Genèse 1/26-27
26 Puis Dieu dit: Faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance, et qu’il domine sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, sur le bétail, sur toute la terre, et sur tous les reptiles qui rampent sur la terre. 27 Dieu créa l’homme à son image, il le créa à l’image de Dieu, il créa l’homme et la femme.
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La création coopère
Chers frères et sœurs, à qui Dieu parle-t-il lorsqu’il déclare : « faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance » ? A ce moment du récit, Dieu a créé le jour et la nuit, il a créé le ciel, la mer, la terre sèche, la nature, les étoiles et la lune ainsi que les animaux. Lorsque Dieu dit : « faisons l’homme à notre image et selon notre ressemblance », à qui dit-il cela ? A l’univers… dans une formule majestueuse soulignée par le « nous » de majesté, formule qui serait justifiée par le fait que, cette fois, nous passons aux choses sérieuses puisqu’il va être question de l’être humain et non plus seulement du décor ? À la nature… ce qui justifierait qu’on parle aux plantes encore de nos jours ? Aux animaux… qui nous prouve de bien des manières qu’ils comprennent ce que nous leur disons, c’est en tout cas une réalité que nous pouvons vérifier auprès de quelques uns de nos animaux de compagnie.
Nous aurions certainement tort de rejeter cette hypothèse trop rapidement. Et pourtant, que pourrait bien faire la lune ou la mer méditerranée pour qu’un humain voie le jour, me direz-vous ? Que peut-on attendre d’un ver de terre ou d’un brin d’herbe pour que surgisse un être humain ? Alors prenons un élément de notre environnement aussi inerte que possible, un élément sans aucune conscience revendiquée par qui que ce soit : un flocon de neige. Jetons-le dans notre métropole et voyons ce qui se passe, observons quels en sont les effets. Ah ! Avoir recours à l’environnement pour faire l’homme est soudainement moins farfelu. Nous mesurons à quel point ce qui nous entoure a un impact sur nous-mêmes, aussi bien sur le plan physique, puisqu’il faut bien avoir de quoi se nourrir pour vivre, mais aussi de la lumière, de l’eau, toutes choses indispensables pour exister, que sur le plan moral. Car l’expérience de la neige dans l’Hérault nous indique à quel point notre être intérieur se construit en fonction des éléments qui nous environnent. Les situations ont une influence sur nous ; elles nous poussent, elles nous contraignent, elles nous font réagir. Que faire lorsque nous sommes confrontés à des personnes échouées sur les routes, dans les rues, dans nos quartiers, alors que la température est suffisamment basse pour être dangereuse pour l’organisme d’une personne sans équipement spécifique ?
Lorsque Dieu dit « faisons l’homme », à qui s’adresse-t-il ? Une réponse possible serait la création qui est là, convoquée pour faire un être moral, un être qui sera responsable, qui réagira face aux imprévus, face à l’inattendu ; un être moral qui sera capable de dominer sur la création tout entière au sens d’exercer une responsabilité sans limite. C’est d’ailleurs bien ainsi que l’a compris le traducteur grec des Septante qui a utilisé le verbe arkho qui signifie « être chef, mener, conduire ». La création serait alors la haute école de la nature qui nous enseigne quelques grandes leçons utiles pour apprendre notre métier d’humain, à la manière de ce qu’écriront quelques philosophes nord-américains ou de ce que mettra en œuvre Baden-Powell à travers le scoutisme. Cette étrange formule au pluriel, alors que Dieu est « un », peut laisser entendre qu’il coopère avec la création pour faire se lever l’humanité. La théologie dite du Process, peut y entrevoir la création de l’humain comme ce processus qui traverse le monde, comme cette montée en puissance de l’humanité qui se construit sur le monde existant pour lui apporter un degré supérieur d’accomplissement. Dieu désigne ce qui attire le monde vers cet accomplissement supérieur, vers ce plus haut degré de réalisation. Et Dieu ne fait pas à partir de rien, il ne fait pas ex nihilo, selon la formule latine, mais à partir de ce qui est à disposition. Dans cette perspective, Dieu est l’appel à la vie qui retentit d’âge en âge et de lieu en lieu pour qu’existe plus intensément ce qui n’est encore qu’en germe, ce qui n’est pas encore visible à l’œil nu. Ce « faisons l’homme » est une prière divine adressée à toute la création. Et, bien entendu, si nous disons que la création coopère, c’est toute la création qui est mobilisée, y compris les vivants que nous sommes. Ainsi, le naturaliste Théodore Monod qui avait passé des années à observer la marche du monde et à explorer l’humanité, avait cette formule saisissante : « on a retrouvé le chaînon manquant entre le singe et l’homme : c’est nous ! » Voilà une manière de dire que nous participons à la création de l’humanité, que nous sommes sur un chemin d’humanisation et que Dieu est ce qui nous attire vers cet horizon d’humanité.
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Image et ressemblance
Toutefois, si nous revenons à notre exemple du flocon de neige, l’expérience montre qu’il ne suscite pas que fraternité, générosité et autres sentiments altruistes. Le flocon de neige peut aussi provoquer des fermetures de portes, des chacun pour soi et Dieu nulle part ! Autrement dit, le chemin d’humanisation n’a rien de naturel ; il n’a rien d’automatique. Il ne suffit pas d’avoir un cœur qui bat pour vivre pleinement. La création de l’homme n’est pas inéluctable. C’est le sens de la suite du verset qui précise que l’homme sera fait « à notre image et selon notre ressemblance », c’est-à-dire en fonction du monde en tension avec Dieu. Cela indique vers quoi tend l’humanisation. Cela oriente le chemin de l’homme. Et tout d’abord, levons un malentendu produit par la langue française au sujet du terme « homme » qui, en hébreu, concerne l’humain (homme et femme), comme cela sera tout à fait explicité au verset suivant. Lorsque Dieu crée l’Adam, c’est-à-dire l’être humain, c’est en incluant le masculin et le féminin. Ici, Adam n’est pas un nom propre, mais un nom commun qui englobe l’homme et la femme. Ce récit présente donc la création du masculin et du féminin de manière simultanée et non l’un puis l’autre. Adam a un caractère on ne peut plus universel.
Ensuite intéressons-nous aux indications données sur ce que l’homme peut être. Image et ressemblance de Dieu. Le terme hébreu pour « image » (TseLeM) a une connotation matérielle, plastique. C’est une image concrète qui indique le caractère matériel de l’humain qui sera physique, contrairement à Dieu qui ne l’est pas. Adam, l’humain, l’ensemble de l’humanité, est concrètement Dieu. L’humanité incarne Dieu, dit la Bible dès son premier chapitre, avant tout développement ultérieur sur le Christ qui incarne la volonté de Dieu. Dès Genèse 1, Dieu s’incarne au sein de l’humanité dont nous sommes tous membres, de manière inconditionnelle, indépendamment de notre statut social, de nos appartenances ou de nos non-appartenances.
Quant au terme hébreu pour « ressemblance » (DeMouT), il renvoie à la similitude, à la comparaison. Cela indique un écart entre ce qui est et ce qui pourrait être. Cela indique un écart différentiel et donc une évolution possible. Il y a du jeu, il y a de la liberté. L’emploi de ce terme pour parler de l’humanisation de l’homme dit bien que nous sommes dans un processus qui n’en finit pas, que nous sommes inachevés, infinis. Cette fois, ce n’est pas notre dimension matérielle qui est évoquée, mais notre dimension spirituelle : en nous souvenant que la langue hébraïque nomme le vent, le souffle, ce que nos traductions françaises rendent par « esprit »… la dimension spirituelle, l’esprit, c’est le souffle qui nous transporte, qui nous porte plus loin que ce que nous serions spontanément.
Et, dans les deux cas, la dimension matérielle et la dimension spirituelle sont en relation à Dieu ; elles ont Dieu pour perspective – ce qui implique d’en savoir un peu sur Dieu, de manière à nous orienter convenablement pour nous humaniser plutôt que d’aller dans le sens du tohu-bohu, du chaos primordial. C’est précisément l’objet des textes bibliques de nous révéler ce que Dieu désigne, de sorte que nous puissions y adhérer, de sorte que notre confiance, notre foi en cette espérance puisse se développer et se fortifier. N’oublions pas que ce texte n’est pas écrit pour nous raconter comment les choses se sont passées à un temps zéro qui n’a vraisemblablement jamais existé. Ce texte a été écrit pour que des lecteurs, notamment nous, pensent leur condition, pensent leur existence, et lui donnent la plus grande ampleur qui soit. La suite des textes bibliques a précisément pour objet de révéler quel est le contenu de cet appel à la vie qui retentit en Genèse 1, cette prière divine lancée à la création tout entière pour qu’elle s’humanise, pour que chaque histoire personnelle se porte vers ce que les textes donneront à espérer : la possibilité d’éprouver quelques satisfactions dans la vie quotidienne sans pour autant sacrifier la justice ou la liberté ; la possibilité d’aimer et d’être aimé de manière inconditionnelle ; la possibilité de métamorphoser les situations difficiles voire épouvantables en étape vers une joie profonde ; la possibilité de travers les deuils et de retrouver le goût de la vie…
Ce récit de la création qui concerne notre aujourd’hui, nous déclare que nous sommes toutes et tous ces êtres qui peuvent être créés à l’image de Dieu, selon sa ressemblance, c’est-à-dire capables d’incarner une vie harmonieuse avec le reste de la création, et toujours capables de progresser vers une meilleure compréhension de ce que vivre veut dire. Nous sommes toutes et tous ces êtres capables de coopérer à l’humanisation du monde.
Amen