Non le pacifisme, mais la paix

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Ésaïe 2/1-5

Ésaïe 2/1-5 1 La parole qu’Ésaïe, fils d’Amots, vit, touchant Juda et Jérusalem. 2 Et il arrivera, à la fin des jours, que la montagne de la maison de l’Éternel sera établie sur le sommet des montagnes, et sera élevée au-dessus des collines; et toutes les nations y afflueront; 3 et beaucoup de peuples iront, et diront: Venez, et montons à la montagne de l’Éternel, à la maison du Dieu de Jacob, et il nous instruira de ses voies, et nous marcherons dans ses sentiers. Car de Sion sortira la loi, et de Jérusalem, la parole de l’Éternel. 4 Et il jugera au milieu des nations, et prononcera le droit à beaucoup de peuples; et de leurs épées ils forgeront des socs, et de leurs lances, des serpes: une nation ne lèvera pas l’épée contre une autre nation, et on n’apprendra plus la guerre. 5 Venez, maison de Jacob, et marchons dans la lumière de L’Éternel!

Chers frères et sœurs, ce passage biblique contient ce verset particulièrement connu : « de leurs épées ils forgeront des socs, et de leurs lances des serpes : une nation ne lèvera plus l’épée contre une nation et on enseignera plus la guerre. » Voilà une perspective hautement souhaitable qui nous irait très bien si ce verset s’appliquait immédiatement. Le problème d’interprétation qui se pose est : à quel moment faut-il mettre en œuvre ce verset ? Dès à présent ? Faut-il transformer immédiatement les armes en outils agricoles ? Et, plus largement, ce verset conduit-il les lecteurs de la Bible à s’engager dans la voie du pacifisme ?

  1. une autre voie que le pacifisme

Si nous entendons par pacifisme le refus d’utiliser des armes, à faire objection de conscience à l’emploi d’armes, alors je ne pense pas que ce texte biblique encourage sur cette voie. Je ne récuse pas le fait d’être pacifiste au sens de ne pas vouloir faire l’usage des armes ou au sens de refuser la fabrication d’armement ; il m’apparaît que ce texte ne fait pas l’apologie du pacifisme.

En effet, les armes de guerres transformées en outils n’arrivent qu’à la fin du texte. Cela signifie que, pour le rédacteur, cette métamorphose est la conséquence de ce qui précède et non le préalable. Ce n’est pas en supprimant les armes ou en les reconvertissant que les nations sont en paix ; c’est parce qu’elles se rendent en direction de Sion d’où sort la torah de l’Éternel. C’est parce que la paix est instaurée que les armes deviennent inutiles et qu’il est donc possible d’en faire un autre usage, conforme à la situation de paix. Ce n’est pas l’inverse.

Les rédacteurs bibliques n’ont pas une vision de l’Homme positive au point qu’il suffirait que nul n’ait d’arme à sa disposition pour que la violence disparaisse. Caïn n’avait pas d’arme. Mais il a tué son frère. L’anthropologie biblique, c’est-à-dire le regard que les théologiens bibliques portent sur l’humanité est peut être féroce, mais elle dit juste : supprimez les armes, comme en prison, et cela n’empêchera pas qu’un détenu étrangle un autre détenu. L’anthropologie biblique est féroce car elle constate que ce ne sont pas les moyens militaires qui créent la violence. Les moyens militaires donnent une ampleur considérable à la violence – et c’est la raison pour laquelle ce que nous appelons la désescalade en matière d’armement est un impératif – mais sans moyens militaires, la violence ne disparait pas pour autant. Les guerres ne disparaissent pas pour autant. Car s’il est possible de transformer des armes en outils agricoles, il est aussi possible de transformer des outils agricoles en armes. Il est possible de tout transformer en arme. Le même stylo bille peut aussi bien écrire la plus belle déclaration d’amour qui soit, que déchirer une artère et causer la mort d’une personne.

S’il est bien question de paix, dans ce texte, la paix n’est pas le résultat d’un pacifisme qui consisterait à renoncer à tout usage d’armes.

  1. la loi forge la paix

La paix est la résultante de cette situation assez étonnante où la loi sort de Sion, la parole de l’Éternel sort de Jérusalem, là où toutes les nations affluent. Il importe, tout d’abord, de repérer que la Jérusalem dont il est question dans ce texte n’est ni une Jérusalem politique, ni une Jérusalem géographique : c’est une Jérusalem mythique, située au sommet des montagnes, s’élevant au-dessus des collines. Jérusalem, la ville que nous connaissons tous est à 754 mètres d’altitude. « Notre » Mont Aigoual est deux fois plus haut (1567 m). Cela indique bien que nous parlons d’un lieu symbolique qui représente la présence de Dieu parmi les hommes.

La présence de Dieu parmi les hommes ne se fait pas d’une manière spectaculaire à travers des prodiges, ni par l’intermédiaire de manifestations de la nature. Ce que le rédacteur indique, c’est que l’instruction de Dieu sort de cette Jérusalem, autrement dit la Torah (mot qui vient du verbe yarah « instruire »). La parole de Dieu se répand parmi les hommes à partir de la Jérusalem mythique et c’est la raison pour laquelle les êtres humains se dirigent vers la colline de Sion. C’est une manière de dire que tous les êtres humains sont orientés vers la parole de Dieu, ce qui conduit à la paix.

Dit comme cela, je comprends que cela coince un peu auprès des personnes qui ne sont pas spécialement croyantes. À vrai dire, cela mérite de coincer aussi auprès des croyants si nous ne prenons pas la peine d’interpréter cela. En quoi la parole de Dieu, en quoi la Torah, peut-elle être un facteur de paix – alors qu’il est souvent dit que les religions sont facteurs de violence et de guerre ?

La torah, l’instruction qui vient de Dieu, c’est toute parole qui exprime ce qui fonde l’humanité, toute parole qui exprime ce qui fait de nous un humain. Il ne faudrait pas entendre la torah comme un règlement dans lequel seraient consignés tous les actes que nous devons faire et tous ceux qui nous sont interdits. Ce sont les 613 mitsvot, les 613 commandements qui règlent la vie quotidienne. La torah a une perspective bien plus élevée que de prescrire ce qu’il faut faire dans chaque circonstance. La torah c’est ce qui nous instruit, c’est ce qui nous éduque au sens des humanités. Oui il y a des aspects qui ont un caractère législatif, mais pour indiquer la visée de la torah. Par exemple, le fameux « tu ne tueras pas » peut être pris au pied de la lettre et, dans ce cas là, nous sommes une majorité à le respecter. Ou alors nous pouvons comprendre, à la suite de Jésus lors de son sermon sur la montagne, que le « tu ne tueras pas » est une manière d’indiquer l’idéal infini de l’amour du prochain – en conséquence de quoi il ne faut pas non plus blesser son prochain et, par conséquent, il ne faut pas l’insulter non plus.

C’est ainsi que nous pouvons comprendre le règne de Dieu. Il ne s’agit pas d’imaginer un être surpuissant, capable de tordre les canons des méchants et de donner de la vigueur physique à ceux qui n’ont pas mangé depuis trois jours. Le règne de Dieu, c’est lorsque la torah structure, instruit, notre regard sur notre prochain, sur notre vie, sur notre monde. Quand la torah devient un élément fondamental de notre réflexion, alors nous ne posons plus le même regard sur les personnes et sur les situations. Nous passons de la rivalité à la coopération. Nous passons de la haine à l’agapè… au sens de l’évangile qui est la torah restaurée dans sa perspective originelle. Jésus réforme les judaïsmes de son époque pour retrouver la puissance originelle de la torah. L’évangile et la torah ne sont pas contradictoires, ils ne sont pas complémentaires. Dans les deux cas, il y est question de l’amour du prochain, sans condition, sans limite, sans excuse. Dans les deux cas l’Éternel est le Dieu de la veuve, de l’orphelin et de l’immigré.

Quand on dit oui à cela, cela change notre regard sur tout. Quand les peuples disent oui à cela, cela change les politiques nationales et, alors, Dieu règne, au sens où la torah, cette instruction sur ce qu’est l’humanité portée à son incandescence, devient structurante pour chacun et donc pour tous. Alors nous pouvons parler du règne de Dieu non comme d’une théocratie, ce qui signifierait que Dieu serait un souverain, mais comme d’une « théonomie », nomos signifiant la loi en grec. La loi de Dieu, la torah, est ce qui forge notre compréhension d’un monde vivable, d’un monde tov pour reprendre le mot qui scande chaque jour de la création dans Genèse 1. Et, alors, nous pouvons dire que la loi forge la paix.

  1. La paix, la perspective universelle

Il résulte de cette approche théologie de la vie humaine qu’elle intègre nécessairement la dimension internationale et, plus que cela, il en résulte que notre compréhension du monde se fait selon une perspective universelle. Pratiquement, cela signifie que nous ne sommes contre personne et que nous sommes pour tous et pour chacun. Cela a comme conséquence pratique que nous sommes appelés à protéger les plus faibles, les vulnérables, ceux qui sont menacés. Et chacun inventera le moyen qui lui convient le mieux pour accomplir cette honorable mission de porter secours aux petits d’entre nos frères et sœurs. Parfois cela se fait autrement qu’en envoyant des colis alimentaire.

Cette perspective universelle a comme perspective la paix, et seulement la paix. La perspective biblique est toujours le shalom, jamais la guerre ni le conflit. C’est vrai sur le plan international, c’est vrai sur le plan des relations interpersonnelles. Certains ne vivent que par le conflit et, donc, ils ne vivent que pour le conflit. Ceux-là ne vivent pas à la manière des fils et des filles de Dieu.

Cette perspective de la paix universelle qui aura pu inspirer le philosophe Emmanuel Kant, trouve son expression dans le verset deux qui indique que toutes les nations afflueront  vers la maison de l’Éternel – qui est donc symboliquement le temple de Jérusalem. En hébreu nous entendons la même chose qu’en français : le verbe nahar donnera le cours d’eau. Chaque nation est donc bien comprise comme un affluent qui vient grossir le fleuve de l’humanité. Les peuples ne se construisent pas les uns contre les autres. Ils n’enlèvent rien aux autres pour se renforcer. Les peuples s’associent, ils font alliance, pour le dire d’une manière biblique, pour se renforcer mutuellement. Voilà la perspective qui nous anime. Voilà ce qui motive notre engagement qui, nécessairement, a alors une nuance politique. Bien évidemment, ce texte est politique, pas au sens où il dirait comment organiser les nations de manière unie, mais en inspirant la perspective de toute décision, de toute action. Ce texte nous rappelle la pertinence de la grâce dans le domaine des affaires publiques, et pas uniquement le dimanche matin dans le cadre d’une assemblée religieuse. Si la grâce a bien un caractère inconditionnel, si elle est transcendante, si elle a une perspective universelle – selon ce que les textes bibliques nous révèlent – alors la grâce informe, la grâce nous instruit, la grâce est notre torah pour comprendre le monde, c’est-à-dire pour le prendre à bras le corps avec nos frères et sœurs, afin de le rendre infiniment plus vivable, afin de faire affluer les uns et les autres vers la paix.

Aider ceux qui ont besoin d’aide de manière inconditionnelle – et donc ne pas négliger le secours aux populations russes maltraitées, et ne pas oublier les misères ailleurs ni les misères proches de nous. Transcender les situations et ne jamais s’habituer à un ordre du monde qui n’est pas en harmonie avec notre compréhension évangélique de la torah. Garder une perspective universelle pour apprécier les situations (si ce qu’un pays fait est bon pour ses ressortissants, mais ce que cela est néfaste pour d’autres populations, alors cela ne relève pas de la grâce). Garder une perspective universelle pour nos propres actions, pour notre propre éthique.

Venez, frères et sœurs, et marchons à la lumière de l’Éternel.

Amen

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