Ephphatha : la spiritualité du corps, de l’esprit et de l’âme


La liturgie de ce culte est la cantate BWV 35 de JS Bach jouée par des étudiants du pôle supérieur de Paris-Boulogne, sous la direction de Raphaël Rochet. A l’orgue Pierre Farago, alto Adéalaïde Mansart. finale avec la cantate BWV 170.

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Marc 7/31-37

31 Jésus quitta le territoire de Tyr, et revint par Sidon vers la mer de Galilée, en traversant le pays de la Décapole.  32 On lui amena un sourd, qui avait de la difficulté à parler, et on le pria de lui imposer les mains.  33 Il le prit à part loin de la foule, lui mit les doigts dans les oreilles, et lui toucha la langue avec sa propre salive;  34 puis, levant les yeux au ciel, il soupira, et dit: Éphphatha, c’est-à-dire, ouvre-toi.  35 Aussitôt ses oreilles s’ouvrirent, sa langue se délia, et il parla très bien.  36 Jésus leur recommanda de n’en parler à personne; mais plus il le leur recommanda, plus ils le publièrent.  37 Ils étaient dans le plus grand étonnement, et disaient: Il fait tout à merveille; même il fait entendre les sourds, et parler les muets.

Chers frères et sœurs, la spiritualité consiste à nous rendre humains. Jésus est Christ parce qu’il accomplit ce travail divin qui consiste à ouvrir les êtres à leur humanité. Tel l’Esprit qui plane à la surface du chaos en Genèse 1, ici, dans l’évangile de Marc, Jésus arpente la terre pour aller à la rencontre de ceux dont la vie n’est qu’un tohu-bohu. Et il accomplit l’œuvre créatrice de Dieu en trois actes que l’évangéliste Marc nous révèle, et qui constituent une triple ouverture.

  1. Ouvrir au corps

En touchant les oreilles puis la langue de la personne qui a du mal avec son corps, Jésus ouvre le chemin d’une nouvelle relation à son propre corps. Cette personne est comme enfermée dans un corps dans lequel n’entre aucun son et duquel ne sort aucune parole. Peut-être a-t-elle fermé ses oreilles pour ne plus entendre des horreurs. Peut-être n’a-t-elle plus rien à dire qui soit porteur de vie car la vie a comme cessé pour cette personne.

Toujours est-il que le premier travail de Jésus consiste à toucher le corps défaillant, et à l’honorer : oui, tu es digne d’être touché. Tu n’es pas un intouchable. Tu n’as pas à te tenir à distance des autres. Tu es digne de relations intimes avec les autres. La spiritualité s’adresse en tout premier lieu au corps. La spiritualité n’est pas une chose éthérée, évanescente.

La foule a demandé que Jésus impose les mains. Mais Jésus n’impose pas les mains. Il ne va pas prendre la personne de haut en posant sa main sur lui (epititemi). Il va mettre le doigt dans l’organe qui pose problème. Cela signifie que son attitude est adaptée à la situation précise dont souffre cet être. Jésus n’apporte pas une réponse vague, générale. Il s’intéresse à la personne qu’il a devant lui. Il la met à part en la sortant de la foule anonyme. Et il inaugure avec cette personne une situation d’intimité qui va ressusciter son sentiment de dignité.

Ce faisant, Jésus crée un nouveau monde pour cette personne. À la manière de Dieu qui sépare le jour de la nuit, le mouillé du sec, pour faire vivre, en Genèse 1, ici, Jésus sépare cet individu de la foule. Une foule qui ne voyait plus en cet homme qu’un sourd et un peine-à-parler. En le touchant, dans cette intimité semblable à celle qui avait unit Dieu et le premier humain, Adam (Gn 2), Jésus le réconcilie avec un corps qui ne sera plus seulement une raison de souffrir, mais le moyen par lequel il entrera en relation avec la vie. Jésus est Christ parce qu’il ouvre cette personne à des potentialités de son corps qui étaient mises en veilleuse. Jésus porte le corps de l’homme à l’incandescence.

  1. Ouvrir à l’esprit

Le deuxième acte de Jésus consiste à ouvrir l’homme l’esprit. Pour cela, Jésus soupire. Il soupire en voyant la situation de cet homme souffrant. Cela indique que Jésus, lui aussi, souffre. Il souffre du sort de l’humanité enfermée dans son malheur. Alors il soupire, indiquant par là que cette situation est inacceptable. Un soupir peut sembler bien modeste au regard des enjeux mondiaux, au regard des tragédies du quotidien. Mais soupirer, c’est déjà opposer une résistance à un ordre des choses avec lequel on est en désaccord profond.

Il y a dans ce soupir de Jésus le refus d’une résignation au fait que cette personne vive dans un isolement proprement inhumain. Ce soupir traduit une révolte de Jésus qui va aller contre le cours naturel des choses. Par ce soupir, à première vue insignifiant, Jésus va prendre le contre-pied du cours naturel des choses et faire œuvre de spiritualité en soufflant ce mot qui est tel un sésame pour toute vie : « ephphatha ! » ouvre-toi.

Ce mot, d’un point de vue grammatical, est le verbe patah (ouvrir) conjugué à l’impératif, au mode réflexif. Cela nous aide à comprendre de quelle manière Dieu crée l’humanité : l’esprit de Dieu est semblable à un souffle qui nous permet de réaliser ce que nous ne parvenions pas à réaliser jusque-là. Ce n’est pas Jésus, au sens strict, qui ouvre l’homme à de nouvelles capacités. Cet homme est inspiré par Jésus pour faire quelque chose de ses propres talents qui, jusque-là, étaient enfouis en lui-même. « Ouvre-toi » signifie bien que c’est l’homme qui va s’ouvrir, comme une fleur éclot sous l’effet du soleil.

Il y a plus encore à découvrir dans ce mot prononcé par Jésus qui est maintenant audible par cette personne que Jésus ouvre à l’humanité. La prononciation de ce mot est à lui-seul un chemin d’éducation puisqu’il met en œuvre différents sons qui constituent les différentes facultés de prononciation. Tout d’abord la gutturale aleph – un coup de glotte. C’est le son qui passe par la gorge. Puis la double fricative phpha qui consiste à porter les dents sur la lèvre inférieure. Enfin la dentale tha par laquelle la langue touche la limite entre le palais et les dents. Cette expression Ephphatha porte en elle-même ce cheminement du souffle qui vient irriguer un panel large de nos capacités de prononciation et donc de communication.

Jésus incarne ce qu’est la spiritualité, c’est-à-dire l’esprit de Dieu qui rencontre notre existence. La spiritualité consiste à porter nos capacités au-delà de l’horizon auquel nous les avions assignées. L’Esprit de Dieu, le souffle divin repousse nos limites. L’Esprit de Dieu donne plus de champ au regard que nous pouvons porter sur le monde, sur notre vie personnelle, sur les relations qu’il est possible d’entretenir avec les autres. Dieu crée l’humain en nous permettant d’ouvrir notre esprit à plus grand que nous-mêmes et, ce faisant, notre vie est portée à l’incandescence.

  1. Ouvrir à l’âme

Le troisième aspect de l’action de Jésus consiste à ouvrir l’âme de cette personne. L’âme n’est pas une particule de Dieu que nous aurions en nous. Pour les rédacteurs bibliques, l’âme, c’est le fait d’être personnellement tendu vers Dieu. Parler de l’âme d’une personne, c’est dire qu’elle n’est pas seulement un corps vivant, ce n’est pas seulement un corps qui bouge. L’âme, c’est une personne tendue vers ce que Dieu désigne, vers ce qui a un caractère ultime pour notre existence. L’âme, c’est l’être vivant en mouvement vers le sens de sa vie.

Cela, Jésus l’opère dans ce geste hautement symbolique qui consiste à mettre sa salive sur la langue de son prochain. C’est une manière de rejouer une scène primitive racontée en Nombres 12/8 par Dieu qui dit qu’il parlait bouche à bouche avec Moïse, c’est-à-dire clairement, sans énigme. Jésus opère, symboliquement, ce bouche-à-bouche qui consiste à offrir les paroles qui permettront de s’orienter dans la vie, comme Dieu l’avait fait avec Moïse après la sortie d’Égypte ; comme Dieu le fait avec chacun de nous pour donner à notre vie le sens de la Terre promise.

Ce que nous appelons la loi, ce que la Bible nomme la torah, c’est-à-dire l’enseignement, c’est cet ensemble de paroles qui posent des jalons sur le chemin de notre vie pour nous emmener en direction de cette Terre promise, pour être tendu vers un idéal de vie à partir duquel nous pourrons organiser notre quotidien. Devenir une âme, c’est être libre d’orienter ses journées dans la direction de ce qui décisif, au lieu de subir les circonstances et d’être emporté par un mouvement chaotique. Nous sommes une âme, à chaque fois que nous avons en vue l’horizon où nous voulons aller. Ainsi, nous pouvons donner les impulsions nécessaires à notre vie quand nous sommes bousculés et qu’on nous fait changer de cap.

Il résulte de cette rencontre entre Jésus et cet individu à qui il a fait recouvrer son humanité, le constat partagé par ceux qui ont été témoins de ce travail spirituel. Ce qu’ils voient leur fait dire ce qui avait été aussi le constat de Dieu en Genèse 1 : tout ce qu’il a fait est kalos, c’est-à-dire beau, au sens de : harmonieux, vivable – tov en hébreu. C’est bien une scène de création qui s’est déroulée dans ces quelques versets, une scène qui nous révèle que la spiritualité est un chemin d’ouverture qui suscite notre humanité ou la ressuscite lorsqu’elle a été malmenée. La spiritualité nous permet de nous ouvrir à notre corps, à nos capacités et au sens de la vie. Corps, esprit et âme harmonieusement ouverts, voilà ce qui porte notre vie à l’incandescence.

Amen

One comment

  1. Une réflexion magnifique, par la quête et la révélation du sens le plus profond de cette scène, et de son impact sur notre vie à chacun. Merci!

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