En christianisme, c’est l’Évangile qui fait loi

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Romains 2:25-29

25 La circoncision est utile, si tu mets en pratique la loi; mais si tu transgresses la loi, ta circoncision devient incirconcision. 26 Si donc l’incirconcis observe les ordonnances de la loi, son incirconcision ne sera-t-elle pas tenue pour circoncision ? 27 L’incirconcis de nature, qui accomplit la loi, ne te condamnera -t-il pas, toi qui la transgresses, tout en ayant la lettre de la loi et la circoncision ? 28 Le Juif, ce n’est pas celui qui en a les dehors; et la circoncision, ce n’est pas celle qui est visible dans la chair. 29 Mais le Juif, c’est celui qui l’est intérieurement ; et la circoncision, c’est celle du cœur, selon l’esprit et non selon la lettre. La louange de ce Juif ne vient pas des hommes, mais de Dieu.

Chers frères et sœurs, non seulement Jésus était juif, non seulement l’apôtre Paul était juif, mais les premiers chrétiens étaient juifs. À vrai dire, les chrétiens sont juifs et le christianisme est un judaïsme parmi d’autres. Le christianisme est un judaïsme, sans être le judaïsme. C’est cela que nous pouvons examiner dans ce passage de la lettre aux Romains qui nous permet de penser notre spiritualité. L’intérêt de se rappeler de cette vérité historique est, ici, de repenser plus spécifiquement l’usage que nous faisons de la loi.

La loi, c’est ce dont il est question dans cette épître aux Romains or, bien souvent, les chrétiens pensent que la loi c’est l’affaire des juifs et que nous, les chrétiens, nous avons l’Évangile qui est autrement plus intéressant que la loi – sous-entendu la loi c’est de l’histoire ancienne, c’est quasiment de l’Ancien Testament (comme si la Bible hébraïque n’était pas nécessaire pour féconder notre théologie). Dans la mesure où le christianisme est un judaïsme, nous ne pouvons pas tirer un trait sur la loi sans dénaturer notre religion.

  1. Le christianisme, un judaïsme parmi d’autres

Ce qui est frappant dans ce passage de Paul, c’est qu’il s’adresse aux croyants de Rome en parlant des juifs. « Le Juif, ce n’est pas celui qui en a les apparences » et au verset suivant « Le Juif, c’est celui qui l’est intérieurement ». Cela a de quoi étonner car on se dit que le christianisme est en rupture avec le judaïsme ; on se dit que Paul a d’ailleurs été un artisan de la séparation à l’égard du judaïsme et voilà qu’on parle à des membres de la communauté de Rome en parlant non pas du chrétien, mais du juif. Toutefois, il n’y a rien de surprenant quand on replace ce texte dans son contexte historique. En effet, à l’époque de l’apôtre Paul, c’est-à-dire dans les années 50-60, les chrétiens ne sont pas d’abord des chrétiens. Ce sont des juifs. C’est à Antioche (Ac 11/26) que le terme « chrétien » est apparu, vraisemblablement parce que les chrétiens fondaient leur foi dans l’expérience particulière qu’ils avaient vécu en référence au Christ Jésus.

Cela devrait nous faire prendre conscience qu’un chrétien ne saurait être antisémite parce que l’antisémitisme est on ne peut plus contraire au christianisme qui n’est pas seulement issu du judaïsme, mais qui est un judaïsme. À cela nous pourrions ajouter que l’antisémitisme est contraire au christianisme parce que la théologie chrétienne adopte une perspective théologique universelle, autrement dit la grâce est source de salut pour tous, comme le dira l’auteur de la lettre à Tite (2/11).

Dire que le christianisme est un judaïsme nous invite à réaliser que le fondement du judaïsme doit être également fondamental pour le christianisme. Ce point fondamental, dans le judaïsme, c’est la loi. Dans le judaïsme, la loi est chemin du salut, pour reprendre la formule du théologien protestant Gérard Siegwalt. Cela indique que la loi est nécessairement un point fondamental du christianisme. Et c’est bien ce que nous observons dans ce texte de Paul qui interroge le respect de la loi et la transgression de la loi. C’est la question de la torah qui est au cœur de la religion juive et Paul nous fait comprendre que la torah est donc aussi un sujet structurant du christianisme.

Le christianisme est un judaïsme parmi d’autres, mais le christianisme n’est pas un judaïsme comme les autres. C’est aussi cela que Paul va expliquer. Quel est notre rapport à la loi ? Paul écrit ce passage en montrant comment le judaïsme ne peut plus être exactement ce qu’il était après Jésus-Christ. C’est cela qu’il importante de relever. Ce que Jésus a effectué, c’est de faire passer le judaïsme d’une loi rituelle à une loi éthique. C’est ce que nous allons observer maintenant.

  1. Une loi incarnée

Paul fait un peu le malin en usant de la rhétorique pour moquer les croyants de façade. L’apôtre Paul raille ceux qui ont l’apparence du croyant, qui ont les signes extérieurs de religiosité, mais qui ne respectent pas ce qu’il y a de plus fondamental dans leur religion : la loi. Si Paul avait été protestant à notre époque, il aurait pu railler les croyants qui arborent une croix huguenote, mais qui sont incapables de la moindre charité envers leurs prochains.

Pour Paul, être circoncis ou être incirconcis, ce n’est pas décisif. Tout cela est formel, superficiel, en tout cas fort éloigné de ce qu’il y a de plus fondamental dans la religion : l’obéissance à la loi, au sens de se mettre à l’écoute de loi (upakouo en grec). Pour être aussi clair que Paul, disons qu’il vaut mieux respecter la loi que d’être circoncis que l’inverse. Dans un contexte chrétien, nous pourrions dire avec le pasteur Wilfred Monod : « Mieux vaudrait avoir servi Jésus-Christ sans le nommer, que d’avoir nommé Jésus-Christ sans le servir. »

Le Juif, le chrétien, ce n’est pas celui qui en a les apparences, les attributs, les signes ou les marques, ce n’est pas celui qui brandit la Bible comme d’autres brandissent le règlement. Car le judaïsme tel que Jésus l’a incarné, c’est la religion du for intérieur. Le judaïsme tel que Jésus l’a incarné – ce qui a conduit le christianisme à développer une théologie de l’incarnation. Voilà comment l’apôtre Paul réfléchit à la bonne manière de penser la religion. Paul pense la religion en liant les déclarations aux faits : tout doit être cohérent. La religion du for intérieur plutôt que des signes extérieurs et bien la religion où la loi est éthique et non rituelle. C’est pour cela que l’apôtre Paul va dire que la véritable circoncision, c’est la circoncision du cœur. Non seulement cette circoncision du cœur est bien plus universelle puisqu’elle concerne aussi bien les hommes que les femmes, mais elle exprime précisément ce que le christianisme entend faire de la loi : non pas un slogan, non pas un outil de répression, mais la réalité de la vie quotidienne.

Nous avons souvent du « cœur » une vision romantique qui en ferait le siège des sentiments les plus nobles. Le cœur serait le siège des émotions liées à l’amour. Dans la Bible, le cœur désigne autre chose. Le cœur désigne le siège de la volonté, du passage à l’acte. La circoncision du cœur, c’est donc l’adéquation entre les actes et la volonté. La circoncision du cœur, c’est la cohérence entre la parole et les actes, entre les intentions et les accomplissements.

Paul entend réformer un judaïsme qui se contentait de respecter les formes et qui avait abandonné l’implication personnelle. Paul entend réformer un judaïsme qui se contentait de respecter la loi à la lettre, et qui ne cherchait pas à imaginer ce que la loi ne prévoyait pas formellement.

  1. Une loi orientée par Dieu

S’attacher à la loi rituelle, c’est faire ce qui est indiqué dans les règlements, les protocoles, les modes d’emploi. En s’attachant à la loi rituelle et en en faisant notre seul horizon, en se limitant à ce qui est inscrit dans les protocoles, les astronautes de la mission Apollo XIII ne seraient jamais revenus vivants sur terre, nous ne mangerions jamais de tartes tatin, les mal voyants, les boiteux et bien d’autres qui étaient considérés comme impurs, n’auraient pas le droit d’entrer dans le temple de Maguelone.

En parlant d’intériorité, de ce qui est caché dans la personne, Paul récuse non seulement la religion de façade qui s’en tient aux apparences parce que cette religion est capable de faire de belles déclarations qui restent sans effet, mais il insiste sur une religion qui va puiser dans l’intériorité des personnes pour trouver les ressources nécessaires pour répondre aux défis de la vie. De ce point de vue, Paul montre qu’il fait confiance aux croyants alors que bien souvent la religion ne fait pas confiance aux croyants – elle les juge incapables d’incarner l’espérance de Dieu. Or la loi devient une nourriture dont le chrétien tire les éléments essentiels pour devenir lui-même producteur de loi afin de répondre aux défis présents que la loi n’a encore jamais eu l’occasion d’aborder par le passé. Le problème de la lettre de la loi, c’est qu’elle nous contraint à ne faire que ce qui est écrit.

Pour Paul, peu importe que les formes soient respectées, pourvu que les sujets de fond soient traités, et traités dans le sens de la volonté de Dieu. En parlant ainsi de l’intériorité, l’apôtre Paul valorise les personnes et leur capacité à apporter de nouvelles réponses aux nouveaux défis qui se présentent. Paul valorise la capacité des personnes à inventer des solutions aux problèmes nouveaux. C’est une religion qui ne se contente pas de bégayer ce qui s’est toujours dit, de mimer ce qui s’est toujours fait. C’est une religion qui pense le monde et qui élabore des manières adaptées de le rendre plus vivable.

Non seulement le christianisme est un judaïsme au sens où la loi est un aspect fondamental de la religion, non seulement le christianisme est une religion de l’incarnation qui met les pensées, les paroles et les actes en cohérence, mais le christianisme est une religion qui s’articule autour d’une loi orientée par Dieu.

Une loi orientée par Dieu. Cela signifie qu’il ne s’agit pas d’avoir les yeux fixés sur le règlement : il s’agit de prendre notre texte biblique pour en faire un point d’appui et de tendre vers l’horizon que Dieu nous révèle. Il s’agit d’en faire la source d’inspiration pour penser le monde et pour imaginer la loi qui nous permettra d’aborder la vie de la meilleure façon qui soit, c’est-à-dire d’une manière aimante, d’une manière gracieuse, d’une manière qui intègre l’autre dans notre équation personnelle.

Et cela ne peut pas se faire sans le deuxième point, sans la loi. Nous pourrions d’ailleurs penser aux trois stades sur le chemin de la vie expliqués par le théologien Kierkegaard : le stade esthétique marqué par le principe de plaisir, le stade moral qui intègre la loi et donc le respect de l’autre, et puis le stade religieux où nos actions sont inspirées par l’Évangile, l’espérance de Dieu. C’est ce troisième stade qui nous rend capable d’être artisan du bonheur de l’autre.

Cette compréhension de la loi n’est pas valable uniquement dans une assemblée chrétienne, ni seulement pour les chrétiens. Si le christianisme est universel c’est parce que le christianisme est bon pour les chrétiens et pour ceux qui ne le sont pas. Ainsi, nous serions bien inspirés de faire de l’évangélisation au sens de faire comprendre à nos contemporains qu’il ne suffit pas de devenir un être moral qui a conscience de la loi qui protège le plus faible, par exemple, il faut faire le pas supplémentaire qui consiste à penser la perspective de la loi qui est de favoriser l’épanouissement de l’autre. Cela revient à penser le sens de la loi, l’intention de la loi – le sens de nos actes – pour voir vers quoi notre éthique nous conduit.

C’est à partir du dernier verset de ce passage biblique que je comprends la nécessité de Dieu dans l’élaboration de la loi, y compris dans le domaine des affaires civiles. Je vous relis tout le verset : « Mais le Juif, c’est celui qui l’est intérieurement ; et la circoncision, c’est celle du cœur, selon l’esprit et non selon la lettre. La louange de ce Juif ne vient pas des hommes, mais de Dieu ». Epainos, c’est la louange, l’approbation. Ce qui valide l’homme, ce n’est pas l’homme, c’est Dieu. Ce ne sont pas nos contemporains qui nous justifient, mais Dieu. Ce qui valide l’œuvre de l’homme, ce n’est pas l’homme qui est si souvent attaché à la superficialité, à l’apparence tout extérieure, c’est Dieu qui privilégie la cohérence entre les intentions et les faits, Dieu qui a une perspective universelle, Dieu qui privilégie l’incarnation de la justice dans le moindre aspect de la vie quotidienne, Dieu qui privilégie la loi éthique qui invente des réactions adaptées aux circonstances, plutôt que la loi rituelle qui impose que le monde se conforme aux usages du passé.

En rappelant que la circoncision qui compte, c’est celle selon l’esprit et non selon la lettre, l’apôtre Paul indique que le bon usage de la loi est selon l’esprit, c’est-à-dire selon l’intention, selon la direction vers laquelle la loi nous porte. Or, rapporter l’intention de la loi à Dieu plutôt qu’à l’homme, c’est une manière de dire que la loi doit être pensé non en fonction des circonstances particulières, ni pour un segment de la population, mais dans une perspective universelle, dans le sens de l’intérêt général. Paul n’oppose pas Dieu aux hommes, il oppose l’action des hommes qui se prennent eux-mêmes comme finalité à l’action des hommes qui prennent Dieu pour finalité, c’est-à-dire qui visent l’universel.

Que désigne le Dieu de notre foi ? Désigne-t-il un intérêt particulier ? Le Deutéronome ne cesse de dire le contraire. Désigne-t-il une cause dont le périmètre est limité à quelques uns ? Les prophètes d’Israël ne cessent de dire l’inverse. Dieu est-il à l’image d’une peur spécifique dont nous voudrions nous protéger ? Le Christ n’a cessé de prêcher l’inverse. Tout cela conduirait à la loi selon la lettre. La loi selon l’esprit, elle, c’est la loi qui intègre l’autre, quel qu’il soit, sans exclusive, selon la perspective de Dieu dont la grâce est inconditionnelle, qui s’adresse donc à tous, sans exclusive.

C’est parce qu’il était désireux d’écrire la loi selon la perspective de Dieu, pour le dire avec le vocabulaire théologique, et non selon la logique partisane des hommes, que le garde des sceaux Robert Badinter s’adressa il y a quarante ans à l’Assemblée nationale afin de retirer l’homosexualité du code pénal et de remettre la France dans le sens de l’universel.

Pour lui, comme pour d’autres qui menèrent d’autres combats pour l’égalité, pour la liberté, et qui transgressèrent, qui transcendèrent la lettre, qui inventèrent de nouvelles lois pour être fidèle à l’esprit de la loi de Dieu, la louange ne vient pas des hommes en premier lieu, mais de Dieu. C’est la grâce divine rendue disponible pour tous les êtres qui guide les actions humaines par delà les partis-pris, par delà les coups d’éclats médiatiques, par delà l’orgueil. Toutes ces personnes qui avaient au cœur l’intérêt général incarnent une vie orientée par ce que les chrétiens appellent l’Évangile : la loi qui ouvre l’avenir, la loi qui réintègre les exclus de la communauté universelle, la loi qui prend  soin de tous, sans exclusive, la loi qui lèvent les entraves et redonne à chacun sa responsabilité individuelle, c’est de cela dont parle l’apôtre Paul. L’intention de l’apôtre Paul lorsqu’il s’adresse aux croyants de Rome consiste à affirmer : c’est l’Évangile qui fait loi.

Amen

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