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1 Rois 1/32-50 32
Le roi David dit: Appelez -moi le sacrificateur Tsadok, Nathan le prophète, et Benaja, fils de Jehojada. Ils entrèrent en présence du roi. 33 Et le roi leur dit: Prenez avec vous les serviteurs de votre maître, faites monter Salomon, mon fils, sur ma mule, et faites-le descendre à Guihon. 34 Là, le sacrificateur Tsadok et Nathan le prophète l’oindront pour roi sur Israël. Vous sonnerez de la trompette, et vous direz: Vive le roi Salomon ! 35 Vous monterez après lui; il viendra s’asseoir sur mon trône, et il régnera à ma place. C’est lui qui, par mon ordre, sera chef d’Israël et de Juda. 36 Benaja, fils de Jehojada, répondit au roi: Amen ! Ainsi dise l’Éternel, le Dieu de mon seigneur le roi ! 37 Que l’Éternel soit avec Salomon comme il a été avec mon seigneur le roi, et qu’il élève son trône au-dessus du trône de mon seigneur le roi David ! 38 Alors le sacrificateur Tsadok descendit avec Nathan le prophète, Benaja, fils de Jehojada, les Kéréthiens et les Péléthiens; ils firent monter Salomon sur la mule du roi David, et ils le menèrent à Guihon. 39 Le sacrificateur Tsadok prit la corne d’huile dans la tente, et il oignit Salomon. On sonna de la trompette, et tout le peuple dit: Vive le roi Salomon ! 40 Tout le peuple monta après lui, et le peuple jouait de la flûte et se livrait à une grande joie; la terre s’ébranlait par leurs cris. 41 Ce bruit fut entendu d’Adonija et de tous les conviés qui étaient avec lui, au moment où ils finissaient de manger. Joab, entendant le son de la trompette, dit: Pourquoi ce bruit de la ville en tumulte ? 42 Il parlait encore lorsque Jonathan, fils du sacrificateur Abiathar, arriva. Et Adonija dit: Approche, car tu es un vaillant homme, et tu apportes de bonnes nouvelles. 43 Oui ! répondit Jonathan à Adonija, notre seigneur le roi David a fait Salomon roi. 44 Il a envoyé avec lui le sacrificateur Tsadok, Nathan le prophète, Benaja, fils de Jehojada, les Kéréthiens et les Péléthiens, et ils l’ont fait monter sur la mule du roi. 45 Le sacrificateur Tsadok et Nathan le prophète l’ont oint pour roi à Guihon. De là ils sont remontés en se livrant à la joie, et la ville a été émue: c’est là le bruit que vous avez entendu. 46 Salomon s’est même assis sur le trône royal. 47 Et les serviteurs du roi sont venus pour bénir notre seigneur le roi David, en disant: Que ton Dieu rende le nom de Salomon plus célèbre que ton nom, et qu’il élève son trône au-dessus de ton trône ! Et le roi s’est prosterné sur son lit. 48 Voici encore ce qu’a dit le roi: Béni soit l’Éternel, le Dieu d’Israël, qui m’a donné aujourd’hui un successeur sur mon trône, et qui m’a permis de le voir ! 49 Tous les conviés d’Adonija furent saisis d’épouvante; ils se levèrent et s’en allèrent chacun de son côté. 50 Adonija eut peur de Salomon; il se leva aussi, s’en alla, et saisit les cornes de l’autel.
Chers frères et sœurs, lorsque Jésus entre à Jérusalem, il est acclamé comme un roi. De ce point de vue, Jésus fait mieux que Charles III qui n’est pas venu. Et, si nous replaçons cet épisode dans l’ensemble de la vie de Jésus, nous constatons que Jésus fait mieux que Salomon qui, lui, est parvenu.
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Jésus est venu
Contrairement à Charles III, Jésus est donc venu. Il est venu auprès de l’humanité, au plus proche des préoccupations des êtres humains et de ce qui les préoccupait à l’époque. Habitués que nous sommes à cet épisode des Rameaux plein de gloire et de majesté, nous oublions cette évidence première : Jésus est venu. Cela n’est pas si anodin qu’il y paraît. En effet, il y a une tradition, dont parle le rabbin Marc-Alain Ouaknin, qui considère que le messie est fait pour ne pas venir[1]. Le fait que nous considérions que le messie est venu – c’est ce que nous célébrons à Noël – et qu’il est venu vers la foule, vers le tout venant – c’est ce que nous célébrons aujourd’hui à l’occasion de la fête des Rameaux – a des conséquences sur notre compréhension du messianisme et de la vie humaine.
Si le messie est fait pour ne pas venir, cela veut dire que c’est une utopie[2] : le messie existe dans un autre lieu que celui où nous vivons nous-mêmes. Le messie devient alors un idéal inaccessible. Le messianisme devient l’art de rêver éveillé. Le messianisme devient une sorte de consolation qui, en fait, ne console de rien car à force de dire qu’il y a un idéal qui est et qui restera hors d’atteinte, cela finit par créer de la frustration. On s’use de courir après un horizon qui est toujours repoussé. On finit par se désengager car on se rend compte que tout ce en quoi on croit est impossible, finalement. C’est peut-être une belle histoire, mais cela ne reste qu’une histoire pour nous aider à supporter un quotidien qui n’est pas vraiment à la hauteur du Royaume de Dieu.
Dire que Jésus est venu, qu’il n’est pas simplement le personnage central d’un conte de fée, c’est dire que ce qu’il incarne est à notre portée. Comme le disait déjà le rédacteur du Deutéronome : ce que la religion nous propose n’est pas de l’autre côté de la mer pour que nous disions « qui nous l’ira chercher », ni dans le ciel, pour que nous disions « qui nous l’ira chercher » ? Il est là, tout près de toi, dans ton cœur (Dt 30/12-14). Et ce que cela change, c’est que ce qu’annonce Jésus, ce qu’il a proclamé, est à notre portée – c’est praticable. Le christianisme est praticable. La foi chrétienne n’est pas une utopie[3], mais l’affirmation que l’Évangile est praticable, dès à présent. En disant que Jésus est venu, les évangélistes déclarent que, nous aussi, nous pouvons vivre le règne de Dieu dans notre quotidien. L’Évangile peut inspirer notre art de vivre. Jean Calvin ne disait pas autre chose en développant le troisième usage de la loi[4] : la loi, la volonté de Dieu, l’espérance de Dieu, n’est pas là pour nous accabler, elle n’est pas là pour révéler notre culpabilité, c’est l’expression de ce que Dieu nous rend capables d’accomplir.
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Jésus n’a pas pris le pouvoir – il a reçu l’autorité
Les parallèles entre Jésus et Salomon sont nombreux quand on s’en tient à l’épisode des Rameaux pour Jésus et à l’entrée royale pour Salomon. Les deux sont acclamés comme rois, ils entrent à Jérusalem (Guihôn est la source d’eau qui alimente Jérusalem par le tunnel que fera creuser Ézéchias) en étant sur un âne pour Jésus et une mule pour Salomon, ce qui ne fait pas grande différence. Il semble que Jésus pose ses pas dans ceux de son illustre prédécesseur Salomon, mais il n’en est rien. Jésus ne se coule pas du tout dans le moule salomonien. On peut même dire qu’en dépit des apparences, il prend le contre-pied de Salomon. Le règne de Jésus n’est en rien comparable au règne de Salomon tel qu’il est raconté dans le livre des Rois.
Pour bien comprendre cela, il faut reprendre l’histoire de Salomon au début du livre des Rois : David est vieux et malade. Il n’a plus tous ses moyens. Il est proche de mourir. Bethsabée (la mère de Salomon) et le prophète Nathan qui avait pris fait et cause pour Bethsabée quand son mari avait été assassiné par le roi David, vont voir David dans sa chambre pour accomplir ce qu’il convient d’appeler une manipulation. Ils vont inventer une promesse que David aurait faite, à savoir que c’est Salomon qui lui succéderait sur le trône. Or il n’est jamais question de cela dans les textes qui précèdent. S’ils font cela, c’est parce que Salomon n’est pas l’héritier de David. Il y a un autre fils qui doit lui passer devant dans l’ordre de succession : Adoniyah. Bethsabée et Nathan s’arrangent donc pour que Salomon obtienne la royauté alors qu’il n’y avait pas droit.
On peut appeler cela un coup d’État, une prise de pouvoir illégal, toujours est-il que Salomon parvient au trône par une malversation – ce qui permet de dire que Salomon est un parvenu. Jésus, lui, n’est pas un parvenu semblable à Salomon. Il n’a rien demandé, il n’a rien manigancé, il n’a pris la place de personne. Il est acclamé roi malgré lui, en quelque sorte, ce qui montre bien qu’il n’est pas semblable à Salomon.
La famille de Salomon avait le goût du pouvoir, ce qui n’est pas le cas de Jésus qui n’a rien revendiqué de la sorte. Jésus est reconnu pour ce qu’il est, pour ce qu’il incarne, pour sa compétence propre, et non par un décret qui l’instituerait roi. Rameaux exprime l’autorité de Jésus alors que le livre des Rois met en évidence non pas l’autorité, mais le goût du pouvoir de Salomon. Cela se traduit par le fait d’Adoniyah et ceux qui sont à sa table ont peur. Salomon provoque la peur alors que Jésus provoque la liesse. Adoniyah a peur pour sa vie, ce qui explique qu’il aille saisir les cornes de l’autel – ce qui était alors l’assurance de ne pas être mis à mort.
Autre différence notable, la monture sur laquelle les deux personnages font leur entrée. Une mule, un âne, c’est kif-kif bourricot, vue d’ici. Pourtant les deux diffèrent sensiblement puisque la mule est le croisement d’un âne et d’une jument. D’un point de vue symbolique, ce n’est pas indifférent quand on sait l’aversion des rédacteurs bibliques envers les chevaux parce que les chevaux, c’est l’animal utilisé pour la guerre. C’est pour cela que les chevaux seront dépréciés par les rédacteurs bibliques lorsqu’ils feront la critique du pouvoir royal incapable de procurer la paix, après l’exil à Babylone.
C’est pour cela que Dt 17/16 dira du roi qu’il ne devra pas avoir beaucoup de chevaux (c’est-à-dire une puissance militaire qui l’encourage à faire la guerre) – Salomon fera exactement l’inverse en se fournissant d’ailleurs en Égypte qui symbolise l’esclavage. Dire que Jésus entre à Jérusalem sur un âne et non sur une mule, c’est dire qu’il est juché sur un animal qui ne symbolise pas la guerre. Jésus entre en homme libre, qui vient pour la délivrance, et non pas en étant un artisan de guerre qui pourrait provoquer l’asservissement. Précisément, Jésus indique, par son entrée bien particulière, que son règne n’a rien à voir avec l’assujettissement qui sera la marque de fabrique de Salomon et de tous ceux qui règneront à sa manière.
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Le règne de Dieu
L’attitude de Jésus et sa manière d’entrer à Jérusalem, nous renseignent sur le type de règne que Jésus instaure. Il n’est ni indifférent aux affaires du monde, ni désireux de prendre le pouvoir sur les personnes. Jésus n’est pas à l’écart du monde, en conséquence de quoi la religion ne doit pas être comprise comme une sorte de refuge qui nous éloignerait des bruissements de la vie quotidienne. Pour autant, Jésus n’a aucune prétention à prendre le pouvoir. Cela devrait nous retenir de céder à la tentation d’exercer le moindre pouvoir en tant que religion. Ce qui est intéressant avec cette rédaction biblique, c’est qu’elle réagit aussi bien à la philosophie de Platon, qu’elle prépare la philosophie d’Emmanuel Kant.
Platon s’est exprimé sur la question du pouvoir. Qui doit prendre le pouvoir ? Pour Platon, le roi devait être un roi-philosophe. Pour Platon, le philosophe est celui qui a accès à la volonté de Dieu. Dans le vocabulaire biblique, ce serait le prêtre – celui qui se tient devant Dieu et reçoit la volonté de Dieu. Le roi philosophe, selon Platon, peut utiliser le mensonge d’État pour affermir son pouvoir[5]. Le roi philosophe, c’est Salomon – voilà ce que dénoncent les textes bibliques. Jésus oppose une alternative. Et, bien avant Emmanuel Kant, Jésus qui est tout imprégné de la critique du pouvoir politique composée par des rédacteurs de la Bible hébraïque, sait que « le pouvoir corrompt » – « Il ne faut pas s’attendre à ce que des rois philosophent ou à ce que des philosophes deviennent rois, mais il ne faut pas non plus le souhaiter, parce que détenir le pouvoir corrompt inévitablement le jugement libre de la raison. »[6]
Jésus indique une voie du juste milieu qui consiste à ne pas se retirer des affaires publiques et à ne pas instaurer un pouvoir politique de droit divin. Cette entrée à Jérusalem prépare le procès qui aura lieu quelques jours plus tard. Celui-ci opposera les deux figures de celui qui n’assume pas ses responsabilités – Pilate, il ne répond pas présent, c’est comme s’il n’était pas là (il s’écrase devant la menace du pouvoir de César) – et celui qui n’est animé que par le goût du pouvoir – le grand prêtre qui sait que Jésus a toutes les qualifications nécessaires pour revendiquer la fonction de grand prêtre.
Le grand prêtre veut affermir son pouvoir, il usera de tous les subterfuges pour cela, y compris le mensonge. Pilate est aux abonnés absents quand il s’agit de faire valoir le droit, la justice et la vérité. Le grand prêtre, lui, n’a peur de rien. Pilate a peur de tout. Et au milieu, Jésus, met en lumière ces deux travers, ces deux écueils, pour que nous sachions frayer notre propre chemin au milieu de la foule de défis à relever. Le Messie est venu. Cela implique que toutes les exigences de l’Évangile sont praticables, non pour dominer, mais pour rendre service à une humanité qui a toujours besoin d’être entretenue.
Amen
[1] Marc-Alain Ouaknin, Bibliothérapie, p. 65.
[2] En discutant ce point après la prédication avec André Gounelle, j’ai réalisé que le terme « utopie » était impropre. J’aurais dû parler d’atopie. En effet, pour citer André Gounelle, « l’utopie peut aussi exprimer le sentiment qu’aucune réalité n’est parfaite, qu’il y a toujours une distance entre ce qui est et ce qui devrait être ; elle maintient alors le monde ouvert. Le Royaume s’approche, il n’est pas installé et il indique à la fois une incarnation et une dimension utopique, un messianisme non achevé. » De ce point de vue, l’utopie est fidèle à ce que construisent les textes bibliques. Pour aller plus loin, Gounelle indique que le théologien Gabriel Vahanian ne manquait pas de souligner que l’utopie évite de sacraliser les situations, les réalisations terrestres. Un vers du poète Rainer Maria Rilke, cité par le théologien Rudolf Bultmann, exprime cela : « le visiteur qui va son chemin » et, ainsi, jamais ne s’installe – c’est l’idéal nomade qu’incarne le peuple hébreu, le peuple qui passe, qui traverse.
[3] Même remarque que précédemment.
[4] André Gounelle m’a également rendu attentif au fait que Calvin considère que la loi n’est jamais complètement accomplie, ce qui renforce son caractère utopique. Dans L’institution de la religion chrétienne IV, XV, 11 au sujet des effets du baptême, JC écrit : « Cela n’est pas dit afin que ceux qui déjà ne sont que par trop enclins au mal, s’endorment avec assurance en leurs péchés, mais seulement afin que ceux qui sont chatouillés, exercés et piqués de leur chair, ne se désolent, perdent courage et espérance, mais que plutôt ils se considèrent encore être en chemin (…) ».
[5] PLATON, La république, 389b : « C’est donc aux gouvernants de l’État qu’il appartient, comme à personne au monde, de recourir à la fausseté, en vue de tromper, soit les ennemis, soit leurs concitoyens, dans l’intérêt de l’État ; toucher à pareille matière ne doit appartenir à personne d’autre. »
[6] E. KANT, Vers la paix perpétuelle. Article secret en vue de la paix perpétuelle, VIII, 369, p. 109