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1 Thessaloniciens 5/16-18
16 Soyez toujours joyeux.
17 Priez sans cesse.
18 Rendez grâces en toutes choses, car c’est à votre égard la volonté de Dieu en Jésus Christ.
Chers frères et sœurs, nous voici sur le seuil de l’année 2017, au début de la période des vœux. Ainsi que l’écrivait récemment André Gounelle au sujet de ces vœux : « Je voudrais qu’ils soient autre chose qu’une formule de politesse vide et rituelle. J’aimerais qu’ils n’expriment pas seulement de vagues souhaits ». Une telle chose est possible si nous suivons la recommandation de l’apôtre Paul. Souhaitons-nous la joie et cela ne sera pas seulement un vœu pieux, une manière d’honorer gentiment les convenances. Car la joie est à notre portée. Elle est à portée de prière, précise l’apôtre. Voulez-vous toujours vous réjouir ? Alors priez sans cesse, recommande l’apôtre Paul. Joie et prière vont ensemble ou, pour le dire plus directement, la prière nous apporte la joie, pour cinq raisons que j’aimerais maintenant examiner avec vous : cinq raisons qui nous indiquent ce qui peut susciter la joie dans notre existence.
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Unité personnelle
La première raison tient à l’essence même de la prière. Lorsque nous prions, nous sommes une personne capable de dire « Je ». Même si la prière n’est pas théologiquement très correcte, même si elle contient des horreurs, elle est d’abord l’action d’une personne qui se met à balbutier, à exprimer quelque chose, qu’il s’agisse de souhaits, de reproches, de questions. Prier, c’est commencer à donner de la consistance à notre vie en la mettant en mots ou en pensées. A la limite, peu importe la forme de la prière, peu importe sa durée, peu importe son destinataire ou son absence de destinataire. Quand je prie, je suis. Tout peut s’écrouler autour de nous, tout peut s’effondrer, il reste ce « Je », « moi », chacun de « nous », priant, semblable au philosophe René Descartes qui va au bout de sa méditation, qui va au bout de son exploration du réel et bute, finalement, sur ce « Je », sur « soi », qui résiste à toutes les tentatives d’élimination, qui résiste au doute le plus sérieux qui soit.
Prier nous donne la certitude d’exister. Quand nous prions, nous ne sommes plus sans consistance, nous ne sommes plus dispersés aux quatre vents : nous nous rassemblons dans quelques mots, peut-être fragiles, peut-être incertains, mais sous lesquels nous découvrons la certitude d’être quelqu’un. Recule alors l’angoisse de n’être pas, se lève alors la joie d’être bel et bien. Mieux que cela, notre vie peut-être trop fragmentée à notre goût, trouve une forme d’unité dans le récit que nous en faisons. La joie de l’unité est d’abord la joie de notre propre unité, de notre unité personnelle, de l’unité de tout ce qui fait notre histoire personnelle. La prière nous révèle que nous sommes quelqu’un et cela est déjà un motif de joie.
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Altérité
La deuxième raison pour laquelle la prière peut susciter ou ressusciter notre joie tient à ce qu’elle nous ouvre à l’altérité. Quel que soit le nom que l’on donne à Dieu, quelle que soit l’image que l’on se fait de celui à qui la prière s’adresse, le fait que notre prière soit faite devant ce que nous nommons Dieu nous ouvre à la transcendance, ce mot qui exprime le fait que le monde n’est pas à notre échelle personnelle, que l’homme n’est pas la mesure de l’homme, qu’il y a un univers en dehors de nous, en dehors de nos préoccupations et qu’il y a, dans cet univers, plus à vivre que ce que nos rêves personnels, nos espoirs et nos vœux peuvent nous indiquer.
Prier, pour un croyant tel l’apôtre Paul, c’est se placer devant l’Eternel qui désigne, à tout le moins, plus grand que soi. Et rendre grâces en toutes circonstances, comme nous y invite l’apôtre, c’est découvrir que ce plus grand que soi peut être bénéfique, que nous pouvons y trouver matière à être plus joyeux. La prière nous permet de transcender ce qui nous oppresse, ce qui nous mine, ce qui nous fait horreur. Car la prière nous indique qu’il y a une réserve de grâce hors de nous : cette réserve de grâce est une terre qui nous est promise. En somme, la prière débouche notre horizon barré par ce qui nous fait souci.
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Complicité
La troisième raison est la conséquence de l’altérité prise au sérieux par la prière. En nous ouvrant à l’extérieur, la prière nous relie non seulement à Dieu, mais à celles et ceux qui nous entourent. La prière nous insère dans la communauté humaine. La prière provoque une complicité, voire une fraternité. Parce que la prière est d’abord une narration de l’intime, une mise en récit de ce que nous sommes, avant d’être le catalogue des sujets pour lesquels il convient de faire quelque chose, la prière nous donne une place dans le monde, elle nous intègre dans le tissu humain et, plus largement, dans l’histoire. Nous voilà plus fermement le compagnon, le frère, de celles et ceux qui sont à nos côtés.
Mais ceux que nous détestons prennent aussi plus de consistance et ceux qui nous menacent, ceux qui nous font peur sont alors d’autant plus menaçants, me direz-vous ? Le théologien Dietrich Bonhoeffer a répondu à cette remarque d’une manière qui renouvelle considérablement l’idée que nous pouvons nous faire de la prière. Dans l’ouvrage De la vie communautaire (Labor et Fides, Genève, 2007, page 77), il écrit au sujet de la prière d’intercession : « Quand je prie pour un frère, je ne peux plus en dépit de toutes les misères qu’il peut me faire, le condamner ou le haïr. Si odieux et si insupportable que me soit son visage, il prend au cours de l’intercession l’aspect de frère pour lequel le Christ est mort, l’aspect du pécheur gracié. Quelle découverte apaisante pour le chrétien que l’intercession : il n’existe plus d’antipathie, de tension ou de désaccord personnel dont, pour autant qu’il dépende de nous, nous ne puissions triompher. L’intercession est bain de purification où, chaque jour, le fidèle et la communauté doivent se plonger. Elle peut signifier parfois une lutte très dure avec tel d’entre nos frères, mais une promesse de victoire repose sur elle. Comment est-ce possible ? C’est que l’intercession n’est rien d’autre que l’acte par lequel nous présentons à Dieu notre frère en cherchant à le voir sous la croix du Christ, comme un homme pauvre et pécheur qui a besoin de sa grâce. »
La prière renforce notre lien au prochain et crée, de fait, un réseau qui nous apporte une sécurité nouvelle, comme l’alpiniste qui est encordé et qui, de ce fait, réduit le danger. Moins de danger, moins d’agression, plus de place pour la joie.
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Relativité
La quatrième raison est, elle aussi, une conséquence de la précédente : la prière permet de relativiser. La prière agit comme un filtre qui permet de distinguer l’essentiel de l’accessoire. Face à l’Eternel, ce que nous portons dans la prière prend non seulement une nouvelle signification, mais une nouvelle valeur. Penser à ce qui nous préoccupe et le placer au regard des sujets qui traversent notre monde ou qui ont traversé l’histoire de l’humanité, voilà une formidable manière de relativiser ce que nous éprouvons. En disant cela je ne dis nullement qu’il faut minorer nos problèmes, que nous devons ravaler notre éventuelle tristesse au prétexte que d’autres seraient plus malheureux.
D’abord, relativiser ne veut pas dire amoindrir. Relativiser, ce peut être augmenter. Et la prière peut fort bien nous conduire à intensifier notre goût pour la vie, notre désir de s’investir dans un projet, notre ardeur à militer pour une cause. Relativiser, c’est ajuster. Relativiser, c’est donner sa juste place aux idées. C’est par exemple les passer par le crible de ce que la Bible a retenu comme essentiel à la vie bonne. Relativiser, c’est mettre en relation les éléments qui font notre vie, mais aussi les hiérarchiser. C’est, le cas échéant, se débarrasser de ce qui encombre inutilement notre quotidien, c’est se vider de ce qui nous retient de réaliser ce qui nous semble juste. Se vider ce qui étouffe notre joie.
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Liberté
La cinquième raison tient à la liberté. La prière nous libère. La prière nous libère de ce qui nous ballote malgré nous. Le réformateur Martin Luther proposait, quand la journée qui s’ouvrait débordait de choses à faire, quand elle semblait insurmontable, de commencer par prendre une heure pour prier. Prier est alors une manière de reprendre la main, c’est une manière de résister au flux d’événements qui nous emportent sans que nous ayons notre mot à dire, sans que nous puissions intervenir d’une manière ou d’une autre. Prier, c’est commencer à ne plus subir. Prier, c’est injecter dans le cours ininterrompu de nos journées, de nos semaines, de l’année à venir, une rupture qui nous fait un peu de place. C’est injecter ce que nous sommes. C’est injecter notre singularité et donc notre propre altérité.
A bien y regarder, lorsque nous rompons le cours habituel de la vie, lorsque nous rompons la monotonie du quotidien, en injectant au moins un peu de notre désir, de ce que la prière a pu nous indiquer comme étant ce vers quoi il est juste et bon que nous tendions, alors le quotidien cesse d’être morne et terne. Pour reprendre le terme de la théologie du Process, nous participons à l’enjoyment du monde. Nous pourrions dire que nous rendons la vie autrement plus jouissive. La prière rend la vie plus jouissive, elle est utile pour l’enjoyment du monde.
Chers frères et sœurs, la Bible n’est pas très précise sur ce qu’une prière doit être ou ne pas être. La Bible n’est pas prolixe en détail sur le contenu que doit avoir notre prière, parce que la prière est l’acte de liberté par excellence qui est à disposition de notre spiritualité. C’est cette liberté qui est le degré ultime de notre parcours pour retrouver la joie perdue. La joie est la conséquence directe de la liberté. Et c’est le vœu que l’Eternel forme pour chacun de nous : Dieu nous souhaite la joie.