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Marc 1/16-18
16 Comme il passait le long de la mer de Galilée, il vit Simon et André, frère de Simon, qui jetaient un filet dans la mer; car ils étaient pêcheurs. 17 Jésus leur dit: Suivez -moi, et je vous ferai pêcheurs d’hommes. 18 Aussitôt, ils laissèrent leurs filets, et le suivirent.
Chers frères et sœurs, l’appel des disciples est le point de départ de l’histoire qui nous réunit ce matin. S’il n’y avait pas eu les disciples de la première heure, nous ne serions pas là, nous les disciples de la onzième heure. Il est important d’être reconnaissants pour ce que nous avons reçu et d’être reconnaissants pour cette longue chaîne de transmission qui a fait retentir l’appel du Christ jusqu’à nos oreilles et a provoqué en nous le désir de répondre favorablement et d’orienter notre vie à la suite du Christ. En cette semaine de prière pour l’unité des chrétiens, j’aimerais porter notre attention sur le personnage qui deviendra central dans la vie de l’Église catholique romaine, à savoir Pierre, un lointain prédécesseur de l’évêque de Rome. J’aimerais que nous portions trois regards sur trois étapes importantes de sa trajectoire auprès de Jésus pour en tirer les enseignements que l’évangéliste Marc a bien voulu mettre à notre disposition.
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Pierre laisse ses filets
Aussitôt que Pierre (qui s’appelle encore Simon) prend la décision de suivre Jésus, il laisse ses filets, de même que son frère André. Laisser ses filets, c’est laisser les outils de sa profession. C’est abandonner son outil de travail et donc les moyens de sa subsistance. Cela n’est pas sans évoquer la figure d’un autre disciple, Élisée, qui va quitter ses bœufs pour courir derrière Élie, le grand prophète dont il est question dans le premier livre des Rois (1 R 19/19-21).
Non seulement cela inscrit Pierre dans la lignée d’Élisée, mais cela fait de Jésus un nouvel Élie, c’est-à-dire une personne qui remettra de l’ordre et de l’espérance dans les vies des Israélites. Et c’est ce que fera également Jésus, en remettant chaque chose, chaque personne, à sa juste place, et en ressuscitant l’espérance des personnes qu’il croisera.
Du côté de Pierre, qui met donc ses pas dans ceux de Jésus et du prophète Élisée, il se place d’ores et déjà dans la situation du successeur. Élisée succédera à Élie, Pierre succédera à Jésus, et nous-mêmes nous succédons à nos anciens – ce qui ne vaut pas moins que la succession apostolique. Cela m’interroge sur un aspect aujourd’hui décisif pour la foi chrétienne et l’avenir du protestantisme : qui appelons-nous à notre suite pour nous succéder ? Qui appelons-nous à nous suivre pour prendre le relai, pour devenir les futurs Élisée, les futurs Pierre ?
Je reviens à Pierre qui laisse ses filets de pêche, qui abandonne son outil de travail. Nous pourrions considérer qu’il se met en danger, qu’il sort de sa zone de confort, en quittant son travail à une époque où il n’y avait peut-être pas du chômage de masse, mais il n’y avait pas non plus de grandes garanties pour un pêcheur qui n’allait pas rester collé au lac de Galilée. Certainement y a-t-il dans l’attitude de Pierre un geste héroïque qui peut forcer le respect, mais il y a surtout un réel engagement de sa personne pour répondre favorablement à l’appel qui lui a été fait.
Nous-mêmes, nous pouvons nous interroger sur le sérieux de nos engagements, je parle des grands engagements, des engagements qui donnent du sens à notre vie. Que laissons-nous pour nous impliquer vraiment. À quoi renonçons-nous pour mener à bien notre route à la suite du Christ ?
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Pierre a « tout » quitté
Bien plus tard, une nouvelle conversation s’engagera entre Simon qui, entre-temps (3/16), aura reçu le nom de Pierre de la part de Jésus. Jésus parle de la difficulté d’entrer dans le Royaume de Dieu (10/24), après l’épisode du jeune homme riche qui doit tout vendre pour suivre Jésus. Et Pierre, toujours excessif, déclare : « Eh ! bien nous avons tout quitté pour te suivre. » Pierre fait le bon élève. C’est le premier de la classe au CV impeccable, sauf que Pierre ne dit pas toute la vérité.
Pierre a-t-il vraiment tout laissé ? Au verset suivant, Jésus dit : « en vérité je vous dis : il n’y a personne qui ait quitté sa maison, ou frères, ou sœurs, ou père, ou mère, ou père, ou enfants, ou champs à cause de moi et à cause de l’Évangile, qui ne reçoive le centuple dès maintenant, au temps présent, en maisons, frères, sœurs, mères, enfants et champs, avec des persécutions, et dans le siècle qui vient, la vie éternelle. »
Pierre a-t-il vraiment tout laissé ? Il n’a manifestement pas laissé sa maison de Galilée qu’il a utilisé depuis (1/29). Il n’a pas non plus laissé son frère André, puisqu’il suit Jésus en sa compagnie. Il convient donc de relativiser le propos de Pierre qui exagère légèrement son engagement à la suite de Jésus. Pierre n’a pas tout lâché.. Il faut éviter de se laisser impressionner par le discours radical de Pierre qui n’a pas rompu toutes les amarres. À cela il faut ajouter que la réponse de Jésus indique que celui qui prend sa suite reçoit beaucoup. Et, de fait, Pierre a habité ailleurs, en Judée. Il a reçu du pain qu’il n’avait pas acheté au moment des grands enseignements où des milliers de personnes seront rassasiées après avoir rassemblé quelques pains et quelques poissons. Pierre a également reçu une fraternité élargie par les autres disciples et par les rencontres interpersonnelles qui ont émaillé le chemin de Jésus.
Il ne faut donc pas se lamenter sur le sort de Pierre qui n’a rien de triste, de même qu’il ne faut pas s’inquiéter sur la condition de disciples, nous inclus. Être disciple du Christ n’a rien d’une situation misérabiliste. S’il est question d’un dépouillement, il n’est pas question d’un dénuement. On ne se retrouve pas sans rien, bien au contraire. On gagne l’essentiel et cela dès qu’on suit Jésus – pas dans un avenir incertain, mais dès à présent.
Si Pierre voulait se faire plaindre ou être mis sur un piédestal pour mérites exceptionnel, c’est raté. Le disciple du Christ n’est plus recroquevillé sur son bien personnel, sur sa liste de diplômes, sur son réseau et sur ses connaissances. Le disciple du Christ a le visage relevé et il découvre que sa vie est élargie aux dimensions de l’universel.
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Pierre est prêt à mourir avec Jésus
Pierre nous offre un autre épisode de Franche radicalisation lorsque Jésus annonce sa mort prochaine – sa passion. Ni une ni deux, Pierre déclare qu’il est prêt à mourir avec Jésus – et les autres disciples lui emboîtent le pas (14/31). On se croirait au XIXe siècle en compagnie de Ruben Saillens qui écrivit le cantique « Jusqu’à la mort nous te serons fidèles, jusqu’à la mort tu seras notre roi… ». Ou encore dans l’équipe de France de Football de Raymond Domenech : « on vit ensemble, on meurt ensemble ».
Il y a chez Pierre un romantisme d’avant-garde à faire frémir le jeune Werther (Goethe). Il y a aussi des mots qui dépassent la pensée. Parce que la suite, nous la connaissons : Pierre ne mourra pas avec Jésus. Mais alors pas du tout. Il fera même ce qu’il faut pour ne pas être inquiété, en reniant Jésus par trois fois, comme annoncé par Jésus qui connaissait bien son Pierre. Pour être plus juste sur le plan théologique, l’annonce du triple reniement de Pierre par Jésus, puis la mission qui sera confiée par le ressuscité à Pierre de s’occuper de son troupeau, est une manière de dire que la grâce de Dieu surmonte nos imperfections, nos renoncements, nos trahisons, nos bassesses… notre état de pécheur.
Pierre conteste Jésus en déclarant qu’il mourra avec lui plutôt que le renier. Cela dit bien la prudence qu’il faut avoir avec les discours religieux – et ne jamais croire un ecclésiastique sur parole. Il faut exercer son esprit critique en toutes circonstances, avec tout le monde. En tout cas, en protestantisme, il n’y a pas d’argument d’autorité qui vaille, c’est ce qu’explique le théologien Paul Tillich au débout de son ouvrage sur la foi. La foi n’est pas un acte d’obéissance à quelqu’un qui est dépositaire de l’autorité. Ce n’est pas parce que celui qui parle a de bons états de service que sa parole est digne de confiance. C’est quand elle nous ouvre à une vie plus grande que sa parole est digne de confiance, qu’elle peut susciter notre foi.
En l’occurrence, c’est Jésus qui avait les paroles de vie, en disant : « vous serez tous scandalisés, car il est écrit : “je frapperai le berger, et les brebis seront dispersées”, mais après que je serai ressuscité, je vous précéderai en Galilée » (14/27-28).
Ah ! s’il n’avait pas été obnubilé par la question de la mort. S’il n’était pas attiré par le morbide… il aurait entendu la fin de la phrase de Jésus. Il aurait entendu que cette phrase de Jésus n’était pas tout orientée vers la mort et que c’était là le point final de leur histoire commune. Mieux que cela, il aurait entendu que la mort n’était pas le centre de gravité de leur vie, ni l’horizon de leur avenir. Ainsi, Pierre aurait entendu que Jésus les appelait d’ores et déjà en Galilée, là où se trouve le lac où il est possible de trouver des personnes qui prendront notre suite, qui se lèveront après nous pour reprendre le flambeau de l’évangile et porter la lumière partout où l’obscurité maintient les gens captifs de leurs peurs, de leurs angoisses.
Jésus annonce qu’il va leur donner sa vie, et Pierre répond que lui va donner sa mort. Triste malentendu dont le christianisme n’a pas été avare au fil des siècles. Jésus a prêché la vie et la résurrection, Pierre a commencé par promettre la mort et fut un adepte des reniements, de la trahison. Voilà pourquoi le christianisme a toujours intérêt à porter un intérêt modéré à la parole des ecclésiastiques. Voilà pourquoi il importe de se mettre personnellement à l’écoute de la parole de Dieu, à l’écoute pleine et entière… ne pas s’arrêter en cours de route sans quoi on risque d’entendre un message inversé qui donnera à notre vie le sens contraire de l’évangile.
Qu’en est-il du ministère de Pierre, au regard de ce parcours à travers l’évangile de Marc ? Le ministère de Pierre n’est pas tant intéressant pour son caractère d’unité par le pouvoir qu’il détiendrait sur tout, que par sa nature de pécheur, d’être marqué par le péché, comme nous tous ; Pierre, un être marqué par le péché, comme ses successeurs, et justifié par la grâce de Dieu, comme nous tous.
Le successeur de Pierre ne devrait pas tant porter l’anneau du pêcheur que l’anneau du pécheur – signe de l’unité de l’ensemble du peuple de Dieu par l’appel que le Christ fait à chacun de nous. L’appel du Christ est un appel à dépasser notre condition actuelle, à ne pas nous tenir à notre situation, afin d’entrer dans le Règne de Dieu qui est notre patrie commune, par delà chaque confession particulière.
Amen