De la grâce, de la grâce, de la grâce


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Genèse 50/15-21

15 Quand les frères de Joseph virent que leur père était mort, ils dirent: Si Joseph nous prenait en haine, et nous rendait tout le mal que nous lui avons fait !  16 Et ils firent dire à Joseph: Ton père a donné cet ordre avant de mourir:  17 Vous parlerez ainsi à Joseph: Oh ! pardonne le crime de tes frères et leur péché, car ils t’ont fait du mal ! Pardonne maintenant le péché des serviteurs du Dieu de ton père ! Joseph pleura, en entendant ces paroles.  18 Ses frères vinrent eux-mêmes se prosterner devant lui, et ils dirent: Nous sommes tes serviteurs.  19 Joseph leur dit: Soyez sans crainte; car suis-je à la place de Dieu ?  20 Vous aviez médité de me faire du mal: Dieu l’a changé en bien, pour accomplir ce qui arrive aujourd’hui, pour sauver la vie à un peuple nombreux.  21 Soyez donc sans crainte; je vous entretiendrai, vous et vos enfants. Et il les consola, en parlant à leur coeur.

Chers frères et sœurs, le gouvernement de notre Église est installé. Le moment est donc venu de prononcer le discours de théologie générale. Cela se fait dans un temple où la configuration est bien particulière. En effet, face à moi se tiennent trois blocs. Chose curieuse, qui aura de quoi en laisser plus d’un songeur, le nombre de sièges dans le bloc central est exactement égal à la somme des sièges sur l’aile droite et sur l’aile gauche.

Je me présente à vous, ce matin, avec un message qui peut se résumer en trois mots qui expriment le cœur de la théologie qui va irriguer cette communauté : la grâce, la grâce, la grâce.

  1. La grâce est inconditionnelle

Le premier point qui émerge du texte biblique que nous avons lu : la grâce est inconditionnelle. Sans quoi ce n’est plus la grâce. Les frères de Joseph sont des crapules. Vexés du succès de Joseph, ils avaient imaginé le tuer, puis Juda avait trouvé une manière plus douce de s’en débarrasser, en le vendant à des commerçants en route vers l’Égypte. Les frères de Joseph sont sans scrupules. Ils avaient menti à leur père Jacob et, cette fois, ils lui font dire des propos qu’il n’a pas tenus pour que Joseph qui, entre temps, a pris de hautes responsabilités en Égypte, soit clément envers eux. Les frères de Joseph arrivent comme des roublards. Et Joseph les accueille sans hésitation, sans retenue, sans condition. L’accueil est inconditionnel.

Cet accueil inconditionnel n’est pas un cas isolé. Jacob lui-même était un roublard. Il s’était fait passer pour son frère Ésaü pour voler sa bénédiction à leur vieux père Isaac. Et Dieu vient visiter Jacob. Il n’en fait pas un paria, comme il n’avait pas fait un paria de Caïn qui avait pourtant tué son frère Abel : il l’avait, au contraire, protégé de l’esprit de vengeance. Le cas des frères de Joseph peut aussi nous faire penser à cette histoire de l’évangile selon Luc (15) où le fils cadet prend le large, va mener la grande vie jusqu’au moment où il n’a plus de quoi vivre et invente un stratagème pour que son père le reprenne à la maison et le traite au moins comme ses serviteurs, ce qui sera mieux que dépérir. La parabole raconte qu’au moment où le fils cadet va prononcer les termes des conditions qu’il propose, son père lui coupe la parole et demande qu’on lui mette une belle tunique, un anneau et qu’on tue le veau gras. L’accueil est donc sans condition. Pas de marchandage. Pas de donnant-donnant.

La dignité humaine est sans condition. Voici ce que nous dit ce texte et voici ce que nous professons. La grâce est inconditionnelle. Elle n’est soumise ni à des diplômes, ni à un certificat de baptême, ni à une attestation de bonne moralité. Ici, chacun sera le bienvenu, quelle que soit la trajectoire qui l’a mené jusque-là, quel que soit son sentiment de dignité ou d’indignité, quels que soient les œuvres qu’il a pu accomplir ou ses turpitudes.

La dignité humaine est inconditionnelle selon la théologie de la grâce. Une théologie qui, d’ailleurs, irrigue la République française qui prend soin de chacun, sans exclusive. C’est notre honneur de n’abandonner personne, de ne laisser dépérir personne. C’est toujours difficile, nous n’avons pas toujours les moyens de cette exigence, mais c’est notre perspective commune et c’est à cela que nous nous emploierons. À Auteuil, on pourra être éclaireur unioniste qu’on ait eu des ancêtres galériens ou non, que les parents paient l’impôt sur la fortune immobilière ou non.

  1. La grâce transcende

Certainement, cela pourrait donner l’impression que la foi se résume à la formule de Jean Yanne « tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil ». Que tout le monde ait une beauté intérieure, soit, mais le texte biblique n’est pas naïf et, tout ému qu’il soit par la possibilité de retrouver ses frères, Joseph les ramène à leur vérité, à sa voir le mal qu’ils avaient conçu contre lui. Toutefois, le mal en question n’est pas le point final de l’histoire. La grâce transcende. C’est le deuxième aspect de la grâce. La grâce transcende les situations personnelles et collectives.

Pour bien comprendre cela, allons au plus proche du texte hébreu qui dit plutôt : « vous aviez pensé du mal contre moi: Dieu l’a pensé en bien ». Le mal que nous pensons, le mal dont nous sommes capables, Dieu nous permet de le penser en bien. Autrement dit, la grâce ne laisse pas les choses en l’état. Elle ne se contente pas de tolérer l’état du monde, l’état des relations interpersonnelles, ou l’ambiance du moment. La théologie de la grâce identifie ce qui défigure l’humanité (ce qui est ra’ah) et ce qui bonifie l’humanité (ce qui est tov). Et elle ne se contente pas de mettre en évidence la vérité, elle entreprend de transcender les situations pour les rendre plus humaines, plus vivables en nous inspirant les impulsions que nous pouvons donner à l’histoire pour l’orienter dans un sens plus vivable.

Ici, chacun sera accueilli sans condition, mais pas sans exigence. Ce ne sera pas la grâce bon marché que fustigeait le théologien Dietrich Bonhoeffer, cette grâce qui excuse tout, qui tolère tout et qui, finalement, est indifférente à tout. La grâce coûte, elle appelle un engagement de notre part, pour que chaque situation soit transcendée.

Cette transcendance, nous sommes quelques uns à l’avoir vécue, lorsque nous étions lycéens à Jean-Baptiste Say. Par l’engagement déterminé de quelques enseignants, les jeunes gens qui n’étaient pas totalement concentrés sur leur scolarité ont pu progresser et acquérir les compétences nécessaires pour devenir des acteurs responsables dans le monde professionnel et, plus largement, dans la société.

C’est aussi cela qui se vit dans le rugby, au-delà du stade Jean Bouin, tout spécialement sous l’impulsion du président de la FFR, Florian Grill, qui a développé l’enjeu éducatif et l’enjeu citoyen du rugby. Cela s’est incarné notamment par les tournois de quartiers et le rugby fauteuil.

Ici, chacun découvrira qu’il y a plus grand que soi, plus grand que ce que nous pensons individuellement, plus grand que ce que nous croyons. Les dialogues seront exigeants pour que chacun atteigne un plus haut niveau de compréhension de la vie. Voilà pourquoi votre présence est décisive, Monsieur le Recteur de la Grande Mosquée, et nos amis de Saint François Molitor. Votre présence nous oblige. Elle nous retient de nous contenter d’un prêchi-prêcha qui serait telle une musique de fond  – agréable, mais incapable de nous élever à la hauteur des défis à relever. Nous sommes, chacun, en prise avec des sujets importants, qui ne sont pas seulement les sujets de nos communautés locales, mais des questions fondamentales de la vie, qui trouveront des réponses d’autant plus intéressantes que nous nous serons mutuellement stimulés pour atteindre un niveau de réflexion supérieur. Ce que nous nommons « Dieu », c’est cette exigence qui nous pousse à penser en bien ce qui est mal pensé, ou, le plus souvent, impensé. C’est dans cet esprit de transcendance que travaille notre association culturelle Études et Recherches d’Auteuil.

  1. La grâce est universelle

La grâce est inconditionnelle. Elle transcende notre nature. La grâce est universelle. Joseph, en disant qu’il entretiendra ses frères et leurs enfants, ne dit pas qu’il va investir dans le communautarisme, sans quoi il aurait dit qu’il allait entretenir ses frères ainsi que leurs fils. Or il n’est pas question des beney Israel. Il ne s’agit pas non plus des yeladim, les jeunes enfants. Le mot thaf, qui est employé par le rédacteur, ne désigne pas un lien filial.  Il parle des enfants qui sont au milieu du peuple, en tant que personne vulnérable, fragile, comme l’étaient également les femmes et les personnes âgées dans le Proche Orient Ancien.

Joseph nous montre la voie de l’universel dans cette ouverture du soin au-delà de la famille biologique, vers ceux qui ont besoin de nous. C’est la vocation d’Abraham qui est réactualisée par Joseph et que nous prenons aujourd’hui à notre compte : être une bénédiction pour toutes les familles de la terre (Gn 12/3) et pas seulement pour la nôtre. Cela signifie très concrètement que notre communauté ne versera pas dans le communautarisme. La transcendance nous conduit à transcender nos frontières ecclésiales, nos bornes doctrinales, nos compréhensions trop étroites de la vérité. Cela signifie très concrètement que nous n’avons pas notre Église pour horizon. Nous n’avons pas notre quartier pour horizon (nous serons même capables de soutenir l’AS Monaco en coupe d’Europe).

Notre perspective sera résolument universelle. Elle sera universelle comme nous y encourage nos textes bibliques qui font voler en éclat les replis identitaires. Les rédacteurs des textes bibliques ont fait œuvre de théologie en reprenant le populisme ambiant, pour penser en bien ce qui ne l’était pas. Avec le cycle de Joseph, par exemple, nous voyons comment l’Égypte qui était déconsidérée, s’avère être une planche de salut. Cette perspective universelle qui se dégage des réflexions bibliques, nous retient de jouer une communauté contre une autre, une nation contre une autre, une religion contre une autre.

Vous l’aurez compris, Monsieur le Maire, vous pourrez compter sur nous en toutes circonstances pour œuvrer à la fraternité universelle qui transcende les clivages. C’est aussi l’occasion de vous rendre attentif au fait que cette assemblée a, en ce jour, le visage de l’Eglise universelle. Cette assemblée n’est pas exactement l’Eglise réformée d’Auteuil. Elle est bien mieux que cela. Elle est l’Eglise universelle, cette Eglise que nul ne peut délimiter et surtout pas limiter à une Eglise particulière, ou une religion particulière, ou une communauté particulière.

La grâce révèle que notre dignité est inconditionnelle. Elle transcende notre nature pour nous rendre humains. La grâce donne à notre pensée le sens de l’universel. Mes amis, voici ce que chacun pourra trouver en ces lieux.

Amen

Un commentaire

  1. Si j’avais 53 ans de moins, j’aurais été présent hier matin dans ce temple d’Auteuil. Sans doute aurais-je été « dynamisé ». Mais voilà, j’ai 53 ans de plus. Du coup, je pense qu’en dehors des pas trip vieux, en direction des anciens qui devaient quand même être bien présents dans l’assemblée, tu aurais pû ajouter quelque chose comme « Et vous, les anciens, soutenez celles et ceux qui entendant un Evangile, une bonne nouvelle toujurs nouvelle vont s’engager… Et aidez-les plutôt que de dire « on a essayé ça ne sert à rien »….
    Je me permets de te signaler que parmi les plus âgés des paroissiens, il y a sur la liste (toujours donateurs) mes parents André et Madeleine DIETZ, 96 et 94 ans et je suis ceratin qu’ils apprécieraient un contact. Pour info, quand j’ai commencé ma théo en 82, je leur ai suggéré d’aller écouter une conférence d’André Gounelle et ma mère a été toute chamboulé (mon père sans doute aussi mais comme c’est un taizeux ???) et elle s’est relancée dans la foi/spiritualité.
    Tu as l’air d’avoir retroiuvé un quartier connu (tes références locales laissent penser cela ?)
    Amitiés fraternelles François Dietz dietz.francois@yahoo.fr

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