut édifier et donner l’héritage avec tous les sanctifiés.  33 Je n’ai désiré ni l’argent, ni l’or, ni les vêtements de personne.  34 Vous savez vous-mêmes que ces mains ont pourvu à mes besoins et à ceux des personnes qui étaient avec moi.  35 Je vous ai montré de toutes manières que c’est en travaillant ainsi qu’il faut soutenir les faibles, et se rappeler les paroles du Seigneur, qui a dit lui-même : il y a plus de bonheur à donner qu’à recevoir.  36 Après avoir ainsi parlé, il se mit à genoux, et il pria avec eux tous.  37 Et tous fondirent en larmes, et, se jetant au cou de Paul, ils l ’embrassaient.

 

Bien souvent, nous infligeons aux textes que nous lisons le sens qui nous arrangerait ou le sens qui semble aller de soi. Ainsi, le livre de Qohelet (3/2-8) offre une grande palette de verbes présentés en duo (enfanter et mourir, planter et arracher le plant, tuer et guérir, démolir et bâtir, pleurer et rire…) qui sont le plus souvent mis opposition, l’un étant considéré comme positif et l’autre comme négatif. Cette liste serait celle des contraires et l’ensemble formerait une sorte de jeu à somme nulle – ce qui éviterait les plaintes. Toutefois, ces verbes sont plus neutres qu’on le veut parfois. Ainsi, garder n’est pas plus positif que jeter : garder une rancune tenace ne vaut pas mieux que jeter une bouée en direction de la personne qui se noie.

Il en va de même dans ce passage des Actes des Apôtres avec cette phrase « il y a plus de bonheur à donner qu’à recevoir » (v.35). Le don semble tellement l’affaire du christianisme, cela ressemble tellement à ce qu’accomplit la grâce qui est au cœur de la foi chrétienne, qu’il semble évident que donner soit largement préférable à recevoir. Et pourtant… changeons cette phrase de contexte pour découvrir qu’elle peut prendre un sens tout à fait opposé à celui que nous imaginons, spontanément, dans une perspective chrétienne. Cette phrase pourrait, en effet, figurer au fronton d’une salle de boxe et, dans ce cas, il n’est pas sûr que les chrétiens l’apprécieraient de la même manière. Ce que nous aurions volontiers pris pour la devise des chrétiens pourrait tout aussi bien être la devise des boxeurs. Cela a de quoi laisser songeur.

Cela montre que les textes bibliques sont composés de phrases beaucoup plus neutres que ce que nous imaginons et qu’ils laissent beaucoup plus de place à l’interprétation, du moins lorsque nous retirons les phrases de leur contexte, car le contexte contribue largement à préciser le sens de cette phrase et à en limiter les surinterprétations possibles. De fait, il est précisé juste avant : « Je vous ai montré de toutes manières que c’est en travaillant ainsi qu’il faut soutenir les faibles, et se rappeler les paroles du Seigneur, qui a dit lui-même… ». Soutenir les faibles donne à notre phrase toute sa couleur, tout son sens, sa véritable orientation. Avec cette précision, il n’est plus question d’envisager de donner des coups aux plus faibles ; impossible d’envisager de matraquer les faibles, que ce soit au sens physique, au sens fiscal ou au sens moral – ce qui reviendrait à les assommer de culpabilité – pour autant que nous souhaitions rester fidèles à la perspective de l’Evangile.

L’enseignement de Jésus, s’il nous a mis sur la piste du don, et même du don inconditionnel, nous a également offert une perspective pour ne pas faire du don l’exact opposé de ce que nous sommes appelés à vivre. Le sermon sur la montagne, par exemple, nous indique dans quelles voies le don peut s’effectuer, quels en sont les destinataires et ce qui est espéré à leur sujet. Avec Jésus, le don devient la marque de l’amour authentique et non l’occasion de se défouler, de passer ses humeurs ou de se sentir exister sur le dos de l’autre. Parce qu’il est marqué du sceau de l’amour, le don ne saurait être une manière d’endetter quelqu’un pour le rendre esclave de notre gentillesse supposée (je te rends service dans l’espoir que tu me rendes service à ton tour, plus tard).

« Savoir qu’un être au moins respire mieux parce que vous êtes passé en ce monde ; voilà ce que j’appelle réussir sa vie. »

C’est d’ailleurs le sens de ce passage du livre des Actes par lequel il est bien précisé que l’apôtre Paul n’a pas pesé sur la communauté qui l’accueillait, mais qu’il a travaillé de ses mains pour subvenir à ses besoins et à ceux de ses collaborateurs. Ainsi, l’apôtre Paul a pu se rendre entièrement disponible à la cause qu’il servait, sans en faire porter le poids sur ceux qu’il était censé servir, sans les instrumentaliser pour son propre intérêt. Et, dans ce cas, il y a effectivement plus de bonheur à donner qu’à recevoir car en offrant au faible ce dont il a besoin pour acquérir une plus grande liberté, on lui donne les moyens de devenir responsable de sa vie. Quel plus grand bonheur que de rendre quelqu’un plus libre de ses mouvements, de ses opinions, de ses engagements ? Quel plus grand bonheur que de permettre à quelqu’un de pouvoir exercer des responsabilités ? Le philosophe Ralph Emerson l’exprima magnifiquement dans une maxime qui, pour le coup, pourrait être érigée en loi universelle : « Rire souvent et sans restriction ; s’attirer le respect des gens intelligents et l’affection des enfants ; tirer profit des critiques de bonne foi et supporter les trahisons des amis supposés ; apprécier la beauté ; voir chez les autres ce qu’ils ont de meilleur ; laisser derrière soi quelque chose de bon, un enfant en bonne santé, un coin de jardin ou une société en progrès ; savoir qu’un être au moins respire mieux parce que vous êtes passé en ce monde ; voilà ce que j’appelle réussir sa vie. »

 

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