Des hommes qui lisent

Edouard Philippe est fétichiste. Pour lui, les livres sont sacrés. Il ne les prête, ni ne les jette. Il ne les pose pas sur la tranche. Pour autant, son amour des livres n’a rien d’une adoration stérile, une sorte de superstition qui consisterait à accumuler les ouvrages dans le fol espoir de devenir un être cultivé par la seule possession de l’objet totem.

Des hommes qui lisent

Des hommes qui lisent est avant tout un récit par lequel il exprime sa reconnaissance envers ses parents qui lui ont donné le goût de la lecture, ce qui est bien autre chose que le goût des livres. Ses parents voulaient qu’il aime lire. Ce désir est accompli. Et ce récit est une manière de les en remercier, eux et tous ceux qui ont pris une part significative dans son éveil. Edouard Philippe raconte ce que son histoire personnelle doit à la lecture comme d’autres diraient ce que leur vie doit à Dieu. Il y a quelque chose de l’entrée en religion dans la passion qu’il voue à la lecture. Et sa foi est communicative. Comment ne pas avoir envie de consacrer plus de temps à la lecture après avoir lu son plaidoyer ?

La lecture plutôt que les livres. Cela se manifeste à travers la présentation que fait Edouard Philippe du projet qu’il a mené au Havre quand il en était maire. Comment faire aimer la lecture ? Certains auraient misé un peu plus sur les bibliothèques municipales, « ces temples du livre ». « Mais, justement, les bibliothèques sont trop souvent réservées à ceux qui y sont déjà entrés. L’immense majorité des utilisateurs d’une bibliothèque aiment déjà les livres. Il ne faut ni s’en plaindre, ni le regretter, mais il est important de l’admettre, pour ne pas tomber dans le piège d’une politique de la lecture qui serait exclusivement fondée sur les bibliothèques publiques ». Un pasteur ne dirait pas autre chose de la foi : les temples sont trop souvent réservés à ceux qui y sont déjà entrés et qui sont déjà croyants…

La lecture plutôt que les livres. Deuxième écueil qu’évite Edouard Philippe, la distribution massive de livres qu’il juge inefficace : « il ne suffit pas de mettre des livres en face des gens pour qu’ils les ouvrent et pour qu’ils les lisent. (…) Il faut, le plus souvent, amener à la lecture, parfois par le livre, parfois autrement. » Là encore, offrir une Bible ne suffit pas à susciter la foi.

La lecture plutôt que les livres. Lucide, il reconnaît qu’il pourrait y avoir un risque à faire du livre un fétiche : « la cible d’une politique publique de la lecture est le lecteur, pas le livre ». L’objectif est d’organiser la rencontre entre les individus et les œuvres.

La rencontre se fit en allant au devant des personnes, en installant des petites bibliothèques dans des lieux qui n’en étaient pas, là où les gens vont régulièrement, et en facilitant l’emprunt par la gratuité et la possibilité de reposer le livre à n’importe quel endroit, l’offrant ainsi à la possibilité d’une nouvelle rencontre avec une autre personne. Quatre-vingts points de lecture ont été installés. Mais encore fallait-il donner l’envie de lire. On trouvera dans le livre quelques idées et anecdotes qui pourraient inspirer utilement d’autres maires et qui permettront à des enfants de s’exclamer « Faust, c’est vachement bien ! »

En outre, ce livre permet une rencontre avec le Premier Ministre qui révèle son humour, ses évolutions intellectuelles, idéologiques ; qui explique son parcours politique ; qui analyse la campagne présidentielle de 2017 ; qui affirme en maints endroits son goût pour la liberté qui guide sa réflexion et ses engagements, qui le fait sortir régulièrement de sa zone de confort et des cases dans lesquelles on enferme si facilement les individus. Quelques pages sur sa pratique de la boxe disent à quel point la lecture n’est pas non plus une fin en soi. Si le livre conduit à la lecture, la lecture conduit à l’intelligence, la liberté et l’humain. La lecture ? « C’est un pari, sur la liberté et sur l’homme ». Ce qu’il écrit de Magid, de la boxe, des livres et de lui indique l’esprit qui l’anime. J’appelle cela la vie en plénitude, la vie portée à son incandescence. Ce qu’il dit du « sac » n’est pas sans faire penser à ce que les théologiens ont dit de la Bible et de sa lecture : « Lorsqu’on commencer à travailler au sac, on se rend compte assez vite que c’est le sac qui vous travaille et pas l’inverse. » Ainsi, c’est la Bible, la bibliothèque, le livre, qui nous lisent, nous qui pensons être des lecteurs qui maîtrisons le processus de la lecture de bout en bout. La lecture rend possible l’inattendu qui, pour le théologien, peut être la trace du divin.

Pourquoi lire ? Parce que « lire, c’est prendre de la distance, acquérir une vision, se constituer tout au long de la vie ». Nous pourrions en dire tout autant de la prière. « Que serait une vie sans la lecture, sans cette sédimentation imparfaite et aléatoire d’expériences, de connaissances et de sensations qui s’additionnent et s’assemblent de façon unique pour s’y ajouter et pour l’embellir ? Lire, c’est accéder à des expériences inconcevables – et bien souvent non souhaitables ! – et éprouver des sentiments extrêmes mais qui font partie de l’expérience totale de l’humanité. » Remplaçons « lecture » par « prière », « totale » par « universelle » et nous avons le sens de prière, de la spiritualité, qui ne s’enferme pas dans une ornière, mais goûte à tout ce que l’humanité produit pour rendre compte de son expérience du sacré, de ce qui a pour elle un caractère ultime.

A quoi mène la lecture ? Au « Paradis », conclut Edouard Philippe, indiquant que le Paradis n’est pas géographique, mais temporel, qu’il est un moment – le théologien parle du kairos, le temps qui se mesure non selon la durée, mais selon la qualité de ce qui est vécu. Il ne manque que le Amen final.

A toutes les idées pour faire aimer la lecture, s’ajoute désormais ce livre, à offrir comme une occasion de rendre nos amis (et nos ennemis) un peu plus vivants.

Edouard Philippe, Des hommes qui lisent. Paris, Jean-Claude Lattès, 2017.

2 commentaires

  1. En lisant leswoody.net, je me suis dit tout le temps, je sais à qui je vais l’offrir pour Noël. Je ne me doutais pas de trouver cette idée cadeau à la fin.

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