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Jean 15/1-17
1 Je suis le vrai cep, et mon Père est le vigneron. 2 Tout sarment qui est en moi et qui ne porte pas de fruit, il le retranche; et tout sarment qui porte du fruit, il l ‘émonde, afin qu ‘il porte encore plus de fruit. 3 Déjà vous êtes purs, à cause de la parole que je vous ai annoncée. 4 Demeurez en moi, et je demeurerai en vous. Comme le sarment ne peut de lui-même porter du fruit, s ‘il ne demeure attaché au cep, ainsi vous ne le pouvez non plus, si vous ne demeurez en moi. 5 Je suis le cep, vous êtes les sarments. Celui qui demeure en moi et en qui je demeure porte beaucoup de fruit, car sans moi vous ne pouvez rien faire. 6 Si quelqu’un ne demeure pas en moi, il est jeté dehors, comme le sarment, et il sèche; puis on ramasse les sarments, on les jette au feu, et ils brûlent. 7 Si vous demeurez en moi, et que mes paroles demeurent en vous, demandez ce que vous voudrez, et cela vous sera accordé. 8 Si vous portez beaucoup de fruit, c’est ainsi que mon Père sera glorifié, et que vous serez mes disciples. 9 Comme le Père m ‘a aimé, je vous ai aussi aimés. Demeurez dans mon amour. 10 Si vous gardez mes commandements, vous demeurerez dans mon amour, de même que j ‘ai gardé les commandements de mon Père, et que je demeure dans son amour. 11 Je vous ai dit ces choses, afin que ma joie soit en vous, et que votre joie soit parfaite. 12 C ‘est ici mon commandement: Aimez -vous les uns les autres, comme je vous ai aimés. 13 Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis. 14 Vous êtes mes amis, si vous faites ce que je vous commande. 15 Je ne vous appelle plus serviteurs, parce que le serviteur ne sait pas ce que fait son maître; mais je vous ai appelés amis, parce que je vous ai fait connaître tout ce que j’ai appris de mon Père. 16 Ce n’est pas vous qui m ‘avez choisi; mais moi, je vous ai choisis, et je vous ai établis, afin que vous alliez, et que vous portiez du fruit, et que votre fruit demeure, afin que ce que vous demanderez au Père en mon nom, il vous le donne. 17 Ce que je vous commande, c’est de vous aimer les uns les autres.
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Être attaché au Christ, se nourrir de l’Évangile
Chers frères et sœurs, en ce jour où un enfant vient d’être baptisé et un catéchumène va être confirmé dans la grâce de son baptême, j’aimerais que nous nous demandions pourquoi il est important d’avoir une vie spirituelle et pourquoi la fréquentation d’un temple n’a rien d’accessoire. Achille, Calixte, je vais commencer par vous parler un peu d’une histoire que les moins de 40 ans n’ont pas connue. Elle se passe près de chez nous, à l’Est de Strasbourg. Ce que nous appelons aujourd’hui l’Allemagne est alors un territoire composé d’une République Fédérale d’Allemagne (à l’Ouest) et d’une République Démocratique d’Allemagne (à l’Est). Entre les deux, une frontière érigée en 1961, faite de murs, de barbelés, de miradors, et de patrouilles de soldats en armes.
Des personnes meurent sur cette ligne de démarcation. Ces personnes ont en commun de vouloir fuir vers l’Ouest. Une centaine de personnes auront été abattues ou blessées en voulant échapper à la RDA. Des dizaines de milliers auront réussi à franchir de rideau de fer. Si des personnes sont prêtes à mourir pour fuir la RDA, c’est parce qu’on n’y vit pas, on y survit. C’est une société fermée, qui empêche les individus de porter du fruit. C’est un État policier qui surveille tout le monde, par un système d’écoute massif. La répression y est de règle.
Il y a, toutefois, quelques lieux où il est possible d’échapper, au moins en partie, au régime de terreur qui sévit en Allemagne de l’Est : les Églises, et tout spécialement les Églises protestantes (nous sommes dans l’Allemagne, berceau de Martin Luther et Philippe Melenchton). Les facultés de théologie protestantes sont des lieux où il est possible d’étudier avec une forme de liberté et d’aiguiser son esprit critique. Les temples sont des lieux pour penser des alternatives au régime de terreur. Ce sont des lieux de résistance à la société fermée.
Ainsi, en l’église protestante saint Nicolas, à Leipzig, là où Johann Sebastian Bach exerça ses talents, le pasteur Christian Führer organisait des prières pour la paix. Chaque lundi, depuis 1982, 6 ou 7 personnes se réunissaient pour un temps de prière en faveur de la paix. Ce n’était presque rien, à peine une lueur dans les ténèbres du moment. Moins que nous qui nous retrouvons chaque dimanche dans ce temple d’Auteuil. Mais voilà que ce presque rien fut de plus en plus connu. Et ce temple fut réputé pour être un espace de liberté, une sorte de brèche dans un horizon bouché par ce mur édifié pour séparer l’Est de l’Ouest. 6 ou 7 personnes en 1982. 70.000 personnes le 9 octobre 1989, il y a tout juste 35 ans ; 120.000 personnes le 16 octobre ; 320.000 le 23 octobre.
Etant donné le nombre croissant, la Stasi (la police politique) avait prévu de mater la contestation. Egon Krenz, le numéro 2 du régime, en charge de la sécurité, jure de « faire ravaler leur salive » aux manifestants, menaçant d’une solution à la chinoise. Un bain de sang est à venir. Face à cette hargne, le commandement que le Seigneur de la vie a laissé à ses disciples se résume en une phrase « aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés». Cette phrase inspire le pasteur Christian Führer. Il répète de ne pas céder aux provocations : ni violence, ni jet de pierre, ni insulte ! les personnes sortent avec des bougies afin de prier pour la paix.
Comme l’a rappelé l’Ambassadeur d’Allemagne mercredi dernier, jour anniversaire de l’unité allemande, un haut parleur hurlait : « c’est la police du peuple qui vous parle ». Et les manifestants répliquèrent par cette formule devenue célèbre : « wir sind das Volk », « nous sommes le peuple ». La suite, nous la connaissons : le peuple pousse à travers l’Allemagne de l’Est, à Berlin 500.000 personnes se réunissent ; les forces de l’ordre ne s’interposent pas. Tout le monde pousse, la frontière est ouverte, et le mur s’écroule.

Achille, Calixte, être disciple du Christ, c’est former cette Eglise-là : cette Eglise qui est dotée d’une force de caractère capable de faire face à tout ce qui arrive, même ce qu’il y a de plus inhumain. Cette force de caractère, nous la recevons des paroles du Christ qui sont comme une sève qui coule en nous, à l’image de la sève qui vient du pied de vigne et nourrit les branches, ce qui leur permet de faire des raisins, de porter du fruit. L’Église, c’est ce qui nous aide à être reliés au pied de vigne et à nous nourrir des paroles du Christ qui renforcent notre courage d’être.
Etre relié au Christ, pour ne pas s’assécher, pour ne pas devenir comme une branche morte, voilà ce qu’est la foi. La foi, notre attachement à Dieu, c’est ce qui nous évite de n’avoir plus envie de rien, plus envie de rien faire, parce que nous n’aurions plus de grandes causes à défendre, plus d’idéal pour lequel on a envie de vivre.
Avec le Christ, nous découvrons ce qui compte dans la vie. Et la foi, c’est se passionner pour cette vie que Jésus a incarnée : une vie en toute liberté, une vie où il est possible d’aimer et d’être aimé, dans un esprit de service et non de domination. Et lorsque les circonstances sont contraires à cette manière d’être, alors nous puisons dans le cep les ressources nécessaires pour nous dresser et pour faire obstacle à ce qui défigure l’humanité. C’est ce à quoi nous nous entraînons dans ce temple.
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Donner une ambition à son espérance en étant tendu vers le Royaume de Dieu
La deuxième partie de ce chapitre 15 de l’évangile de Jean ne nous parle plus de ce que nous nous sommes, de notre manière d’être, mais de notre manière d’agir. Jésus ne dit pas ce qu’il faut faire, à part aimer, ce qui est assez peu précis. Jésus nous donne une indication de la manière chrétienne de faire. C’est en faisant un léger détour par le texte grec que nous pourrons apprécier ce que Jésus nous appelle à vivre.
Nos traductions font dire à Jésus : « il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis ». Mais, au plus proche de ce que Jean a écrit, nous pourrions traduire : « il n’y a pas de plus grand amour, que de placer son âme (sa psychè) sur ses amis ».
C’est important d’entendre cette nuance, car ce que Jésus nous demande, c’est de donner de l’ambition à nos amis. Qu’est-ce que l’âme ? On aimerait que ce soit la particule de Dieu, le petit bout de Dieu qu’on a en soi et qui ferait de nous un bon croyant. Mais l’âme, c’est bien plutôt une manière de dire que nous sommes tendus vers Dieu. L’âme, c’est nous à chaque fois que nous donnons à notre vie le sens de Dieu, que nous sommes tendus vers l’espérance qu’il nous désigne. L’âme, c’est chacun de nous lorsque nous sommes tendus vers ce qui a un caractère ultime dans la vie.
Placer son âme sur ses amis, c’est leur offrir cette tension vers une vie plus grande. C’est leur donner le goût d’une vie à hauteur de Dieu. Placer son âme sur ses amis, c’est rehausser leur ambition. Par exemple, c’est ne pas se contenter de notre plaisir personnel, mais avoir le sens de l’universel – faire en sorte que ce que nous faisons soit aussi bon pour les autres, que cela ne réduise pas leur bonheur. Placer son âme sur ses amis, c’est les aider à donner plus de sens à ce qu’ils font, plus d’ampleur aussi. Par exemple, le réformateur Martin Luther disait que la vie spirituelle, c’est ce qui nous permet de transformer notre travail en une œuvre.
L’Église a la responsabilité de porter la vie de chacun à un plus haut niveau d’accomplissement. Par exemple, le frère ou la sœur n’est pas seulement celui que je trouve sympa – l’Église n’est pas le club des gens qui se trouvent sympa. La fraternité a, elle aussi, un caractère universel qui trouve son fondement dans ce texte qui fait de chacun de nous une branche d’un même pied de vigne. Nous sommes donc là pour apprendre à vivre en frères et sœurs avec ceux que nous ne connaissons pas encore.
Cela n’est pas toujours facile. Ce n’est pas forcément toujours agréable, mais c’est l’idéal de vie que nous recevons de Dieu qui nous appelle à nous aimer les uns les autres. Il fallait aimer les gens de la Stasi, les dirigeants de la RDA, dans les années 1980. Et quand nous sommes en phase avec cet idéal, lorsque nous sommes en phase avec notre vocation, alors s’accomplit l’exhortation de Jésus qui a dit à ses disciples, à nous : « que votre joie soit être complète ». Cela arrive quand nos engagements sont cohérents avec nos idéaux.
Pour cela, il faut une force de caractère, pour ne pas se résigner quand c’est difficile, pour ne pas céder à la fatalité quand ça ne marche pas. Il faut de la force de caractère pour garder le cap de la justice. Il faut de la force de caractère pour continuer à aimer son prochain quand il n’est pas très sympathique. Et pour entretenir cette force de caractère, il faut être en prise directe avec l’évangile, cette sève qui nourrit notre être intérieur et qui nous fait tenir debout en nous-mêmes – c’est cela la résurrection.
Et, pour que la joie soit parfaite, il faut avoir des idéaux à défendre. Il faut avoir à cœur de s’engager dans de actions qui embellissent le monde. Pour cela il faut être tendu vers le Royaume de Dieu, vers cet idéal d’humanité que les textes bibliques nous révèlent et que nous apprenons, ici, à intégrer dans notre vie personnelle.
C’est ainsi que nous serons à la hauteur de l’exigence du Christ qui nous as établis afin que nous allions, que nous portions du fruit, et que notre fruit demeure.
Amen